Les arguments des opposants aux marchés libres
Nous devrions nous efforcer de comprendre pourquoi nos adversaires intellectuels pensent différemment de nous. Un effort sincère pour comprendre ceux avec qui nous sommes en désaccord nous fera parfois changer d’avis. Mais même lorsque ce n’est pas le cas, cet effort permet généralement d’approfondir notre propre compréhension de la réalité.
Article de Donald J. Boudreaux paru dans l’American Institute for Economic Research (AIER). Donald J. Boudreaux est Associate Senior Research Fellow à l’AIER et affilié au F.A. Hayek Program for Advanced Study en philosophie.
Telle que je comprends la réalité, les avantages matériels et éthiques des marchés libres sont tellement évidents et écrasants que j’ai du mal à comprendre l’enthousiasme de nombreuses personnes pour l’intervention active du gouvernement dans les processus de marché.
Mais je comprends aussi cet autre aspect de la réalité : ma confiance dans les marchés libres et ma réticence à l’égard de l’intervention de l’État me placent dans une minorité relativement restreinte. Ceux d’entre nous qui veulent que l’État reste petit et strictement limité – et, par conséquent, qui veulent que les individus aient une très grande latitude pour faire les choix pacifiques qu’ils souhaitent sur les marchés – sont beaucoup moins nombreux que les individus qui ne croient pas que les marchés puissent fournir suffisamment de biens à suffisamment de personnes.
Pourquoi cette méfiance ? Qu’est-ce que les opposants sincères aux marchés libres doivent avoir à l’esprit qui motive leur enthousiasme à remplacer les processus de marché par des ordres gouvernementaux ? Voici ce que je pense de ce que la plupart des opposants sincères aux marchés libres ont à l’esprit.
La quantité totale de richesses matérielles dont dispose l’humanité est largement indépendante de l’action et des institutions humaines
La richesse se produit tout simplement, elle émerge automatiquement de la nature ou des forces historiques avec peu ou pas de contribution de la part des êtres humains. Les actions humaines (et les institutions qui les régissent) ne déterminent que la distribution de cette richesse, et non sa quantité ou sa qualité.
Il s’ensuit que si certains ont plus de richesses que d’autres, cela ne peut s’expliquer que par le fait que les individus riches sont simplement chanceux ou, plus probablement, qu’ils bénéficient d’avantages non mérités par rapport à d’autres individus – des avantages leur permettant de s’emparer injustement de grandes quantités de richesses.
Dans la mesure où ni l’action humaine ni les institutions n’ont d’effet notable sur la quantité totale de richesse matérielle, les taux d’imposition et les mesures réglementaires ne font rien pour diminuer le stock de richesse de l’humanité. Ces mesures n’affectent que la distribution des richesses de la nature et non leur quantité.
Les prix et les salaires sont arbitraires, fixés par les puissants, en opposition aux intérêts des faibles
La richesse étant « produite » indépendamment de l’action humaine, les prix et les salaires ne déterminent que la manière dont cette richesse est partagée entre les acheteurs et les vendeurs, ainsi qu’entre les employeurs et les employés.
Des prix élevés distribuent plus de richesses aux vendeurs et moins aux acheteurs, tandis que des prix bas font l’inverse. Les salaires élevés distribuent plus de richesses aux travailleurs et moins aux employeurs, tandis que les bas salaires font l’inverse.
Le contrôle des prix et des salaires par le gouvernement n’a pratiquement aucun effet sur la production de richesses ; ce contrôle – ou son absence – ne détermine que la répartition des richesses entre les acheteurs et les vendeurs. Il s’ensuit que s’opposer aux lois sur le salaire minimum revient à soutenir les intérêts des employeurs cupides aux dépens des travailleurs, tandis que s’opposer à l’utilisation de plafonds de prix pour empêcher les « prix abusifs » revient à soutenir les intérêts des marchands cupides au détriment de ceux des consommateurs.
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La motivation du profit est antisociale
Si le montant total de la richesse est indépendant de l’action humaine, alors la recherche du profit est la recherche d’une part injustement importante de cette richesse. Rechercher le profit, c’est chercher à voler à ses semblables leur juste part de richesse. Les défenseurs des entrepreneurs et des entreprises qui recherchent le profit sont donc des défenseurs du pillage. Ces apologistes peuvent être sincèrement ignorants de la nature rapace de la recherche du profit, mais cette ignorance n’excuse pas le fait qu’ils soutiennent les pilleurs.
Le commerce est antisocial parce qu’il est motivé par la recherche du profit
Parce que la recherche du profit est antisociale, tout ce qu’elle motive – comme le commerce – est également antisocial. Le commerce est un moyen par lequel les rusés, les sournois et les privilégiés gagnent aux dépens des crédules, des honnêtes et des opprimés.
Les gouvernements élus démocratiquement expriment la volonté du peuple
Et cette volonté est sacrée – et véritablement bonne – tant que le peuple n’est pas trompé par de fausses idées colportées par les ploutocrates et leurs apologistes mercenaires. Malheureusement, les personnes ordinaires sont facilement séduites par des idées et des idéologies qui vont à l’encontre de leurs véritables intérêts.
Parfois, heureusement, le peuple comprend ses véritables intérêts et vote en conséquence, comme il l’a fait aux États-Unis, par exemple, en élisant Franklin Roosevelt, Lyndon Johnson et Barack Obama.
Mais trop souvent, dans son innocence, le peuple est trompé, en particulier par des entreprises cupides et leurs hommes de main, et il vote contre ses véritables intérêts, comme il l’a manifestement fait en élisant Ronald Reagan et Donald Trump. Cette triste réalité justifie de nombreux moyens non démocratiques d’action collective pour promouvoir le véritable intérêt du peuple. De telles actions se produisent lorsque des administrateurs gouvernementaux et des juges bien intentionnés et intelligents imposent des contrôles sur les marchés que les représentants élus sont trop corrompus ou trop lâches pour imposer.
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Travailler pour un gouvernement démocratique – en tant qu’élu ou fonctionnaire – est noble ; c’est pourquoi nous les appelons public servants
À tout le moins, travailler pour le gouvernement ou pour des organisations à but non lucratif visant à restreindre le commerce, c’est éviter de travailler dans le secteur commercial à la recherche du profit.
Les fonctionnaires, eux, sont motivés par la poursuite du seul intérêt public et travaillent de manière désintéressée pour « prédistribuer » ou « redistribuer » les fruits de la générosité économique de la nature, au détriment des cupides et des privilégiés, qui s’accaparent plus que leur juste part, et au profit des humbles et des opprimés, dont le seul espoir d’un niveau de vie décent réside dans les succès de leurs défenseurs au sein du gouvernement.
Tout l’ordre social, y compris l’ordre économique, vient du gouvernement
Il n’existe pas de « laissez-faire », ni rien d’autre qui s’en rapproche. Si le gouvernement protège les droits de propriété et les droits contractuels selon les principes défendus par les champions du marché libre tels que F.A. Hayek, Milton Friedman et Deirdre McCloskey, il n’intervient pas moins activement au nom de groupes particuliers (principalement des intérêts commerciaux) que lorsqu’il redistribue la propriété et réaffecte les ressources au moyen d’une politique industrielle et d’une fiscalité confiscatoire.
En tant que source de tout ordre social, le gouvernement n’a tout simplement pas d’autre choix que de choisir un type d’ordre particulier plutôt que d’autres possibles. Un gouvernement humain intervient en utilisant des outils tels que les droits de douane et la fiscalité redistributive pour garantir aux pauvres et aux opprimés un meilleur accès aux richesses matérielles de la nature. Un gouvernement cruel intervient, en utilisant des outils tels que la protection des « droits de propriété privée » et des taux d’imposition peu élevés, pour s’assurer que les riches et les puissants conservent leurs parts injustement élevées des richesses de la nature.
Conclusion
La liste ci-dessus n’est pas exhaustive des croyances des opposants à l’ordre du marché libre. Tous les opposants à cet ordre ne partagent pas non plus toutes ces convictions. Et nombre de ces convictions, lorsqu’elles existent, diffèrent en détail de la manière dont elles sont décrites ici. Cependant, les convictions décrites ci-dessus – qu’elles soient conscientes ou qu’il s’agisse simplement de présomptions non réfléchies – sont monnaie courante chez de nombreux opposants à l’ordre du marché libre.
Il va sans dire que ces croyances sont profondément erronées. Mais qu’elles soient erronées ou non, ces croyances sont très répandues et expliquent en grande partie l’hostilité de la population à l’égard de l’ordre du marché libre. Ces croyances doivent être remises en question si l’on veut que l’ordre du marché libre survive.