Béziers, la féria et les furieux
L’affiche de la féria de Béziers 2024 a créé la polémique avec un dessin signé Jean Moulin. Le héros de la Résistance était un aficionado ! Cela a fait hurler les anticorrida…
Béziers ne manque décidément jamais de créer la polémique. C’est au tour de l’affiche de la féria 2024, durant laquelle se dérouleront notamment quatre grandes corridas de taureaux, de faire scandale. Pourquoi ? Regardez-là de plus près ! (voir notre reprodution ci-dessous) Elle est signée… Jean Moulin ! Pas un obscur Jean Moulin, non. C’est bien Moulin le résistant. Natif de Béziers ! Lors de la présentation de cette affiche le 7 mai, Robert Ménard s’en explique : « Jean Moulin a adoré et dessiné la tauromachie. Ce dessin est un bel exemple de la façon dont il a salué cet art décrié par certains et défendu ici. » C’en est trop pour les anticorridas. Moulin à la rescousse de cette barbarie, et puis quoi encore ? Levée de boucliers.
« C’est quand même tordre la réalité d’une manière scandaleuse. Personne ne peut dire ce que Jean Moulin pensait de la corrida », déclare à Midi libre le conseiller municipal à la Mairie de Béziers, Thierry Antoine. Le Colbac (Comité de liaison biterrois pour l’abolition de la corrida) dénonce lui une « récupération honteuse », « un mensonge et une manipulation de l’opinion ». La Ville de Béziers possède 500 dessins de Jean Moulin, dont treize illustrent le monde taurin. Sur deux d’entre eux, homme et bête sont représentés. Romanin (pseudonyme avec lequel il signait ses dessins) esquisse la charge du taureau qu’il semble bien connaître. Deux autres mettent en majesté le torero, seul. Les matadors en piste, tels que les dessine Moulin, sont pleins de grâce, d’une beauté hiératique. Le peintre et aficionado Lilian Euzéby s’enthousiasme : « Moulin croque les physionomies et les attitudes des toreros avec un sourire fraternel. On pense immanquablement à Goya et à la figure grimaçante d’une humanité qui lui était si chère. Un détail attire mon attention. C’est le visage de ce jeune torero qui semble interroger le ciel. Son corps est esquissé par une figure qui paraît ailée avec ses deux bras tendus vers le haut (ange ou banderillero). » Certes, comme le rappellent les anticorridas, aucun écrit de Moulin, aucune déclaration ne relate une possible afición à la tauromachie de sa part. Mais quel farouche opposant à la corrida dessinerait ainsi les matadors ? Peu de place au doute. Ces dessins au crayon rappellent aussi ceux de Montherlant, aficionado comme Goya. Ce que je retiens, moi, de tout cela, c’est que Jean Moulin, héros français, incarnation du courage – mental et physique – ayant affronté et résisté à la peur et à la douleur, fut spectateur des corridas. Et plus encore, qu’il en fut un observateur à l’œil aiguisé, capable d’esquisser les poses de danseurs ou de triomphateurs de ces héros des arènes. La corrida, « c’est la fête du courage, c’est la fête des gens de cœur », chante Escamillo dans le Carmen de Bizet. Notre héros national, nous le savons désormais, a participé à cette fête. Moulin n’était pas un barbare, il fut victime de la barbarie. De celle de Klaus Barbie. Les anticorridas ont eu raison de cette affiche puisque la Ville de Béziers, fatiguée des attaques sans fin, a décidé le 24 juin de la retirer. Qu’importe, Moulin aficionado, nous le savons désormais !
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