Sans consensus et non sans tensions, l'Agglo du Grand Guéret a voté la vente de ses terrains à Biosyl
Il n’y aura pas de report. Les associations et collectifs - dont une centaine de membres étaient réunis à l'extérieur de l'Agglo - et des élus l’avaient espéré, pour le temps du débat, celui de la complétude du dossier, de la réflexion et de la prudence, mais le président de la Com d’Agglo a donné le tempo, le vote du compromis de vente des parcelles à Biosyl, se fera comme inscrit à l’ordre du jour : « Que ce soit juin, en septembre, en décembre, ceux qui ont décidé de voter contre, voteront contre. »
Trop précipité ?Une « précipitation » que ne comprennent pas les opposants au projet, réunis devant les locaux de la Com d’Agglo à l’heure du conseil, alors qu’« on apprend aujourd’hui que des rectifications sur le permis de construire de Biosyl mordent encore davantage sur la zone humide et sur les habitats d’espèces protégées », s’étonne le collectif Forêt debout 23. Permis de construire rectificatif qui n’a d’ailleurs pas pour l’instant été présenté à la mairie de Guéret (*).
Une centaine de personnes étaient réunis devant les locaux de la Com d'Agglo du Grand Guéret pour demander le report de ce vote.
« Dans ce dossier, aucune procédure n’est respectée », regrette-t-il, aucune étude d’impact environnementale, ni étude de danger, ni étude de gisement n’ont été présentées, débouchant malgré tout sur une « mise au vote complètement précipitée », estime Forêt debout 23. Un vote de compromis de vente qui a finalement sans surprise pris la tournure d’un vote d’adhésion ou de rejet de Biosyl malgré les demandes répétées de plusieurs élus de reporter cette délibération.
« Trois contentieux sont en cours, aucun débat n’a eu lieu, ni au sein de la Communauté d’agglo, ni à l’extérieur. 8.000 personnes ont signé une pétition défavorable à Biosyl, quand et où allons-nous en parler ? », a interrogé Marie-Françoise Fournier, la maire de Guéret regrettant de devoir « voter sur des hypothèses d’implantation et sans avoir débattu sur le fonds.
« Arrêtons de traiter ce dossier comme si c’était un dossier de vente classique, arrêtons de faire semblant de croire que ce dossier n’a pas de répercussions importantes à tous les niveaux ! »
@ Julie Ho Hoa« Pourquoi on n’attend pas que les recours soient purgés pour remettre à l’ordre du jour la vente de ces terrains ? », interroge son adjoint, Guillaume Viennois qui avoue ne pas aimer se « sentir pris au piège ». « Moi, ça me dérange de précipiter une vente alors qu’il y a des procédures en cours. J’aurais préféré qu’on ait toutes les cartes en mains », ajoute-t-il, surtout sur « le sujet aujourd’hui le plus clivant entre nous tous et nous toutes… »
D’autres voix dissonantes se sont fait entendre dont celle de Thierry Dubosclard, maire de la Chapelle-Taillefert qui a solennellement appelé ses collègues à voter contre cette vente de terrains, leur demandant « humblement de ne pas faire ce premier pas vers l’installation » de Biosyl en Creuse. « À travers ce vote sur le compromis de vente d’une parcelle, tu nous invites à dire oui ou non à Biosyl. Et c’est un peu la fin du débat », lance-t-il à Éric Correia.
@ Julie Ho Hoa
« Je sais que tu y es, avec ton exécutif, éminemment favorable, l’affaire semble donc, hélas, entendue. Et pourtant je suis né ici, je vis ici et je ne peux pas m’y résoudre quand tous les indicateurs nous précisent et nous prédisent que la qualité de notre environnement est un diamant pur, un atout formidable, pilier du développement local et durable, humain, environnemental et économique ».
Des inquiétudes partagées par certains élusVotant « formellement contre », Jean-Pierre Lécrivain, maire de Jouillat et l’un des premiers à avoir déposer une demande d’enquête publique autour du projet, a rappelé la mobilisation massive, aussi bien citoyenne qu’associative autour d’« un projet très controversé » qui constitue pour lui « une menace » pour les ressources naturelles de la Creuse.
Une mobilisation dont « on ne peut pas faire fi », qui réunit non pas « des illuminés comme je l’ai entendu de certains élus, ce sont des gens qui ne sont absolument pas contre le développement mais pour un développement en harmonie avec notre département, qui défendent tout ce qui en fait les atouts et son cadre de vie ». @ Julie Ho Hoa
L’élu a rappelé que Biosyl, « c’est 160.000 m3 de bois en rondin par an, l’équivalent d’environ 1.000 hectares de coupes rases, dont 80 % de feuillus entre 20 et 40 cm de circonférence, soit des hêtres et des chênes qui ont entre 60 et 80 ans ».
Finalement, aux élus qui réclament du « débat », de « l’échange », on répondra qu’il y en a déjà eu, en assemblée des maires, en commissions économiques et de développement énergétique, « dans des conseils communautaires où on a invité les porteurs de projet », détaille l’exécutif. « Il y a eu des débats ici ! C’est de la précipitation d’aller sur un dossier quand ça fait deux ans qu’on en parle ? », tonne Éric Bodeau, vice-président en charge des Finances (le projet n’a été révélé à la presse qu’à la rentrée 2023, N.D.L.R.).
@ Julie Ho Hoa
François Barnaud, vice-président en charge du Développement économique ne s’en est pas caché en introduction de la délibération, elle a été « proposée suite à la demande de l’entreprise Biosyl » pour lui permettre de déposer un permis de construire rectificatif avec les nouvelles parcelles qui compensent la perte de celles classées en zone naturelle sur Saint-Fiel.
Et d’insister que ce compromis de vente, « n’est pas une vente » et que les clauses suspensives qui y sont associées – notamment l’obtention du permis de construire et de l’autorisation ICPE purgés de tout recours – sont des garde-fous suffisants pour veiller à la bonne foi de Biosyl.
« On continue de suivre la procédure qui a été actée dès le départ, le dossier avance, ça ne veut pas dire que la vente se fera »
@ Julie Ho Hoa
Après nous le déluge…On l’aura compris, on votait jeudi sur la forme, délaissant finalement le fonds. Ressource en eau, biodiversité, coupes rases, captation et émission de carbone, les inquiétudes liées à la consommation en bois de l’usine et à son impact sur le paysage et l’environnement ne semblent pas peser lourd face à un investissement de 25M€, la promesse de 35 emplois directs et près d’un million de recettes pour la vente de ses parcelles en zone industrielle des Garguettes. @ Julie Ho Hoa
« L’Agglo ne fait que vendre un terrain », résume Thierry Dubosclard qui déplore que l’intérêt pour le projet se limite à sa dimension économique. Pas de sa compétence assume Éric Correia, qui propose cependant d’introduire l’interdiction des coupes rases dans le PLUi, renvoyant la balle à l’État concernant Biosyl.
« On se limite à vendre des terrains à une entreprise qui nous l’a demandé ».
« C’est une entreprise de transformation, elle fabrique des pellets, est-ce qu’on va demander à Biosyl de résoudre tous les problèmes liés à la sylviculture, à l’exploitation forestière ? », s’agace Philippe Ponsard, maire de Savennes.
Dix-huit élus ont voté contre le compromis de vente de parcelles entre l'Agglo et Biosyl, cinq se sont abstenus @ Julie Ho Hoa
Créer de l’activité économique, la développer, voilà ce sur quoi veut se concentrer l’Agglo. « Moi, mon soutien est à la création d’emplois sur le territoire parce que si on ne développe pas de l’emploi privé, ce sera compliqué de garder de l’emploi public », insiste Éric Correia qui a finalement gagné, jeudi soir, l’adhésion du conseil sur la forme (18 voix contre, 29 voix pour et 5 abstentions).
Sans doute pas sur un fond de consensus, relevait Sylvie Bourdier en quittant la salle à l’annonce du vote, « tel que le voudrait le fonctionnement ordinaire d’une Com d’Agglo ».
(*) Pour maintenir son emprise au sol (163.320 m2) et compenser la perte des parcelles classées zones naturelles sur Saint-Fiel, Biosyl souhaite acheter d’autres parcelles plus au sud de l’emprise initiale, sur Guéret.
Texte & photos : Julie Ho Hoajulie.hohoa@centrefrance.com