"Le festival de La Chaise-Dieu, c'est être à l’écoute du monde et le mettre en musique"
Depuis le 7 mars 2022, Boris Blanco est le directeur général du festival de La Chaise-Dieu. C’est la deuxième année qu’il est donc à la baguette, signant la programmation. Il a voulu celle-ci à la fois novatrice et respectant les codes et les usages de cette institution qu’est le festival casadéen, mondialement connu. Les fonctions de direction comprennent la partie artistique. Boris Blanco assume porter la responsabilité pleine et entière de la programmation. Il s’appuie pour la bonne marche du festival sur une équipe rompue à l’exercice. À quelques heures de la soirée de pré-ouverture au Puy (mercredi 21 août), Boris Blanco lève le voile sur les coulisses de la 58e édition.
Pouvez-vous nous parler de l’équipe qui vous entoure et de ce que représente ce festival aujourd’hui ?Nous sommes sept permanents et rejoints par un directeur technique durant six mois et d’une chargée de production durant cinq ou six mois également. C’est une vraie structure. Il faut bien voir que 33 concerts payants et 39 gratuits représentent une longue préparation. Personne ne s’ennuie ! Il existe des théâtres qui n’ont pas une telle activité avec davantage de salariés. Le festival se construit tout au long de l’année. La programmation commence même deux ans à l’avance. Quand le festival 2024 est lancé, la programmation 2025 est confirmée ou du moins très engagée. Et puis, nous avons une activité de résidence et de concerts à l’année.
Sans doute avez-vous par conséquent déjà dressé les bases de la 60e édition ?Cette 60e édition est spéciale, forcément... Il fallait avoir une vision très tôt de cet évènement et lancer des pistes en conséquence. L’anticipation est nécessaire. Cette programmation réclame d’être solide financièrement. On doit se préparer à pouvoir engager des dépenses deux ans à l’avance.
Que représente le budget du festival ?Le budget du festival est de 1,8 million d’euros. Les variations dépendent de la billetterie. L’an dernier, on a réalisé 23.000 entrées. Une belle édition, comme on en n’avait pas connue depuis longtemps ! Ce budget est très vertueux puisque nous sommes à peu près à 65 % de fonds propres (entre mécénat, billetterie) et 35 % de subventions. Cet équilibre existe assez peu dans le milieu de la musique classique, où les subventions représentent souvent une part plus importante. La Chaise-Dieu a fait ce choix, il y a longtemps, et ça constitue un modèle en France.Affiche. Le grand pianiste Benjamin Grosvenor se produira jeudi 29 août.
Qu’est-ce qui caractérise la programmation 2024 et, d’une manière générale, les concerts proposés à La Chaise-Dieu ?On a coutume de dire que notre programmation est généraliste. Je n’ai jamais trouvé d’autre mot pour la caractériser. On se doit d’aborder, durant un peu plus de dix jours de festival, tous les styles, toutes les époques et tous les genres. Il faut que notre public puisse avoir écouté du Monteverdi, du Beethoven, de la musique contemporaine, symphonique, chorale, de la musique de chambre. C’est le principe de La Chaise-Dieu. On n’est pas un festival de musique sacrée ou de musique baroque. Néanmoins, on a les plus grands noms de la musique sacrée et de la musique baroque. C’est notre identité, à une époque où nombre de festivals se sont spécialisés. Il en est ainsi depuis l’origine. Chaque directeur amenant une touche personnelle. Je construis ma programmation sur l’alternance des genres. Est-ce qu’on arriverait aujourd’hui à créer un festival aussi important à 1.100 mètres d’altitude dans une zone rurale ? Je ne sais pas. Dire que c’est plus difficile de nos jours, c’est méconnaître les écueils rencontrés jadis.
Qu’est-ce qui apparaît à vos yeux le plus novateur dans le festival cette année ?Il m’a fallu deux ans pour mettre en place un projet qui me tenait à cœur. Projet qui a été pensé en fonction du lieu, l’abbatiale. Mercredi 23 août à 21 heures on entendra Réponse du Baptême, une œuvre de 35 ou 40 minutes de Thomas Lacôte, laquelle a été commandée par le festival. Elle est créée au festival et produite par celui-ci. Cette œuvre liturgique mettant en musique la liturgie du baptême fait miroir au Requiem de Fauré qui sera joué au cours de la même soirée. En tant que grand festival, on se doit être à l’initiative de ce qui se passe dans le monde la musique et non à la remorque. On doit montrer que la musique est une chose profondément vivante. La musique classique ce n’est pas de réécouter les génies qui sont morts il y a bien des années. Thomas Lacôte est un compositeur né au début des années 80, qui a une vision du sacré que je trouve passionnante. C’était mon professeur d’analyse quand j’étais au conservatoire. J’ai toujours pensé avec émotion et mélancolie à ces gens qui étaient dans la salle la première fois qu’on a joué la Neuvième symphonie de Beethoven ou la première fois qu’on a joué le Sacre du printemps de Stravinsky et qui ne l’ont peut-être jamais réécouté dans leur vie. Ils ont vécu avec le souvenir. Le public va vivre un moment exceptionnel avec cette création jouée par l’orchestre Les Siècles et le chœur Aede, dirigé par Mathieu Romano. L’idée est de faire rentrer cette création au répertoire du festival. Pour assurer un bon équilibre entre des fidélités (c’est le cas de Renaud Capuçon, de Lazakovich, de l’orchestre d’Auvergne et de celui de Lyon) et des nouveautés (on en aura encore beaucoup cette année, comme l’orchestre Consuelo qui continuera l’intégrale des symphonies de Beethoven, laquelle s’étendra jusqu’en 2026).Création. Mathieu Romano a créé l’Ensemble Aedes. Il se produira vendredi.
On peut imaginer que Réponse du baptême affiche complet ?Oui pratiquement. Dans d’autres concerts, il reste en revanche des places, comme samedi soir à 21 heures dans une symphonie de Gustav Mahler qui demande un très gros orchestre. Jeudi 29 août, il est encore possible de prendre son billet pour Peer Gynt avec l’Orchestre de Lyon et le pianiste anglais, Benjamin Grosvenor, une grande star.
Il y a depuis quelques années la volonté de faire rayonner le festival. C’est encore le cas pour cette 58e édition ?Bien sûr. Le festival est profondément ancré dans sa région. Nous sommes dans un territoire qui a envie de musique. On visite trois départements. Il y a évidemment Haute-Loire avec Brioude, Saint-Paulien, Le Puy. C’est la deuxième année qu’on fait une pré-ouverture du festival au Puy. Pour une raison technique. Cela nous permet de disposer d’une journée supplémentaire pour transformer l’abbatiale. La cathédrale Notre-Dame est un lieu emblématique qui fait écho à l’abbatiale Saint-Robert. On se rend aussi dans la Loire, à Montbrison et Marlhe et dans le Puy-de-Dôme, à Ambert.
Dans la fréquentation du festival, que représente la Haute-Loire ?On est autour de 25 %, presque à un tiers. On est la seule institution culturelle à proposer un tel programme dans le département. Écouter le Requiem de Mozart dans cette abbatiale sublime apporte un plus. On attire aussi beaucoup de Clermontois et Stéphanois, des Parisiens, des personnes de toute la France et de toute l’Europe : des Suisses, des Allemands, des Espagnols, des Anglais qui viennent spécialement. Le « panier » moyen du festival est entre quatre et six concerts. Les retombées économiques sur le territoire sont de l’ordre de plusieurs millions d’euros. Et puis, il ne faut pas oublier Génération Chaise-Dieu, qui a été lancée l’an dernier. Ce sont quatre jeunes groupes de musique de chambre venant passer dix jours chez nous et travailler avec des artistes en résidence. Tous les jours, il y a des cours gratuits de masters classe en libre accès. Chaque soir, des concerts gratuits d’une heure sont donnés en Haute-Loire et dans le Puy-de-Dôme par les jeunes artistes. On a eu 2.500 personnes pour 11 concerts l’an dernier, 15 cette année. Pour ceux qui ne peuvent pas venir au festival, ce dernier vient à eux. La Chaise-Dieu, c’est de l’excellence, de l’innovation, une démocratisation de la musique. On n’a pas besoin d’avoir un manteau en vison pour venir au festival, on conseille néanmoins une petite laine. La musique classique est pour tout le monde, il suffit d’avoir le respect du lieu. Je constate un désir de Chaise-Dieu qu’on essaie de faire grandir. Il ne faut jamais transiger sur la qualité et tout aborder sans snobisme. Le snobisme fait fuir les gens.
Philippe Suc