Présidentielle en Iran : le réformiste Pezeshkian, partisan d'une détente avec Washington
Le résultat du premier tour de la présidentielle iranienne était inattendu. Le second tour, qui aura lieu le 5 juillet, opposera le candidat réformateur Massoud Pezeshkian à l’ultraconservateur Saïd Jalili. Il sera le successeur du président Ebrahim Raïssi, mort le 19 mai dans un accident d’hélicoptère.
Quasiment inconnu lorsqu’il est entré dans la course, Massoud Pezeshkian a récolté 42,5 % des suffrages vendredi, contre 38,6 % pour Saïd Jalili, proche du Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei. Il n’empêche, L’abstention, qui a atteint un niveau record, avec près de 40 %, selon les autorités, est la grande gagnante de ce premier tour du scrutin. "Dans l’une des élections présidentielles les plus compétitives, où réformistes et conservateurs sont entrés en jeu de toutes leurs forces, une majorité de 60 % des Iraniens en ont fini avec les réformistes et les conservateurs", a observé l’économiste iranien Siamak Ghassemi sur les réseaux sociaux. Sur 60 millions d’électeurs appelés aux urnes, seuls 24 millions ont fait le déplacement dans un pays frappé par une crise économique, avec une inflation à 40 % et secoué par une répression meurtrière de tout mouvement contestataire.
Ouverture vers l’Occident
Député de la ville de Tabriz, la grande ville du nord-ouest de l’Iran, et chirurgien cardiaque de profession, Massoud Pezeshkian, 69 ans, propose un programme bien différent de son adversaire conservateur, sans toutefois qu’il s’agisse d’une rupture fondamentale. Le Monde observe ainsi que "le candidat n’a franchi aucune ligne rouge lors de ses prises de parole, dans ses meetings et sur les plateaux de la télévision iranienne, répétant sans cesse sa loyauté absolue envers le Guide suprême, Ali Khamenei, la plus grande autorité du pays et le plus grand obstacle dressé sur la voie de tout changement en Iran".
Le candidat, désormais en lice pour le second tour, a toutefois surpris lors d’un débat télévisé. "Sommes-nous censés être éternellement hostiles à l’Amérique ou aspirons-nous à résoudre nos problèmes avec ce pays ?", avait-il lancé devant cinq autres candidats conservateurs. "Les statistiques montrent qu’à chaque fois que nous parvenons à un accord [avec l’Occident], l’inflation diminue et la croissance économique repart à la hausse", avait-il ajouté, cité par le journal iranien Hamshahri. "Nous ne serons ni anti-Occident ni anti-Est", a-t-il déclaré plusieurs fois pendant sa campagne, en souhaitant que l’Iran sorte de son "isolement".
Il a promis de négocier directement avec Washington pour la relance des pourparlers sur le nucléaire iranien, au point mort depuis le retrait américain en 2018. "Si nous parvenons à faire lever les sanctions américaines, les gens auront une vie plus confortable", a-t-il estimé. Face à lui, le candidat Saïd Jalili, 58 ans, est partisan d’une politique inflexible face à l’Occident. Il l’a démontré durant les six années où il a mené les négociations sur le nucléaire iranien, entre 2007 et 2013.
Juste après avoir voté vendredi le candidat réformiste a par ailleurs déclaré aux journalistes qu’il espérait que le pays entretiendrait de bonnes relations "avec tous les pays, à l’exception d’Israël", rapporte The Times of Israel. Depuis le 7 octobre, jour de l’attaque du Hamas sur Israël qui a fait 1 200 morts, l’Iran n’a cessé de montrer son soutien au mouvement terroriste.
Défense des minorités
Ces dernières années, le camp réformateur et modéré a nettement perdu en influence face aux conservateurs. Massoud Pezeshkian a toutefois réussi à obtenir le soutien de ses poids lourds, notamment des anciens présidents Mohammad Khatami et Hassan Rohani, ainsi que de l’ex-ministre des Affaires étrangères Javad Zarif, l’architecte de l’accord nucléaire conclu avec les grandes puissances en 2015.
Ce père de famille, qui a élevé seul trois enfants après la mort de son épouse et d’un autre enfant dans un accident de voiture en 1993, se qualifie de "voix des sans-voix". Il promet de travailler, s’il est élu, à améliorer les conditions de vie des plus défavorisés.
Ministre de la Santé de 2001 à 2005 dans le gouvernement réformateur de Mohammad Khatami, Massoud Pezeshkian restait jusqu’ici peu connu des Iraniens. Pendant la campagne, il a dénoncé le recours à la force par la police pour appliquer l’obligation du port du voile par les femmes. "Nous nous opposons à tout comportement violent et inhumain […] notamment envers nos sœurs et nos filles, et nous ne permettrons pas que de tels actes se produisent", a-t-il déclaré. Déjà, en 2022, il s’était élevé contre le manque de transparence des autorités sur l’affaire de Mahsa Amini, morte en détention après son arrestation par la police des mœurs, qui lui reprochait d’avoir enfreint le code vestimentaire strict pour les femmes.
Sa critique a toutefois des limites. Selon Reuters, lors d’une réunion de l’université de Téhéran au début du mois, répondant à une question sur les étudiants emprisonnés pour des accusations liées aux manifestations antigouvernementales, le candidat a déclaré que "les prisonniers politiques ne sont pas dans mon champ d’action, et si je veux faire quelque chose, je n’ai aucune autorité".
Dans un message vidéo, Massoud Pezeshkian a appelé ses partisans à se rendre à nouveau aux urnes la semaine prochaine "pour sauver le pays de la pauvreté, des mensonges, de la discrimination et de l’injustice". Néanmoins, quel que soit le résultat, l’élection devrait avoir des répercussions limitées. En Iran, le président a des pouvoirs restreints et est davantage chargé d’appliquer les grandes lignes politiques fixées par le guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, qui est le véritable chef de l’Etat. Massoud Pezeshkian a d’ailleurs promis lors de débats télévisés et d’interviews de ne pas contester la politique de Khamenei. Un repoussoir pour de nombreux Iraniens issus de la classe moyenne urbaine et les jeunes électeurs, qui ne recherchent plus de simples réformes mais défient désormais directement la République islamique dans son ensemble.