L'ancien anesthésiste Péchier renvoyé devant les assises pour 30 empoisonnements
Les deux juges d'instruction ont signé lundi l'ordonnance de mise en accusation (OMA) devant la cour d'assises, un document de 369 pages qui résume les charges pesant sur M. Péchier et qui a été notifié dans la journée à la défense et aux parties civiles, a indiqué à l'AFP le procureur de la République de Besançon Etienne Manteaux.
Les magistrats instructeurs ont donc décidé de renvoyer M. Péchier, qui n'a jamais cessé de clamer son innocence, devant les assises pour qu'il soit jugé pour des empoisonnements lors d'opérations chirurgicales de 30 patients, dont 12 sont décédés.
Pour ces faits présumés, Frédéric Péchier, 52 ans, encourt la réclusion criminelle à perpétuité, a indiqué le procureur de Besançon.
Le praticien ne sera en revanche pas jugé pour deux autres cas pour lesquels il avait été placé sous le statut de témoin assisté, plus favorable qu'une mise en examen, les juges ayant décidé pour ces deux empoisonnements d'un non-lieu partiel, a encore indiqué M. Manteaux.
"Dimension vertigineuse"
L'ensemble de ces décisions est "conforme aux réquisitions" que M. Manteaux avait communiquées à la presse en mai dernier, a-t-il souligné. La défense de M. Péchier n'a présenté aucune observation à l'issue de ces réquisitions, a relevé le magistrat.
La défense dispose désormais de 10 jours pour contester ce renvoi, a précisé le procureur, qui n'a pas été en mesure de donner une date quant à la tenue du procès qui ne pourra de toute façon pas se tenir avant l'an prochain.
Frédéric Péchier est soupçonné d'avoir pollué, entre le 10 octobre 2008 et le 20 janvier 2017, les poches de perfusion de patients dans deux cliniques privées de Besançon pour provoquer des arrêts cardiaques puis démontrer ses talents de réanimateur, mais aussi pour discréditer des collègues avec lesquels il était en conflit.
Initialement, la justice avait été saisie pour 77 événements indésirables graves (EIG).
L'affaire avait débuté lorsqu'une anesthésiste d'une clinique de Besançon avait donné l'alerte après trois arrêts cardiaques inexpliqués de patients en pleine opération.
Ce dossier est "sans précédent" dans les annales de la justice française, "on n'est pas du tout dans un cadre d'euthanasie", a insisté Etienne Manteaux.
"C'est totalement unique" car les faits reprochés ne visaient pas à "empoisonner pour abréger les souffrances de patients. Là, ce sont des personnes pour la plupart en bonne santé qui venaient subir des opérations anodines" et "dont le pronostic vital n'était pas engagé".
"L'autre dimension vertigineuse de ce dossier", c'est que les patients n'étaient pas visés en tant que tels, a analysé M. Manteaux: selon le scénario de l'accusation, ce sont en effet les médecins avec lesquels M. Péchier était en conflit qui étaient visés, les patients n'étant "qu'un vecteur pour (les) atteindre", a-t-il ajouté.
"Sauveur"
Dans la grande majorité des cas, les nombreuses expertises qui émaillent ce dossier extrêmement complexe ont jugé qu'il existait des "suspicions fortes" - dans quelques cas des "certitudes" - que des substances en doses parfois létales avaient été administrées aux patients venus se faire opérer dans les deux cliniques où officiait M. Péchier, souvent pour des interventions bénignes, avait indiqué M. Manteaux en mai.
Sur 1.514 personnes recensées par les enquêteurs et susceptibles d'avoir eu accès aux salles d'opération entre 2008 et 2017, M. Péchier est la seule "présente dans ces établissements, aux périodes où les 30 empoisonnements présumés ont été constatés", avait assuré M. Manteaux.
"Primo intervenant quand survenait un arrêt cardiaque", il avait, selon ses collègues, "toujours la solution", "se prenait pour le meilleur" et "s'était créé un vrai personnage charismatique de sauveur", avait-il encore pointé, notant que, "dans les empoisonnements où les patients sont décédés, il était en conflit plus marqué avec les collègues auxquels ça arrivait".
Après avoir gardé le silence durant plusieurs interrogatoires, Frédéric Péchier avait incriminé lors d'une de ses auditions ses anciens collègues, assurant que la majorité des EIG résultaient "d'erreurs médicales" de leur part.