"Si Israël entre en guerre contre le Hezbollah…" : Libanais et Israéliens entre angoisse et désarroi
Les enfants étaient en train de jouer au football à Majdal Shams, un village situé sur le plateau du Golan annexé, dans le nord d’Israël, quand un missile est tombé sur eux, le 27 juillet. Bilan : douze morts et une trentaine de blessés. "L’attaque la plus meurtrière contre des civils israéliens depuis le 7 octobre", a réagi l’armée israélienne. Aussitôt, l’État hébreu a accusé le Hezbollah libanais d’être l’auteur du tir de roquette, suivi de la Maison-Blanche. Mais pour l’heure, le groupe islamiste chiite nie toute responsabilité dans cette attaque. Reste que compte tenu de l’escalade des tensions avec Israël d’une part, et la guerre qui se poursuit à Gaza de l’autre, ce raid meurtrier, suivi d'une frappe d'Israël contre un commandant du Hezbollah ce 29 juillet près de Beyrouth, pourrait bien être l’étincelle susceptible d’ouvrir un nouveau front avec le bras armé de l’Iran, dont les Libanais, déjà empêtrés dans une crise économique majeure depuis 2019, seraient les premières victimes.
Majdal Shams a deux particularités. D’abord, le village compte de nombreux Syriens, dont plusieurs milliers ont obtenu la nationalité israélienne en raison de la situation politique en Syrie. Mais la plupart sont également druzes, une communauté musulmane vieille de dix siècles, que l’on retrouve certes en Israël, en Syrie mais aussi… au Liban, où ils représentent environ 5,5 % de la population. C’est l’une des raisons qui rend Ayman*, un professeur des universités libanais qui vit à Choueifat (une région majoritairement druze du Liban), si circonspect sur l’objectif de cette attaque. "Le Parti socialiste progressiste, qui représente les Druzes au Liban, n’a pas critiqué le Hezbollah, encore moins sa relation houleuse avec Israël. Une guerre communautaire entre les chiites et les Druzes ne servirait à personne !", s’emballe-t-il.
De fait, d’après une étude du Baromètre arabe, qui a interrogé les Libanais sur l’implication du Hezbollah en matière de politique régionale, c’est chez les Druzes que l’augmentation des opinions favorables depuis 2022 a été la plus importante (plus 10 points) - même si au total, seul un tiers des sondés ont répondu en ce sens. Pour Ayman, l’attaque du 27 juillet est donc incompréhensible. Au point qu’il ne pourrait s’agir, selon lui, que d’une "erreur" de ciblage…
"Nous sommes anesthésiés"
"Pour beaucoup, si Israël entrait en guerre contre le Hezbollah, ça ne changerait pas grand-chose par rapport à d’habitude, explique-t-il. Ici, tout le monde a bien vu que le Hezbollah a évacué plusieurs centres militaires, que la Croix-Rouge est en état d’urgence depuis le 27 juillet, que les vols vers le Liban sont perturbés... Mais les Libanais sont habitués aux attaques militaires continues depuis la guerre civile de 1975. Nous sommes un peu anesthésiés sur ce sujet."
Quant à imaginer un Hezbollah seul à la manœuvre, dans le déclenchement d’une guerre, le professeur ne cache pas ses doutes sur le groupe chiite, qui n’a "aucune indépendance". "Il reçoit ses ordres depuis l’Iran ! Tout dépendra donc de la politique iranienne dans la région. Mais le Hezbollah n’a plus envie de faire une guerre ouverte. Il sait bien que depuis le 7 octobre, de nombreux Libanais ne manifestent plus aucune solidarité avec lui, car ils considèrent qu’il prend en otage le Liban au profit de l’Iran."
Depuis le 8 octobre, environ 80 000 Israéliens habitants au bord des frontières avec le Liban ont quitté leur domicile pour aller vers Tel-Aviv et d’autres villes moins exposées en cas d’attaque. Mais au Liban aussi, plus précisément dans les communes chiites du sud du pays, la situation a poussé de nombreux habitants à se déplacer. C’est le cas de Ali*, un jeune agriculteur qui a dû fuir la ville de Bint-Jbeil, située à 4 km des frontières avec Israël pour se réfugier à Beyrouth. Lui, vit au jour le jour. "On n’arrive pas à deviner l’avenir, c’est très compliqué. Tout dépend des réactions d’Israël et du Hezbollah. Mais tout le monde a peur. Plus de 80 000 libanais ont dû quitter leurs communes. Les bases militaires du Hezbollah sont disséminées parmi les maisons. N’importe quelle frappe israélienne peut toucher les civils. Mais on ne peut rien faire. Depuis le 7 octobre, on s'est tous habitués à la peur. Avec les attaques quotidiennes entre les deux belligérants, on a l’impression de vivre une guerre à épisodes."
Le spectre de l’embrasement
Retour en Israël, à Haïfa, où vit Jonathan El Khoury. Lui est d’origine libanaise chrétienne, responsable de la communication de Diolpact, une association civile spécialisée dans l’information sur la vie quotidienne en Israël à l’attention de l’étranger. Lui aussi pense que la réponse d’Israël après le 27 juillet sera massive. Sa colère est palpable. "Israël n’est pas intéressé par une guerre contre le Liban, mais il se protège face au Hezbollah ! Dans cette situation, il est essentiel que les Libanais soient unis face à ces terroristes".
De fait, le spectre d’une guerre imminente entre le Hezbollah et Israël est envisagé par de nombreux observateurs du Proche-Orient. À commencer par Aaron David Miller, membre senior du Carnegie Endowment for International Peace, aux Etats-Unis, qui, le 28 juillet, déclarait sur CNN que "cette guerre pourrait potentiellement créer une situation que nous n'avons jamais vue dans cette zone : une guerre régionale majeure, susceptible d’entraîner le Golfe et même de conduire à une confrontation directe entre les États-Unis et l’Iran".
C’est aussi l’une des craintes de Jonathan El Khoury : "en cas d’embrasement, cela risque de se transformer en une guerre entre l’Iran, les Houthis au Yémen, la Syrie, d’un côté, et Israël et les États-Unis de l’autre". Ce qui le rend fou tient en une phrase : "Aujourd’hui, le Hezbollah a plus de 200 000 missiles. Ce n’est pas normal. Pour les Israéliens, ce qui s’est passé le 7 octobre ne peut se répéter. On ne désire pas la guerre, mais on est prêt si on nous attaque. Nous avons le droit de vivre en sécurité, tout comme les Libanais qui souffrent des décisions du Hezbollah."
Et de conclure : "Druzes ou pas, les Israéliens seront solidaires avec les victimes. Les Druzes sont une partie de notre société, de nombreux militants sont allés à Majdal Shams pour participer aux funérailles. A la suite du massacre, des juifs ont d’ailleurs fait une prière partagée avec les Druzes. Nous avons pleuré le 7 octobre, et on a repleuré, avec la même douleur, le 27 juillet."
* Ecrivain et poète né à Damas, Omar Youssef Souleimane a participé aux manifestations contre le régime de Bachar el-Assad, mais, traqué par les services secrets, il a dû fuir la Syrie en 2012. Réfugié en France, il a publié chez Flammarion Le Petit Terroriste, Le Dernier Syrien, Une chambre en exil, et récemment Etre Français.