Robert Chouvier, cet infatigable défenseur de la lentille verte du Puy-en-Velay et de l’agriculture vellave

« J’ai deux amours » chante Joséphine Backer. Comme elle, c’est « le cœur battant d’émoi » que Robert Chouvier parle des siens. Le commandeur du Mérite agricole (il est président de l’Association des membres de l’ordre du Mérite agricole) et Grand maître de la Verte confrérie entretient des liens presque charnels avec la lentille, et ce, depuis quatre décennies qu’il a rejoint le groupement de producteurs, voire depuis la plus tendre enfance. Dans la ferme familiale de Saint-Rémy (Vergezac), il s’est toujours semé des lentilles.Ce rapport passionnel à la culture de la légumineuse a succédé chez Robert Chouvier aux concours de labours. Dernier d’une fratrie de huit enfants, le jeune Robert a repris l’exploitation de ses parents qu’il a agrandie. « La tradition voulait que le dernier continue. Mes parents, afin de me garder, m’ont acheté un tracteur pour mes 14 ans, car à l’époque, ils travaillaient encore avec des bœufs », explique Robert Chouvier.

Des générations de laboureurs à bonne école

C’est à vélo, qu’il a rejoint son premier concours de labour, au domaine de Barret (Sanssac-l’Église) et en tracteur par la suite qu’il s’est rendu à sa première finale départementale à Salzuit. Son seul regret est « d’avoir loupé d’un cheveu » la coupe de France à Saint-Quentin, dans l’Aisne. « Je n’avais pas de quatre roues motrices et dans la nuit, il n’avait pas arrêté de pleuvoir », se souvient l’ancien compétiteur. Ce dernier a concouru à trois reprises au niveau national. Robert Chouvier prendra aussi sa part dans l’organisation de la finale nationale de Vergezac en 2006, mais à cette époque en tant qu’adjoint au maire.Robert ChouvierDes années durant, c’est toujours avec bonhomie et bienveillance qu’il a dispensé ses conseils avisés auprès de tant de générations de laboureurs. De tous les « élèves » à avoir suivi son sillon, c’est son neveu Nicolas qui en a sans doute tiré le meilleur parti. L’élève a dépassé le maître, sur la manière de réussir un bon tracé d’ouverture et de continuer « toujours bien droit et bien propre » jusqu’à la dérayure finale. Robert Chouvier avait planté le jalon. Son neveu Nicolas, agriculteur de Vernassal, est parvenu à se hisser à la sixième place au championnat européen de labours de 2007 en Grande-Bretagne.Quiconque pousse la porte de la petite boutique à la ferme, installée au cœur du village de Saint-Rémy, en ressort rasséréné. Enfin mieux vaut annoncer sa venue à l’avance, car depuis qu’il est à la retraite, que Nathalie, sa fille, a repris les rênes de l’exploitation agricole, le maître de céans est souvent par monts et par vaux. Le retraité de 81 ans a un agenda de ministre ! D’un pas prodigue d’agriculteur, il parcourt la France avec la Verte confrérie qu’il préside et dont il est un des membres fondateurs.

Obtenir des prix garantis

Quand Robert Chouvier est né en 1943, cela faisait huit ans qu’une appellation d’origine distinguait la lentille verte du Puy. L’exploitant de Saint-Rémy n’aura de cesse de l’accompagner, de la défendre bec et ongles jusqu’à la mémorable année 1996 où pour la première fois un légume sec se voyait courronné par une appellation d’origine contrôlée. Par décret du 2 juillet 2008, elle deviendra AOP (appellation d’origine protégée).Le maître de Saint-Rémy peut nous parler d’un temps que d’aucuns ont peut-être oublié. Le temps où les champs de lentilles étaient encore fauchés avant que partout se généralisent les moissonneuses-batteuses (dans les années 80).Les exploitants faisaient jadis de petits tas de lentilles qui étaient engrangés et battus à l’arrière-saison. « Au début, il n’existait pas de structures ni de prix garantis. Il y a un siècle, la lentille se récoltait à la main. C’était souvent le travail des femmes travaillant en équipe, comme pour des vendanges. Après la Première Guerre mondiale, on a commencé à les faucher à la faucheuse. On faisait ça par tradition et par tête d’assolement. La lentille enrichit sa terre. On ne connaissait pas encore les ruptures de stock. En 1905, on a fait 20 quintaux de moyenne. L’autre grande année fut 2000 avec 16 quintaux de moyenne, 5.200 hectares », rappelle Robert Chouvier. À l’euphorie suivirent le déclin et le « découragement » des producteurs à la fin des années soixante-dix.

« On subissait le marché de l’offre et de la demande »

« On subissait le marché de l’offre et de la demande », analyse Robert Chouvier qui s’est longtemps battu avec le groupement de producteurs pour avoir un prix minimum garanti, aux côtés d’un certain Pierre Ambert de Sanssac-l’Église, « le pionnier de l’organisation collective », rappelle dans un livre Jean Bost et Jean-René Mestre.Robert Chouvier a mené le combat des prix et celui de la communication. Il suivra le même parcours que Pierre Ambert, en devenant président du groupement de producteurs puis du Comité interprofessionnel, le Cilverpuy et de l’ODG (Organisme de défense et de gestion de la lentille) qui lui a succédé et a introduit les contrôles. La vie de la petite légumineuse n’a jamais été un long fleuve tranquille. Robert Chouvier a toujours défendu des principes, comme celui de conserver le périmètre de la zone d’appellation, de résister à la tentation de l’accroître face au manque de production.

Il poursuit son combat à l’Inao

Au cours de ses deux mandats à l’Inao (Institut national des appellations d’origine), l’ancien exploitant de Saint-Rémy s’est rendu compte de la difficulté de défendre un produit. Après la lentille, ne fut-il pas l’avocat de la châtaigne d’Ardèche et de la noix de Grenoble ou de la pomme de terre primeur du Roussillon ? Il reste optimiste : cette saison amorcerait un renouveau de la production de lentilles qui du reste n’a cessé de connaître des aléas.Quand il présidait la filière, le sage, Robert Chouvier recommandait d’établir des moyennes de rendements sur dix ans, car au bout du compte on arrive toujours autour d’une tonne/hectare. La passion du maître est restée intacte : « La lentille, dit-il, reste encore mystérieuse. À l’automne de ma vie, il m’est difficile de privilégier telle ou telle méthode culturale. Avec les déficits hydriques que nous connaissons, la plante ne peut toujours pas nourrir son grain dans de bonnes conditions. Mais c’est une plante intelligente. Les lentilles qu’elle produira seront toujours bonnes, mais parfois elle en fera moins ». Et d’ajouter : « Elle n’aime pas qu’on lui vienne en aide, préfère se débrouiller seule ».L’envahissement par l’herbe reste un frein à la réussite de la culture. Avec la réduction des phytos, est-ce opportun de rechercher de nouvelles molé-cules ? Robert Chouvier s’interroge. Du reste, comment motiver la recherche sur une production aussi modeste ? Le spécialiste de la lentille regrette l’emploi de matériels trop lourds : « Les anciens préconisaient de labourer le matin et de semer le soir ou le lendemain. Or, avec nos engins volumineux, il faut souvent laisser ressuyer la terre pour pouvoir y rentrer ». Sur deux de ses parcelles, Robert Chouvier a suivi le conseil de ses devanciers. Il est plutôt satisfait du résultat.Semis directs, labours précoces d’hiver offrent des rendements mitigés. « Avec la lentille, mieux vaut partager les risques », estime le spécialiste. Et celui-ci de clamer : « On a un produit de qualité en Haute-Loire, il faut tout faire pour le conserver ». Inlassablement, Robert Chouvier poursuit sa croisade, désormais avec la Verte confrérie. Son nom s’inscrit aux côtés des grands défenseurs du « caviar vert », à l’instar du jésuite Jules Carles (1902-2000) qui le premier a mis en évidence le climat comme étant à l’origine du cru, d’un ancien maire de Blanzac, Jean Deshors (1901-1985), de Bernadette Sigaud « Madame lentille » qui avec le Cilverpuy a contribué à faire connaître la lentille. Et bien sûr, les dirigeants successifs des conditionneurs : Copcel puis Eurea, Trescarte et Sabarot.

 

Philippe Suc