Paris 2024 : sur les traces du Monistrolien Jordan Sarrou, en lice pour une médaille en VTT cross-country

À Monistrol-sur-Loire, l’effervescence grimpe en flèche depuis une semaine. Dans le bastion de Jordan Sarrou, on se prépare à vibrer derrière l’enfant du pays, qui va participer à ses deuxièmes Jeux olympiques. De par sa simplicité et la fidélité à sa région d’origine, le vététiste tricolore a su fédérer autour de lui.

« Il était mauvais perdant, donc on a vite décelé qu’il valait mieux l’orienter vers un sport individuel »

C’est évidemment chez ses parents qu’il faut se rendre afin de trouver les premiers supporters du Monistrolien. Jean-Louis et son épouse Monique se sont attelés pendant plusieurs jours à préparer leur départ en direction de la région parisienne. « Nous partons avec des drapeaux et des affiches, il aura son fan-club », sourit le papa. Depuis plus de vingt ans, cet ancien rugbyman est un soutien indéfectible, porté par la détermination et les ambitions de son fils.

L’histoire d’amour entre Jordan Sarrou et le vélo s’est manifestée très tôt durant son enfance. Après deux saisons passées au club de football de Sainte-Sigolène, les parents n’ont pas tardé à comprendre que ce « petit garçon facile à élever et introverti » n’était pas fait pour taper dans le ballon rond. « Ses copains ne couraient pas comme il l’aurait voulu, s’amuse Jean-Louis. Il était très mauvais perdant, donc on a tout de suite décelé qu’il valait mieux l’orienter vers un sport individuel. »Jean-Louis et Monique seront lundi au rendez-vous pour encourager leur fils. Photo Lucas Jacquet

Les Sarrou se sont alors tournés vers le club cycliste de Golène Évasion, présidé à l’époque par l’oncle de Jordan, Lucien Mounier. C’est là-bas également que brillait son cousin, Jérémy Mounier, lui aussi vététiste de talent, au palmarès bien étoffé. 

« Jordan était fan de son cousin et Jérémy l’a pris sous son aile », se souvient Lucien Mounier. L’ancien dirigeant assure avoir rapidement perçu un potentiel certain chez son neveu. « C’était quelqu’un de très calme et concentré. Il a tout de suite fait preuve de technicité et on sentait qu’il avait quelque chose en plus pour réussir. »

C’est à l’âge de huit ans, dans la catégorie des pupilles, que Jordan Sarrou a enfourché son vélo pour la première fois en compétition, sur le célèbre Roc d’Azur. « Il avait fait 32e et il n’était pas content. Déjà, il fallait monter sur la boîte (rires) », se souvient son papa.

Les années ont passé et l’ambition ne s’est jamais dissipée. À tel point que ses parents ont dû investir dès son plus jeune âge, afin de l’accompagner. « À ses 13 ans, nous avions passé un deal tous les deux, explique Jean-Louis Sarrou. Il m’a dit que la compétition c’était vraiment du sérieux et j’ai donc décidé d’acheter un camping-car pour le suivre et lui offrir du confort. » Voilà comment le commercial de l’époque s’est retrouvé à sillonner les routes de France durant les week-ends, en plus de la semaine.

« Quand on voyait les Mounier suivre Jérémy partout, on se disait qu’ils étaient fous. Puis, on a rapidement commencé à faire pareil. Entre mon boulot et le VTT, je parcourais près de 100.000 kilomètres par an, sur la route. »

Une nouvelle étape a été franchie quand, à 15 ans, Jordan Sarrou a demandé de quitter le cocon familial de Monistrol pour rejoindre le pôle France à Besançon. « Je me souviens qu’il avait fait cette annonce un dimanche matin. J’avais alors pris mon ordinateur pour créer un document avec deux colonnes, afin d’opposer les avantages et les inconvénients. J’avais blindé la partie inconvénients, mais ça n’avait pas suffi à le dissuader », se remémore son papa. L’Altiligérien souhaitait se donner tous les moyens possibles de réussir.Jordan Sarrou a été champion dans toutes les catégories, des cadets aux élites : un cas unique !

« Même à l’adolescence, quand il faisait des sorties, il était toujours de retour à minuit. Il s’imposait cette rigueur. » Tous les sacrifices effectués n’ont pas tardé à payer. En 2008, il devenait champion de France chez les cadets, avant de récidiver chez les juniors. Pour continuer de grandir, le natif de Saint-Étienne avait signé chez Creuse Oxygène, dans un club réputé pour former des jeunes prometteurs. Mais cela ne suffisait pas encore à lui tracer un avenir. « Chez les cadets, on devait encore lui acheter son vélo et ça coûtait près de 5.000 euros », souligne Jean-Louis.

« Il faut savoir qu’il a la particularité d’avoir été champion de France dans toutes les catégories, des cadets jusqu’aux élites. Là où même d’immenses champions comme Miguel Martinez ou Julien Absalon ont échoué »

Le jeu en valait la chandelle puisque Jordan Sarrou dépassait ensuite toutes les attentes chez les espoirs, en 2014, après des passages dans différentes équipes de haut niveau. Il s’offrait de nombreux titres nationaux et surtout mondiaux, pour s’ouvrir définitivement les portes du VTT professionnel.

« C’est là qu’on a vraiment compris qu’il pouvait faire de grandes choses, reconnaît son père. Mais il a gardé la tête sur les épaules et ne s’est jamais pris pour un cador. »

Cette mentalité lui a permis d’avaler une première saison difficile chez les plus grands. Le temps de s’acclimater après avoir largement rempli son armoire à trophées chez les jeunes. Il a fini par franchir le cap, pour aussi marquer l’histoire du VTT français chez les élites.

En 2020, dans un contexte particulier avec la pandémie de Covid, il devenait champion de France et triomphait surtout lors des championnats du monde de Leogang (Autriche), pour s’offrir l’emblématique maillot arc-en-ciel. « C’était un jour où il avait des jambes extraordinaires, raconte son papa. Il nous avait appelés en disant qu’il était zen et se sentait bien. Ce jour-là, il a fait la course de sa vie. »

Ce qui reste encore aujourd’hui le point culminant de sa carrière, s’assimile à une juste récompense pour quelqu’un qui a travaillé dur depuis son plus jeune âge, pour tracer son chemin. « Il n’a jamais passé dix paliers d’un coup, c’est un garçon qui a franchi les étapes une par une », souligne Frédéric Machabert, journaliste vellave spécialisé VTT et ancien chargé des relations presse de Jordan Sarrou.

« Il faut savoir qu’il a la particularité d’avoir été champion de France dans toutes les catégories, des cadets jusqu’aux élites. Là où même d’immenses champions comme Miguel Martinez ou Julien Absalon ont échoué », insiste-t-il.En 2020, le Monistrolien avait remporté le championnat du monde. Photo Frédéric Machabert

Cette grosse année 2020 lui avait donc logiquement ouvert les portes des JO de Tokyo en 2021, pour l’autre grand rendez-vous de sa carrière. Durant lequel il avait dû se contenter d’une neuvième place.

Malgré toute cette exposition, Jordan Sarrou a gardé les pieds sur terre, selon ceux qui le côtoient depuis de nombreuses années. « À 15 ans ou 31 ans, j’ai l’impression de voir la même personne. C’est un garçon bien élevé qui sait d’où il vient et où il veut aller. Il n’a pas changé », loue Frédéric Machabert. « Il rend parfois encore visite au club de Golène Évasion. Même s’il n’est plus dans la région, nous savons qu’on peut encore faire appel à lui », apprécie Lucien Mounier.

Celui qui soufflera ses 32 bougies en fin d’année a aussi gardé les précieux soutiens de ses débuts. Ses parents ne parcourent plus seulement la France et vont désormais au-delà des frontières hexagonales, pour encourager leur prodige. Même si, parfois, le champion met son veto afin d’optimiser sa préparation. Ce fut le cas au printemps dernier quand la famille avait prévu d’aller passer plusieurs jours au Brésil, pour visiter le pays et surtout assister à deux manches de Coupe du monde. 

« Quelques semaines avant l’échéance, il était venu à Monistrol, raconte le papa. Il nous a fait comprendre qu’il avait besoin de rester dans sa bulle, avec l’enjeu de décrocher la qualification pour les Jeux. » Un choix payant puisqu’il avait réalisé de solides prestations. Dans la lignée d’une très bonne saison 2023, où il avait remporté la première manche de Coupe du monde de sa carrière et décroché la deuxième place au général. Une belle récompense pour cet exemple de régularité.

Cet été, Jordan Sarrou a renouvelé l’expérience de l’isolement, cette fois en altitude du côté de Puy Saint-Vincent, pour produire des globules rouges. Sa belle-famille lui avait aménagé une bergerie à 2.000 mètres d’altitude où il a pu dormir durant trois semaines. Ce dernier gros rendez-vous de la préparation, avant de rejoindre la délégation cycliste française, témoigne de l’importance accordée aux JO par l’athlète.

Une chose est certaine, Jordan Sarrou ne devrait plus se sentir seul, ce lundi à 14h10, au moment de s’élancer vers son rêve de médaille olympique, sur la colline d’Élancourt. Pendant que les Monistroliens seront réunis au gymnase du Mazel pour suivre sa course sur écran géant, ses parents seront évidemment sur le bord du parcours. Prêts à le pousser comme ils le font depuis sa première compétition à huit ans. Pour peut-être assister au plus grand jour de sa carrière, celui qui changerait le destin de toute une vie.

Lucas JACQUET