Un buron pour les vacances : dans le Cantal, ces bâtisses d'altitude hébergent ceux qui rêvent de se couper du monde
Emblèmes des montagnes cantaliennes, les burons connaissent une nouvelle vie. Au siècle dernier, de mai à octobre, des hommes y fabriquaient le fromage. Désormais, ces modestes abris de pierre – tombés en ruine à l’exode rural – sont retapés pour réaliser le rêve de plus en plus de vacanciers : se couper du monde.
« Je ne m’en lasse jamais. Le buron, c’est un spectacle vivant, une expérience que tu ne peux pas faire ailleurs », lance Nancy Tate, une actrice américaine qui a tourné avec Mel Gibson et qui tutoie tous ceux qu’elle accueille ici, à 1.306 mètres d’altitude, sous un toit de lauzes à faire rêver. Son buron de la Chambe, situé à Saint-Jacques-des-Blats, offre l’un des plus beaux couchers de soleil du Cantal.
Dans le Cantal, une certaine idée du bonheur se cache au buron de Bâne
Ce n’était qu’une ruine, en 2005, lorsqu’elle l’a acheté pour une somme modique. « Des fleurs poussaient sur le toit ! » Et puis « des travaux de dingo » ont commencé, en 2009 : ils ont duré sept ans. « Il fallait être taré ! », s’amuse la propriétaire. Ça a donné une baignoire dans un abreuvoir pour bovins, une chambre lovée sous une voûte composée de pierres volcaniques, une suite parentale réchauffée par un feu de cheminée... et des bougies, à allumer une par une, pour réveiller l’âme chaleureuse de cette vieille bâtisse de caractère accrochée à la montagne. « Des moments hors du temps. »
Sous la voûte du buron de la Chambe, à Saint-Jacques-des-Blats. Photo Jérémie Fulleringer.
« Une expérience vraiment unique »Y a-t-il une mode du buron ? Le refuge du fin fond des monts du Cantal ringardise-t-il la demi-pension sur la côte ? D’après Nancy Tate, ses clients « aiment aussi l’hôtel au bord de mer », car l’un n’empêche pas l’autre, « mais si tu veux vivre une expérience vraiment unique, c’est ici ! Le ciel n’est jamais le même deux fois, le temps non plus. On ne sait pas ce qu’il peut se passer. Un matin, je me réveille : le toit était couvert de chèvres ! »
Les impressions des vacanciers valent plus que tout. « Ils ont la sensation de se retrouver à l’autre bout du monde et disent leur gratitude », rapporte Nancy Tate, aux petits soins pour eux. « Je prends de bons shoots d’ocytocine, l’hormone des liens. Depuis le début, je n’ai jamais eu un mauvais retour. Ça va au-delà de tout, c’est vraiment exceptionnel. Et je les suis, je leur demande comment ça va : j’ai je ne sais combien de photos de familles passées par là ! » L’Américaine se souvient d’« une fille tombée raide dingue des ânes », deux frères équidés chargés de débroussailler les environs du buron. « Le jour où elle est partie, les ânes ont sauté la barrière et se sont barrés en bas ! »
L'ambiance douce et chaleureuse du buron de la Chambe, éclairé à la bougie ou au feu de cheminée. Photo Jérémie Fulleringer.
Les buronniers, les vrais, n'avaient ni électricité ni wifi...Le vacher, le boutiller et le pâtre prenaient le chemin de l’estive et passaient l’été là-haut, autour des vaches, des veaux, de la loge à cochons et de la cave voûtée qui servait à l’affinage du fromage. Les buronniers, les vrais, n’avaient pas d’électricité. Alors à Brezons, aux burons de la Tagadure, ouverts à la location depuis cette année, réussir le raccordement enterré au réseau, à 1.441 mètres d’altitude, constituait un petit « exploit » technique.
Les burons de la Tagadure, à Brezons, viennent d'ouvrir à la location. Photo William Duran.
Heureux propriétaires des lieux, Martine et Daniel Deconquand ont tourné la page du Café de la gare, une brasserie parisienne idéalement située à Antony (Hauts-de-Seine), en face du RER B et de l’Orlyval, pour prendre de la hauteur et valoriser ce trésor caché du patrimoine auvergnat. Le couple a misé sur un aménagement tout confort : cuisine professionnelle, plancher chauffant, cabine de sauna près des vaches salers, bain nordique avec vue sur le plomb du Cantal... sans oublier la connexion wifi proposée par Starlink (constellation de 5.000 satellites en basse-orbite alignés par une firme d’Elon Musk, le maître à penser de Tesla).
Un investissement « conséquent », quatre années de travaux (dont deux rien que pour l’administratif) mais une volonté acharnée : « faire connaître ce versant-là de la vallée de Brezons », souligne Daniel Deconquand, amoureux du coin et joueur de cabrette. Certains de ses clients arrivent des métropoles, parfois en séminaire avec leur grande entreprise (la SNCF, EDF, Afflelou...). « Ils aiment s’évader du monde de la civilisation », retient-il. L’hiver, afin de monter au petit ou au grand buron de la Tagadure, il convient de chausser ses raquettes et de suivre les traces expertes d’un guide de montagne, sur 3,7 km. L’été, « au bord de mer, il fait si chaud que les gens demandent de la fraîcheur », parie Daniel Deconquand. Le nouveau luxe ?
Les burons de la Tagadure offre une vue imprenable sur la vallée de Brezons. Photo William Duran.
« Partager une expérience d'isolement total »Pionnier, le buron de Niercombe, acquis en 2004 par Isabelle et Friedrich Pfeffer, a ouvert la voie. Rénové dans les règles de l’art, il a gardé son aspect rustique, subtilement dépouillé. Pour y accéder, il faut traverser une petite forêt jolie comme tout. Lorsque le couple a découvert cet amas de pierres, au bout d’une longue randonnée d’octobre, eux deux n’en croyaient pas leurs yeux. Elle voyait enfin ce buron, en couverture d’un livre avec lequel elle a grandi. Lui retrouvait là ses racines, ses terres natales de la moyenne montagne autrichienne. C’est cet enchantement qu’Isabelle Pfeffer prend le soin de transmettre aux vacanciers. Beaucoup viennent des grandes villes. Ils ont « envie de couper », en se lançant à la recherche « du contact avec la nature que la plupart ont perdu, formule-t-elle. L’idée, c’est de partager une expérience d’isolement total » pour mieux se ressourcer. Et pour l’anecdote, s’il y a bien une douche à Niercombe (avec eau chauffée par un panneau solaire), mieux vaut savoir qu’il s’agit une douche extérieure, à l’air libre. « C’est rare que l’on tombe sur son voisin », rassure la propriétaire, à 1.424 mètres d’altitude, face à une vue belle à tomber à la renverse.
Le buron de Niercombe, acheté et rénové par Isabelle Pfeffer, a ouvert la voie. Photo R.B.
Tendance, l’hébergement touristique en burons ? Difficile à affirmer, parce que les saisons sont marquées par une « irrégularité » assez déconcertante, note Isabelle Pfeffer. « Ceci étant, je suis un mauvais exemple », nuance-t-elle, expliquant faire relativement peu de publicité. Non, vous ne trouverez jamais Niercombe sur Airbnb. Le buron se mérite !
Vingt ans après, quand elle y repense, elle rit doucement et a de quoi. À l’époque, « les gens nous prenaient pour des fous complets, totalement illuminés ! » Aujourd’hui, ils rêvent de l’imiter et certains, zieutant la moindre ruine disponible, finissent par se lancer.
"Basalte", une oeuvre de land art de Nils-Udo, se cache en contrebas du buron de Niercombe. Photo R.B.
« Notre priorité a été de faire vivre ce buron, retrace Isabelle Pfeffer. Alors il fallait qu’il soit habité, pour que l’on puisse partager ce patrimoine régional avec d’autres. » Deux techniques de voûtes, à recouvrement ainsi qu’à encorbellement, avaient été utilisées pour assembler ces immenses pierres à flanc de montagne. Un témoignage rare « d’intelligence humaine », une marque de « la force colossale » nécessaire pour bâtir ces ouvrages dans un environnement si isolé et escarpé, « une trace de civilisation » ou encore « une preuve historique de la vie » dans les reliefs, valorise Isabelle Pfeffer, à qui « la mode » des burons retapés doit beaucoup. Elle a d’ailleurs été nommée en 2021 par la ministre Roselyne Bachelot au grade de chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres, en tant que « restauratrice dans le domaine du patrimoine de montagne ».
Romain Blanc
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