Béatrice Zavarro, avocate de Pelicot, "seule face au monde" mais sereine
"Je suis seule face au monde", explique l'avocate, avec le ton posé et calme qui la caractérise depuis l'ouverture du procès des viols de Mazan, le 2 septembre, devant la cour criminelle de Vaucluse, où comparaissent son client, 71 ans, et 50 coaccusés.
50 hommes qu'il avait invités sur internet pour venir violer son épouse, après l'avoir droguée, pendant dix ans.
"Chef d'orchestre" de cette affaire criminelle hors norme, Dominique Pelicot reconnaît les faits et souhaite même la peine maximale de 20 ans de réclusion. Mais il n'entend pas tomber seul: ils "savaient tous" qu'ils venaient pour violer Gisèle Pelicot, affirme-t-il.
Eux nient, l'accusant en retour de les avoir manipulés.
Situation inaccoutumée donc, où l'avocate du principal accusé soutient l'argumentation des parties civiles, au risque d'endosser un inattendu rôle de procureure.
"A partir du moment où je défends un homme dont on me dit qu'il est un menteur, un manipulateur, qu'il a berné tout le monde, je dois tenter de rétablir la vérité", se justifie Me Zavarro: "ma mission, c'est qu'on arrive à comprendre, même si on le déteste", comment il a pu réaliser "ces faits détestables".
"Monstre" ou faits "monstrueux" ?
"Elle est sur un fil. Sa position est loin d'être évidente mais elle la tient avec beaucoup de finesse. Ne pas réduire +le monstre+ à ses crimes, faire oublier la face B pour rappeler la face A, les deux coexistant dans cette personnalité clivée", reconnaît Antoine Camus, un des avocats des parties civiles.
Ce qualificatif de "monstre", la Marseillaise de 55 ans aux lunettes rondes et rouges le réfute, se considérant seulement comme "l'avocate de quelqu'un qui a commis quelque chose de monstrueux". Et de rappeler qu'en "France, dans un État de droit, chacun a le droit d'être défendu".
Si elle n'a pas reçu de menaces directes -elle est absente des réseaux sociaux-, son secrétariat reçoit de nombreux appels malveillants. "Vous devriez faire attention...", lui avait glissé un badaud début septembre, sibyllin.
"J'ai décidé de défendre Dominique Pelicot parce qu'il me l'a demandé. Il m'a accordé sa confiance", explique l'avocate, payée via l'aide juridictionnelle -un mécanisme financé par l'Etat dont peut bénéficier chaque détenu-, reconnaissant avoir "sous-estimé l'impact médiatique" de ce procès au retentissement mondial.
C'est un de ses ex-clients qui l'avait recommandée à Dominique Pelicot, quand les deux hommes s'étaient connus à la prison marseillaise des Baumettes.
Fille de commerçants, cette amatrice de polars et de marche qui "déteste paradoxalement la dispute", admiratrice de ses confrères Henri Leclerc et Sophie Bottai, à côté desquels elle se "sent très très petite", avait prêté serment en janvier 1996 au barreau de Marseille, "ville magnifique" où elle a toujours vécu.
"Le pénal m'intéressait beaucoup. J'étais pas forcément destinée à ce domaine-là, mon gabarit, ma voix, ou le fait d'être une femme pouvait peut-être arrêter certains". Mais, "pour faire ce métier, il faut aimer les gens", pour leur "redonner un peu de dignité".
"Main de velours"
"Opiniâtre, très calme et courageuse, car elle a le mauvais rôle", selon son confrère Patrick Gontard, 45 ans de métier, Me Zavarro a par le passé défendu Christine Deviers-Joncour dans l'affaire politico-financière Elf, et représenté le père de Madison, fillette de cinq ans enlevée puis tuée en 2006 dans le sud-est de la France.
"Elle prend ses dossiers à bras le corps mais dans une main de velours", selon Myriam Gréco, qui défendait alors le meurtrier de Madison, décrivant "un petit bout de femme qui peut sortir ses griffes, mais sans esbroufe".
Un caractère qui semble correspondre à sa personnalité: sa robe d'avocate rapiécée ou son cabinet défraîchi du cœur de Marseille témoignent de son refus des effets de manche.
À Avignon, où elle réside momentanément, pour les quatre mois de ce procès emblématique des violences sexuelles, elle loge en périphérie, dans un quartier populaire. Deux fois par jour, elle parcourt en marchant les quelque deux kilomètres jusqu'au tribunal, pour "se libérer l'esprit", inlassablement accompagnée de son mari, Édouard.
"Elle intériorise beaucoup, se livre peu, est dure au mal, donc je fais le bouffon de service pour la requinquer", atteste son conjoint depuis 30 ans, parfois confondu comme son garde du corps en raison de sa taille imposante.
Pour Me Zavarro, ce procès constitue "un épisode essentiel dans l'évolution du sujet qu'est le viol", avec "un premier palier qui est Gisèle Halimi (NDLR: avocate de ce procès emblématique de 1978 qui contribua à faire reconnaître le viol comme un crime) et un deuxième palier qui sera Gisèle Pelicot".