Objectif nostalgie: une marque japonaise dépoussière l'argentique
Au lieu de tout simplement appuyer sur le bouton d'un smartphone, de plus en plus de jeunes "veulent faire l'expérience de ce qui est à l'origine d'une prise de vue: enrouler la pellicule, regarder dans le viseur et déclencher l'obturateur", explique à l'AFP Keita Suzuki, qui guide des passionnés de photo argentique à travers Kamakura, une ville japonaise située au bord du Pacifique.
Un autre intérêt de la photo argentique est qu'une pellicule physique limite le nombre de prises de vue, ce qui contraint à réfléchir aux souvenirs à "enfermer" dans chaque cliché.
M. Suzuki note un intérêt croissant des adolescents et des jeunes pour les pellicules 35 mm qu'ils emmènent développer pour la première fois.
Yuriko Yamada fait partie de la vingtaine de personnes qui ont pris part à une balade photographique de M. Suzuki à travers Kamakura, au sud-ouest de Tokyo.
Armés de leurs encombrants appareils photos, tous s'arrêtent pour photographier les fleurs pastel d'un hortensia.
"Les photos numériques sont claires et nettes, mais je préfères les photos argentiques aux couleurs douces", explique cette jeune femme de 34 ans.
S'il "faut du temps pour voir le produit final", elle dit apprécier ce "processus" qui lui donne "un sentiment de nostalgie".
"Enorme" engouement
Les plus grandes marques japonaises d'appareils photo ont cessé de fabriquer des modèles argentiques dans les années 2000 face à la montée du numérique.
Dans les grandes villes du Japon, beaucoup de vendeurs d'appareils photo ont ressorti de vieux modèles pour cette nouvelle génération de passionnés de l'argentique.
Il reste cependant difficile de faire réparer les anciens appareils car les pièces détachées ne sont plus produites, regrettent des passionnés de l'argentique.
Pour faire face à la demande, la compagnie Pentax a sorti son premier modèle argentique en 21 ans. Depuis juin, le Pentax 17 est en vente en Europe et aux Etats-Unis, et depuis juillet au Japon.
Ce modèle compact à focale fixe est conçu pour prendre des photos en demi-format, ce qui permet notamment de prendre deux fois plus de photos avec une pellicule de 24 poses et de réaliser des portraits comme avec un téléphone.
Il a connu un tel succès au Japon qu'il a été vite impossible de le précommander, selon le fabricant Ricoh Imaging Company.
Le concepteur de ce produit et designer Takeo Suzuki, surnommé TKO, figure vénérée des amateurs de photographie, affirme que Ricoh a été "surpris" par cet "énorme" engouement mondial.
Le projet de cet appareil est né vers 2020 mais il n'a pas été facile à réaliser.
"Il s'agissait d'un projet totalement nouveau, et c'est pourquoi nous avons tâtonné", souligne son concepteur, qui se souvient avoir rencontré "tellement d'obstacles".
Les ingénieurs de Pentax ont utilisé des dessins d'archives d'anciens appareils, certains sur papier, pour essayer de fabriquer des remontoirs manuels et d'autres technologies analogiques.
Obstacles
Mais ils se sont heurtés à des difficultés, conduisant l'entreprise à rappeler des collègues à la retraite pour leur prêter main forte.
"Ils nous ont enseigné des astuces qui ne figuraient pas sur les plans mais qui étaient (...) dans leur tête", raconte-t-il, se félicitant d'avoir "ressuscité l'ancienne technologie petit à petit".
Les appareils photo instantanés et jetables fabriqués par Fujifilm, le rival de Ricoh, sont également devenus populaires.
Les ventes de l'Instax, de la taille d'une paume de main, lancé en 1998 par Fujifilm pour concurrencer Polaroid, ont stagné dans les années 2000 en raison du passage aux appareils photo numériques.
Mais elles sont ensuite reparties à la hausse, en partie grâce à une gamme élargie comprenant des modèles classiques et élégants conçus pour plaire aux hommes et aux clients plus âgés, selon l'entreprise.
Yoshinobu Ishikawa a repris en 2000 l'entreprise familiale, Popeye Camera, un magasin spécialisé dans la photographie argentique à Tokyo.
Les appareils photo numériques étaient alors en plein essor, ce qui a failli entraîner la fermeture de son commerce.
A l'époque, "les jeunes avaient du mal à entrer", car la plupart des clients masculins plus âgés avaient des "conversations techniques" avec le personnel qui les "intimidaient".
Mais aujourd'hui, M. Ishikawa tente de les séduire en leur proposant des articles amusants tels que des autocollants pour décorer les photos et des sangles en cuir, ainsi qu'un service de développement personnalisé, qui consiste à parler aux clients du style qu'ils souhaitent.
"Les jeunes voient la photographie argentique sur les réseaux sociaux et veulent s'y essayer", explique-t-il.