Pourquoi on aime tant détester Nelson Monfort
Le journaliste sportif commente cet été les Olympiades parisiennes, et continue de délicieusement nous exaspérer. Peut-être pour la dernière fois…
Lunettes rondes aux montures dorées, cheveux bouclés aux nuances de gris fluctuantes au gré des années, intonation à mi-chemin entre Philippe de Villiers et Bourvil… Nelson Monfort fait partie des gueules – et des voix – du paysage audio-visuel. « How are you my dear friend ? » Pour quiconque a grandi dans les années 90, Nelson Monfort est mieux qu’un journaliste sportif de la télévision publique : c’est une sorte de traducteur automatique intégré dans chaque nouveau téléviseur acheté. Avec sa crinière grise, on le remarque au loin se lever dans les gradins, s’en aller attraper un joueur de tennis, et capturer une ou deux sensations de champion.
Au fil des ans, les voix emblématiques du sport français ont disparu, mises sur la touche et remplacées par des enragés de données statistiques qui commentent les exploits sportifs comme ils pourraient commenter la bourse. Nelson Monfort, avec sa touche américaine et ouest-parisienne, est le dernier de ces Mohicans, moins dans l’analyse chiffrée que dans l’exclamation de superlatifs dithyrambiques.
Tournures archaïques et envolées lyriques
Dans la presse écrite, Tennis magazine notamment, il s’était fait remarquer par ses tournures archaïques et ses articles émaillés de « Que nenni ! ». À la télévision non plus, il n’est pas avare d’envolées lyriques. Devant le spectacle d’une équipe de France de patinage qui se rétame, il se laisse aller à la comparaison historique : c’est Azincourt, c’est Trafalgar, c’est Roland à Roncevaux. Ses questions à rallonge, avec traduction immédiate de l’américain au français, ont fait fuir certains athlètes en plein milieu d’interview. Pourtant, le passage au micro de Nelson Monfort fait partie des incontournables de la vie d’un sportif de haut niveau – presque le quatrième temps fort d’un triathlon télévisé.
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Lost in translation
Alors bien sûr, on peut trouver dans les archives une ou deux jolies bourdes. La plus fameuse remonte à 1995, quand à l’issue de la finale de Roland Garros, l’Américain Michael Chang remercie son coach, sa maman, son papa et son ami Luigi. Petite faille de l’oreille de Nelson, qui n’a pas entendu que l’hommage s’adressait en fait… à Jésus. Une séquence qui a fait le bonheur des bêtisiers pendant des lustres. En 2021, il s’émerveillait qu’une athlète ougandaise ait fait l’effort de lui répondre en anglais, pourtant la langue officielle de… l’Ouganda.
Nelson Monfort, c’est aussi des jeux de mots à faire pâlir l’almanach Vermot. Aux Jeux d’hiver de Vancouver de 2010, il file la métaphore légumineuse lorsque la Sud-Coréenne Cho Ha-ri se fait doubler par Stéphanie Bouvier sur le fil, laquelle « ne s’est pas laissée déstabiliser par ce Ha-ri Cho cuit plus ou moins à la vapeur ». Toujours dans la même quinzaine canadienne : « C’est terrible, c’est terrible, l’équipe d’Ha-ri Cho est cuite ». Un enchainement que n’aurait pas renié Thierry Roland. En 2010, face à la nageuse française Aurore Mongel, évoquant Roxana Maracineanu, pas encore ministre des Sports, il ose : « Roxana est votre première supportrice et la trésorière de votre fan-club. Attention, parce qu’avec les Roumains, il faut faire attention sur ce plan-là ». Quelques années plus tard, le duo priapique qu’il forme avec Philippe Candeloro, pour commenter le patinage artistique, est épinglé, au temps béni où Najat Vallaud-Belkacem était ministre du Droit des femmes. Peu à peu, les acolytes ont dû lever le pied sur les postérieurs des patineuses et sur les anacondas qui aimeraient embêter telle « jeune Cléopâtre canadienne ».
De temps en temps, Nelson Monfort agace. Pendant le Covid, alors que les travées de Roland Garros sont désertes, sa voix en interview résonne un peu partout, et les joueurs lui envoient des « Ta gueule, Nelson ! ». Mais il y a autant de tendresse que d’impatience à l’égard de la mascotte de la porte d’Auteuil.
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Est-il un collègue sympathique ? Il y a quelques années, Patrick Montel s’en était plaint, l’accusant d’avoir jeté à la poubelle sa collection de cassettes VHS « soigneusement rangées et étiquetées ». « Coup de poignard intellectuel », « acte de délinquance ordinaire », « cambriolage misérable ». Heureusement, de l’eau a coulé sous les ponts depuis, et l’on sait grâce à Jordan de Luxe que les deux hommes se sont rabibochés.
Chant du cygne de Monfort ?
Nelson Monfort, c’est enfin l’âge d’or du sport « gratuit » à la télévision (à condition de payer la redevance). Avant qu’Amazon Prime ne récupère une partie de Roland Garros, Canal + la Formule 1 et BeinSports les Coupes d’Europe de football… Ce sont ces après-midi de juin, durant lesquels il fait trop beau pour travailler…
Sur les réseaux sociaux, pourtant, le ton du Franco-américain ne passe plus, et certains téléspectateurs réclament sa tête ces jours-ci. Ça tombe bien, son contrat s’arrête fin 2024. Déjà, Delphine Ernotte avait fait l’effort de le prolonger de dix-huit mois, pour lui permettre de couvrir les JO… Mais s’il n’était pas une nouvelle fois renouvelé, il en serait fini de cette école désuète de journalistes sportifs, pas plus connaisseuse que ça des épreuves qu’ils commentent, mais sympathiquement chauvine.
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