[Rentrée littéraire 2024] 25 BD pour ouvrir grand les yeux
Ça n’est pas un hasard de calendrier : plus que jamais, les auteur·rices s’engagent. Notamment pour panser leurs plaies. Avec Archéologie de l’intime (Dupuis), Clothilde Delacroix aborde sa grossesse qui a failli être fatale, évacuant les traumatismes avec un humour et un trait qui rappellent Bretécher mais aussi les métaphores de Florence Dupré la Tour.
Justement, cette dernière, sous le pseudo de Carole Lobel, continue de creuser son sillon autobiographique. Le cathartique En territoire ennemi (L’Association) expose avec des images frappantes – les coups de hache – le mécanisme d’emprise et de violences sexuelles au sein d’un couple. Alix Garin se livre elle aussi à corps perdu dans Impénétrable (Le Lombard), où elle aborde sans tabou mais avec une poésie graphique comment elle a reconstruit son désir.
De manière plus sage mais aussi émouvante, Murasaki Yamada, disparue en 2009, aborde le quotidien d’une femme au foyer japonaise dans Shinkirari – Derrière le rideau, la liberté (Kana), manga féministe datant des eighties. Sylvain Bordesoules rend visibles le quotidien et les galères de ses deux sœurs dans l’éclatant Azur Asphalte (Gallimard). Dessiné avec pudeur par Natacha Sicaud, le terrible Sous l’entonnoir (Des ronds dans l’O) voit la scénariste Sibylline se souvenir de son séjour en hôpital psychiatrique.
Avec Maple Terrace (L’Employé du moi), plein d’autodérision, l’Américain Noah Van Sciver rit de son enfance compliquée au sein d’une famille mormone et de ces moments où les comics bariolés le sortent de la grisaille. “Les comics m’ont aidé à survivre à l’enfance… Mais qu’est-ce qui va m’aider à survivre à l’âge adulte ?”, se demande de son côté son compatriote Craig Thompson. Vingt ans après Blankets, il revisite avec Racines (Casterman) celles de sa famille, mais fait aussi découvrir celles du ginseng.
Néjib nous projette dans la Tunisie où il a grandi : Haute enfance (Gallimard) est un récit d’initiation nerveux et prenant. Connu pour ses caricatures de Trump, Edel Rodriguez raconte comment sa famille a fui Cuba et son totalitarisme dans l’imposant Worm (Bayard Graphic). Joe Sacco livre un pamphlet concis et plein de punch avec Guerre à Gaza (Futuropolis). À l’opposé, pour son grand retour, Nicole Claveloux nous envoie dans la fabrique des rêves. Ce soir, c’est cauchemar (Cornélius) a l’inventivité d’un conte délirant et rivalise avec le Vice-Versa de Pixar.
Aude Bertrand publie, elle, un premier livre envoûtant et doux sous influence de Rohmer : l’héroïne d’Au travers du rayon (2024) oublie la fin de l’adolescence en se réfugiant dans les films qu’elle aime. Mathilde Payen a recours, elle, à la figure du zombie pour dépeindre à coups de riffs graphiques une jeune génération désenchantée dans Mortelle mixtape (Sarbacane).
En adaptant l’écrivain mexicain Mario Bellatin, Quentin Zuttion donne de belles couleurs tragiques à Salon de beauté (Dupuis), où un travesti transforme son salon de coiffure en mouroir à cause d’une maladie qui donne des écailles aux hommes. Autour d’un même quartier de Buenos Aires et de trois sœurs sorcières traversant les siècles, Sole Otero imagine avec Walicho (Çà et là) un étonnant récit choral, horrifique et féministe.
Autour d’un shitstorm sur les réseaux sociaux, l’Italien Gipi signe un Stacy (Futuropolis) très troublant avec son trait jeté et sa vision féroce de notre monde. Pierre Jeanneau met en scène le collectif et les rencontres dans le brillant Connexions 2 (Tanibis). Sophie Guerrive retrouve l’univers animalier et philosophique de Tulipe le temps des Amours de Tulipe (2024), aussi drôle que poussant à l’introspection. L’absurde Le Sens de la vie et ses petits (Cornélius) d’Éric Veillé est un antidote à la normalité et la morosité. Julie Birmant et Clément Oubrerie font revivre le jeune Salvador dans Dalí 2 (Dargaud) qui, évitant tout train-train, insuffle de la vie et des trouvailles au genre biographique.
Keigo Shinzo fait le grand écart entre le sixième tome de sa série feel-good dans le Japon contemporain, Hirayasumi, et la science-fiction loufoque de La Planète verte (Lézard Noir). Après avoir adapté 1984, Xavier Coste marche dans les pas d’Orwell avec le désespéré et implacable Journal de 1985 (Sarbacane). Quant à Philippe Valette, il tire aussi la sonnette d’alarme avec L’Héritage fossile (Delcourt), ambitieuse BD d’anticipation dont le message résonne fort aujourd’hui.