Un été littérature – 16) Romances
Là encore, rien ne vaut, à mes yeux, la fine écriture de Stefan Zweig et son incomparable sens de la psychologie des personnages. Mais il est appréciable aussi de découvrir des romans plus contemporains, sous la plume notamment d’auteurs féminins.
Nos silences ne sont pas des chansons d’amour, de Tom Noti
Ce roman qui commence de manière assez légère et joyeuse en apparence, presque musical dans l’âme, comme le suggère déjà le titre, recèle un secret. Ou plutôt des secrets. Car le personnage central de cette histoire un peu étonnante n’est pas le seul à supporter le poids imparable des non-dits. Ceux qui vous transpercent l’âme sans que vous sachiez bien tout vous expliquer, et qui peuvent vous poursuivre toute une vie sans que vous compreniez bien tout à fait ce qu’ils sous-tendent.
Car les apparences sont parfois trompeuses. Et l’âme humaine demeure souvent bien complexe, s’enferrant parfois de manière inextricable, emmêlée dans des tourments mal cernés.
Pourquoi ce personnage d’Aldino, qui semble si apathique, a-t-il tant de mal à s’attacher, à conduire sa vie de manière vraiment résolue, à se rendre véritablement attachant ? Quel est ce passé qui continue de l’obséder au point de l’empêcher de s’épanouir pleinement et de s’accomplir ?
Une rencontre absolument extraordinaire va venir sortir notre personnage de la torpeur dans laquelle il est depuis si longtemps enfermé. Et venir le bouleverser au plus haut point. C’est alors à une sorte de retour vers le passé, ou plutôt vers lui-même, que va être convié Aldino, par une sorte d’espièglerie du destin.
Une histoire pleine de sensibilité et de subtilité, dans le droit fil des romans de Tom Noti, qui ne manque jamais de nous surprendre et de nous émouvoir roman après roman.
Une douce romance qui se lit avec délice et humour, après une préface elle-même très sympathique et originale d’un ami de l’auteur, qui en dit long sur la sincérité et l’amitié que cet être singulier et authentique qu’est l’auteur doit dégager.
— Tom Noti, Nos silences ne sont pas des chansons d’amour, La Trace, novembre 2020, 243 pages.
L’Amour par temps de crise, de Daniela Krien
Ce roman présente l’itinéraire de vie de cinq femmes à un instant crucial de leur existence, qui correspond à des moments de doute, de souffrance, de crise. Crise personnelle, donc, et rien à voir avec une crise de société (économique ou sanitaire, à l’instar du célèbre L’amour au temps du choléra de Gabriel Garcia Marquez).
Il s’agit de cinq femmes dont les impressions, ressentis et sentiments sont retracés à la première personne du singulier, et dont les destins se croisent, ce qui permet de comprendre la perception qu’elles ont les unes des autres. Ce qui n’est pas inintéressant.
Toutes ont en commun d’être des femmes d’aujourd’hui, donc vivant selon les mœurs de notre époque, avec ses côtés positifs mais aussi bien sûr ses travers.
Rapport au masculin, liens avec les enfants, maternité, enfant désiré ou non, avortement, maladie, rupture amoureuse, divorce, sites de rencontre, recherche frénétique du prince charmant, héritage familial, petites ou grandes jalousies, périodes d’euphorie mais aussi de déception amoureuses, petites et grandes contradictions, instabilité sentimentale, tourments, ressentiments, activité professionnelle, nombreux sont les sujets donnant lieu à de petits ou grands tracas, au-delà des indispensables moments de bonheur.
Ce roman est donc le roman des psychologies féminines. Un reflet de ce que peuvent vivre ou éprouver de nombreuses femmes de notre époque. Un portrait évocateur de l’air du temps et des tracas au quotidien comme des questions plus fondamentales qui peuvent submerger l’esprit féminin, causer l’intranquillité et une certaine part de souffrance, au-delà des moments de bonheur qui, heureusement, sont aussi là pour assurer le piment de la vie.
Un roman qui se lit facilement, même si l’ensemble n’est pas d’une folle gaîté et n’est à lire que si vous-mêmes n’êtes pas submergés par vos problèmes quotidiens ou existentiels.
— Daniela Krien, L’Amour par temps de crise, Albin Michel, août 2021, 336 pages.
Rupture et conséquences, de Madeleine St John
Il s’agit d’un roman paru en l’an 2000. L’auteur, Madeleine St John, semble être un auteur connu, décédée en 2006. Son autre roman majeur, Les petites robes noires, a manifestement rencontré un grand succès.
Rupture et conséquences, comme le nom l’indique, est l’histoire d’une rupture amoureuse, ayant ceci de spécifique que le personnage principal, Nicola, n’a rien vu venir. Elle était très amoureuse de son conjoint Jonathan et s’attendait à ce qu’ils se marient enfin bientôt et aient des enfants, après quelques années de vie commune. Quel choc, donc, lorsqu’elle apprend à brûle-pourpoint que Jonathan ne l’aime plus, et lui annonce froidement, sans autre explication, de manière inattendue, qu’ils vont se séparer !
Une situation somme toute assez banale, hélas, que nous retrace avec justesse Madeleine St John en nous plongeant dans le désarroi et la psychologie de son personnage, mais aussi partiellement dans l’esprit de Jonathan. Avec toutes les conséquences qu’une telle séparation entraîne inexorablement.
Un roman bien rythmé (par petites séquences de quelques pages à peine à chaque fois) qui se lit facilement, nous accompagnant dans cette situation de désarroi et de perte de repères personnels qu’entraîne ce genre de situation, comparable à une sorte de deuil. Classique, mais néanmoins un vrai sujet. Pas pour autant un très grand roman mémorable, mais ce n’est pas non plus a priori le but. Plus une lecture distraction.
— Madeleine St John, Rupture et conséquences, Albin Michel, 304 pages.
La nouvelle Béatrice, de Catherine Choupin
Je ne connaissais pas Catherine Choupin, et n’ai lu aucun roman d’elle.
Je me suis laissé embarquer par le thème, le décor, les lieux, l’univers dans lequel se déroule cette histoire, et suis donc parti librement à la découverte de ce voyage prometteur. Je n’ai pas été déçu.
Bienvenu dans les salles de cette prestigieuse Grande école où, chaque mois de juin, ce professeur de classe préparatoire (puisque ce roman est largement autobiographique), se rend aux auditions libres du concours de sélection de fin d’année.
La curiosité intellectuelle du professeur, venu observer pour mieux préparer ses élèves, laisse vite place à l’admiration et à une certaine fascination pour le niveau de l’un des jurys, puis de l’un de ses deux membres en particulier, dont le savoir et le style impressionnent notre professeur.
Rapidement, l’admiration cède la place à un certain émoi, qui se transforme progressivement en attirance, puis sentiment amoureux.
Le professeur reviendra alors chaque année, et chaque jour que comporte une session, assister admirative aux échanges stimulants de ce jury avec les candidats. Avec l’espoir qu’un jour peut-être…
C’est cette histoire (vraie) que nous conte l’auteur, mêlant souvenirs d’une force particulière et brin de nostalgie.
Un roman dans l’univers de la littérature, de la connaissance et des grandes écoles, voilà qui ne manque pas de charme. D’autant que Catherine Choupin parvient à nous tenir en haleine, nous faire partager pleinement ses sentiments d’alors, et nous captiver jusqu’au bout, avec cette histoire pleine d’espoir dont on ne connaît pas par avance l’issue.
Un beau roman, fort et plein de verve, à la fois poétique par certains côtés, et de pureté dans la description des sentiments.
L’auteur multiplie les références littéraires de manière subtile, de sorte que le lecteur ne s’en aperçoit pas toujours. Certains passages m’ont paru cependant un peu impudiques, sachant qu’il s’agit d’une histoire vraie, même si l’auteur pourrait le justifier par un souci d’authenticité et de naturel.
Cela n’enlève rien à la qualité du roman, qui se lit agréablement et dont la lecture peut être qualifiée d’exaltante.
— Catherine Choupin, La nouvelle Béatrice, Independently published, janvier 2019, 150 pages.
Et si tu redistribuais les cartes de ta vie ?, de Carole-Anne Eschenazi
Cela pourrait sembler être un petit roman parmi d’autres, typiquement féminin, un peu léger, classique, ou je ne sais quoi d’autre. Mais je ne ferai pas la fine bouche : je l’ai trouvé à la fois bien écrit, très bien construit, touchant et vraiment vivifiant. Pas du tout léger et insignifiant, ni artificiel.
Situation malheureusement bien classique, en effet, que cette quarantenaire pourtant « dans le coup », mais quittée par son mari pour une jeunette de vingt ans de moins qu’elle.
De quoi voir son monde s’écrouler, d’autant qu’elle y perd aussi son métier, son milieu, son lieu de résidence, et tous ses points de repères devenus habituels.
La situation a beau être classique, la description des sentiments, les différentes phases par lesquelles passe le personnage, sa manière d’affronter les événements, sont restitués de fort belle manière. Et parviennent à nous captiver de bout en bout.
À travers une réflexion, un mélange de sentiments, de sources d’espoir, et une introspection, à la fois pleins de pudeur et d’objectivité, qui nous sont contés de belle manière.
Dans ses remerciements à la fin du livre, l’auteur n’oublie pas son lecteur (chacun se sentant unique). C’est sa présence au bout des pages, dit-elle, qui donne sens à ce qu’elle crée. Le lecteur la remercie en retour, lui qu’elle est parvenue à « émouvoir, amuser, inspirer ». Jusque dans ces dernières lignes, ce dont il lui est reconnaissant.
— Carole-Anne Eschenazi, Et si tu redistribuais les cartes de ta vie ?, J’ai lu, juillet 2021, 288 pages.
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