Les combats de Baccarat, cette sanglante bataille qui a coûté la vie à des centaines de soldats du Velay

Si les combats de Baccarat sont bien connus, on ne prend pas toujours la mesure des liens amicaux qui se sont mis en place par la suite entre les habitants de la cité de Meurthe-et-Moselle et la Haute-Loire. On rappellera que les soldats du 86e RI du Puy et ceux du 38e RI (basé à Saint-Etienne et où servaient de très nombreux Altiligériens) qui ont perdu la vie le 25 août 1914, ont été, d’une part, inhumés dans la dignité par les habitants de Baccarat avec le soin de récupérer pour les familles les effets personnels des soldats décédés. Les nombreux blessés, notamment ceux qui n’étaient pas transportables, furent également pris en charge par les civils en dépit de l’occupation allemande qui dura une quinzaine de jours après les combats. Ces gestes d’humanité étaient une gageure presque impossible à respecter dans les premières semaines de la guerre marquées par un nombre excessivement élevé de morts enterrés bien souvent dans des fosses collectives anonymes. Les survivants et les familles des défunts ne l’oublièrent jamais.D’autre part, des cérémonies d’hommage furent organisées sur les lieux mêmes des combats par les autorités locales dès août 1915 et pendant toute la durée du conflit. Il y eu donc une première période de liens très forts qui s’étira jusqu’à la fin des années 1920. Certaines familles purent récupérer le corps des soldats grâce à l’intervention des habitants de Baccarat. Les anciens combattants organisèrent plusieurs déplacements sur place en relation avec la municipalité du Puy, notamment en août 1923 pour l’inauguration du monument aux morts communal de Baccarat ou en novembre 1927 pour l’installation, par le Souvenir Français, d’un monument mémoriel au lieu-dit de la Rappe sur les hauteurs de la ville. Pour cette dernière action, une souscription fut lancée en Haute-Loire pour participer au financement de cette structure qui existe encore aujourd’hui. A chaque fois, des dédicaces furent inscrites sur ces monuments pour rendre hommage à ces soldats venus du Velay et du Forez pour défendre Baccarat (notons une fois de plus que ce genre d’inscriptions est rarissime sur un monument aux morts communal). 

De nouvelles relations se nouèrent au début des années 1960. L’approche du cinquantenaire des combats ne fut pas étrangère à cette reprise de contacts. Les survivants du 86e RI étaient toujours là, moins nombreux certes, mais regroupés au sein d’une amicale créée depuis décembre 1927 et qui participait activement à la cérémonie officielle du 11 novembre au Puy. La ville de Baccarat avait de son côté connu, une fois de plus, les affres de la guerre avec de très nombreuses destructions lors de l’invasion de 1940 et lors de la libération en 1944. La municipalité bachamoise prit en août 1961, la décision de baptiser la place située devant l’Hôtel de ville au nom du 86e RI. Les archives ne permettent pas d’établir avec certitude la nature des liens entretenus avec l’amicale du régiment mais, il ne fait pas de doute qu’ils existaient bel et bien. Le dimanche 27 août, une délégation d’anciens combattants et d’élus du Puy participèrent à cette inauguration. L’Eveil en donne un compte-rendu quelques jours plus tard par la voix de Jacques de Séauve, adjoint d’Eugène Pébellier qui avait participé au déplacement. Après avoir décrit le déroulement de la cérémonie, M. de Séauve évoqua « un jumelage moral » entre les deux cités et émit deux souhaits pour l’avenir : le premier était de baptiser une rue ou une place du Puy au nom de Baccarat en quelque sorte pour la réciproque, le deuxième était que la municipalité ponote s’engage à faire déposer, chaque 11-Novembre, une gerbe de fleurs devant le monument aux morts de la cité de Meurthe-et-Moselle. Le premier vœu fut réalisé trois ans plus tard et le second existe encore aujourd’hui dans les deux communes ce qui, à l’échelle de la France, doit être assez rare pour ne pas dire unique !

La cérémonie de 1964 fut soigneusement préparée pour coïncider avec le cinquantenaire des combats. Les anciens du 86e RI et les deux municipalités collaborèrent pour la réalisation du projet. Le conseil municipal du Puy délibéra en mai 1963 sur le sujet. Il fallait d’abord trouver un emplacement. Une première possibilité fut d’installer une plaque à proximité de la caserne Romeuf historiquement liée au 86e RI, la dénomination d’une rue dans le secteur se révélant impossible. Les anciens combattants suggérèrent une autre solution, elle aussi symbolique : baptiser un carrefour au nom de Baccarat à proximité du pont Barthélémy enjambant le Dolaizon. Bien qu’étant déjà très emprunté par les véhicules motorisés, ce carrefour offrait un vaste espace central susceptible de recevoir un monument et la proximité du pont, pouvait rappeler l’épisode tragique du 25 août 1914. Cette solution fut entérinée par le conseil municipal le 5 juillet suivant. En août, un élu de Baccarat, M. Chambrey, vint au Puy pour finaliser le projet.Lors des cérémonies du 24 et 25 août 1964. Photo l’Eveil de la Haute-LoireLe 23 août 1964, la cérémonie put se dérouler malgré l’incendie de la mairie du Puy un mois plus tôt. La presse se fit un large écho de l’évènement qui rassembla plus de 3.000 personnes dont 70 anciens du 86e RI rejoints à cette occasion par quelques survivants plus âgés du 286e RI. L’Eveil, à partir du mois de juin, publia de nombreux articles sur la mobilisation en Haute-Loire et les combats en Lorraine de l’été 1914. Le maire de Baccarat, M. Ancel, fit le déplacement avec trois autres membres de sa municipalité. Les autorités civiles et religieuses du Puy étaient également représentées tout comme un détachement du 92e RI de Clermont qui assura la partie musicale de l’évènement. On inaugura donc au milieu du carrefour, une stèle en calcaire des Cévennes où figurait la dédicace suivante : « Carrefour de Baccarat. A la gloire du 86e RI. Régiment du Velay et à son héroïque épopée le 25 août 1914 à Baccarat ». Un défilé fut ensuite organisé en direction de l’Hôtel de ville où, malgré les dégâts de l’incendie, des gerbes de fleurs furent déposées devant les plaques commémoratives du hall. Un banquet clôtura la cérémonie à l’Hôtel du parc avec un menu fort copieux qui poursuivait une tradition ancienne, abandonnée depuis mais qui avait un sens : le service étant régulièrement interrompu par des discours précédés d’un toast en l’honneur des invités ou des participants ! 

Aujourd’hui, la stèle de Baccarat se trouve à l’entrée du pont côté avenue Clemenceau. L’intensification du trafic routier a nécessité à la fin des années 1990 ce déplacement consécutif à la réduction progressive de l’ilot central. Accolée au monument en l’honneur du 286e RI (inauguré en 1971), elle forme un ensemble mémoriel devant lequel se déroule chaque 25 août une cérémonie commémorative rappelant les combats de 1914. A cette occasion, la municipalité de Baccarat fait déposer une gerbe de fleurs. Quand l’amicale des anciens du 86e RI disparut à la fin des années 1970, c’est l’Union Fédérale des anciens combattants qui prit le relais pour organiser cette cérémonie en relation avec la municipalité du Puy. En 2014, c’est à l’initiative de son président de l’époque, Pierre Chambon, que le voyage du centenaire fut organisé à Baccarat, c’est lui aussi en 2017 qui fut à l’origine de l’installation d’une plaque mémorielle sur le pont Saint-Barthélémy avec la nouvelle appellation de « pont de Baccarat ». L’importance de la circulation dans le secteur ne rend pas toujours facile le déroulement de la commémoration mais, la fidélité à cette histoire est remarquable. D’un évènement tragique, on est passé à une belle histoire d’amitié, de nombreux échanges depuis dix ans impliquant les jeunes générations et reposant sur des valeurs humaines partagées sans cesse réactivée depuis plus d’un siècle.

Richard Crespy