En haute Corrèze, la seconde vie parfois originale des bâtiments religieux
À l’entrée de la route de la Plage, à Neuvic, les vestiges veillent. Trois arcades et une porte du cloître de Saint Projet, une clé de voûte aux armes des Ussel et une pierre tombale aux allures de banc public. « C’est modeste, c’est franciscain, glisse Nicole Lemaître (1). Mais tout ce qui pouvait avoir du sens a été récupéré, beaucoup de pierres avec des inscriptions. »
Ces vestiges, devant lesquels on passe (presque) sans les voir, ce sont ceux du couvent de Saint-Projet. En 1945, lors de la mise en eau du barrage de l’Aigle, les bâtiments conventuels ont été dynamités, le clocher arasé et le reste de l’église livré à l’eau.
Mais le maire Henri Queuille et la comtesse d’Ussel n’entendaient pas tout perdre de cet édifice construit en 1481 par sa noble famille, avant d’être vendu comme bien national à la Révolution. Vers 1840 déjà, les mêmes Ussel l’avaient restauré et, devant le refus de l’évêque d’alors, Mgr Berteaud, d’en faire une paroisse, ils y avaient installé des sœurs gardes-malades sous l’égide du père Serre.Les vestiges du couvent de Saint-Projet lors d'une vidange du barrage de l'Aigle. (photo J.-L. Lemaître)
La haute Corrèze n’est pas un désert patrimonial.
Des bâtiments conventuels, des églises, des abbatiales et des chapelles, la haute Corrèze en comptait de nombreux avant que la Révolution fasse son œuvre. Tous n’ont pas connu le destin du cloître de Saint-Projet. Avec son mari Jean-Loup, universitaire comme elle et ancien conservateur du musée du Pays d’Ussel (2), Nicole Lemaître les connaît sur le bout des doigts et du cœur.
Des bâtiments religieux devenus ferme, usine ou théâtreComme Bonnaigue (Saint-Fréjoux), une abbaye cistercienne fondée par saint Étienne d’Obazine avant 1157 sur des terres données justement par les Ussel et qui est devenue une ferme, toujours en activité. « Depuis la Révolution, des paysans l’entretiennent et sont conscients de la beauté des lieux où ils vivent », apprécie l’historienne.
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À Pérols-sur-Vézère, l’église de Barsanges est redevenue… une église. À Auriac, l’abbaye cistercienne de Valette a, elle, été transformée en verrerie, puis en petit séminaire. À Ussel, le couvent des Ursulines a été successivement tribunal, prison, gendarmerie et aujourd’hui appartements ; le couvent des Récollets est voué à l’enseignement depuis la Révolution et la chapelle des Pénitents bleus est devenue un musée. Comme l’abbaye Saint-André de Meymac, qui accueille aujourd’hui le Centre d’art contemporain, quand le prieuré, rattaché à la paroisse de La Chaise-Dieu, de Saint-Pantaléon-de-Lapleau est désormais un théâtre.L'église de Saint-Pantaléon-de-Lapleau est aujourd'hui dévolue au théâtre. (photo J.-L. lemaître)
Certains patrimoines religieux ont disparu totalement (ORLAC à Sornac ou Seringour à Peyrelevade), d’autres ont essaimé aux alentours. Des pierres de l’église de Vintéjoux à Chaveroche sont visibles dans des maisons, « des bénitiers servent d’abreuvoir », raconte Nicole Lemaître ; à Meymac, il ne reste qu’une croix d’autel de l’église de Saint-Germain-le-Lièvre. Du couvent des Minimes, à Bort-les-Orgues, rien, même pas une mention sur le cadastre de 1830.
Un patrimoine à préserver et à partagerD’autres tiennent bon, depuis des siècles. À Sainte-Marie-Lapanouze, Saint-Étienne-la-Geneste, Chirac-Bellevue ou Roche-le-Peyroux, les guerres de religion, contenues par le duc de Ventadour, n’ont pas fait de gros dégâts. Le plan de sauvegarde du patrimoine et des églises, lancé dans les années 1970, a permis de « mettre en sécurité une ou deux églises par canton ».
Il faut entretenir cette connaissance et cette conscience de ce qui est remarquable. La question aujourd’hui, c’est d’ouvrir et d’animer, au sens historique ou autre, ce patrimoine.
« La haute Corrèze en a largement profité, sauf quand le maire refusait. Ça n’a pas sauvé d’églises, mais ça a évité des dégradations. Certaines ont pu être rouvertes, comme à Saint-Pardoux-le-Vieux, alors qu’elles étaient dans un état pitoyable. »L'abbaye de Bonnaigue est occupée par une exploitation agricole depuis des décennies. (photo J.-L. Lemaître)
« Ici, reprend-elle, il y a des paroisses des Xe et XIe, avec parfois des origines gallo-romaines riches. Mais tout cela est fragile, c’est pour cela qu’il faut en parler. Pour les habitants, c’est une question d’identité ; c’est important qu’ils sachent qu’ils ne vivent pas dans un désert, qu’ils peuvent être fiers de ce qui existe. Tout dépend de la solidité des bâtiments et de l’œil de leurs propriétaires. Il faut entretenir cette connaissance et cette conscience de ce qui est remarquable. La question aujourd’hui, c’est d’ouvrir et d’animer, au sens historique ou autre, ce patrimoine. »
(1) En juillet, elle a donné une conférence au musée du Pays d’Ussel sur « les églises et monastères abandonnées et/ou réutilisées en haute Corrèze ».
(2) À ce titre, il a piloté un inventaire des patrimoines religieux en haute Corrèze en 1960.
Blandine Hutin-Mercier