La "flemme" de poser des panneaux et les "défaillances" de la battue : l'association de chasse condamnée après le tir mortel dans le Cantal
Il avait « la flemme ». Ce terme trivial suffit à marquer le contraste terrible entre, d’un côté, la mort d’une jeune femme de 25 ans qui randonnait à Cassaniouze et les manquements coupables de la société de chasse qui organisait la battue aux sangliers qui lui a été fatale.
Cette « flemme », c’est celle de ce chasseur qui aurait dû poser un panneau annonçant la battue, mais qui a préféré se poster en le laissant dans le coffre de sa voiture…
Le 19 février 2022, Mélodie Cauffet remonte un sentier avec un jeune homme entre La Vinzelle (Aveyron) et La Bécarie. Le chemin longe un pré, à l’orée d’un bois. Il fait beau et une idylle naît entre les deux jeunes gens qui se rencontrent pour la première fois mais discutent sur les réseaux sociaux depuis plusieurs semaines.
Brusquement, la jeune femme s’effondre, touchée en pleine poitrine par une balle. Immédiatement, une jeune femme de 17 ans se présente comme l’autrice du tir. Malgré les tentatives de réanimation, la randonneuse succombe sur place. L’adolescente visait un sanglier et l’a manqué. Elle sera jugée, mardi, à huis clos, devant une juridiction pour enfants.Ce jeudi 3 octobre, les juges du tribunal correctionnel d’Aurillac se sont intéressés à la battue, la dernière de l’année pour l’Association communale de chasse agréée (ACCA). L’organisation était « carencée, défaillante », tance le procureur Paolo Giambiasi. Il devait y avoir onze panneaux pour l’annoncer aux randonneurs, l’ACCA dit en avoir posé quatre, un seul a été vu par les enquêteurs. Un chasseur posté dira aux gendarmes… qu’il jouait lui-même le rôle de panneau.
L’adolescente est la première d’une ligne de quatre où personne n’a la formation de chef de file. Son poste n’est pas bon : elle est à moins de 150 mètres d’une maison et, surtout, elle ne peut pas faire de tir fichant. Au milieu d’un pré encadré par le chemin de randonnée, balisé, elle vise dans la pente, du haut vers le bas. Impossible de prendre un bon tir.
L’organisateur de la battue est décédé depuis le drame. Son successeur à la tête de l’ACCA prend le relais : Laurent Lacassagne constate que les consignes sont peu claires mais blâme la chasseuse. « La ligne est mal conçue, mais elle l’avoue, c’est elle qui prend position à ce poste. »
« Ce n’est pas un accident malheureux »De fait, elle imite ses aînés qu’elle a vu faire, plus tôt dans la saison. Personne ne la corrige. « Elle a 17 ans, on la plante au milieu du pré et elle se débrouille ? », reformule le président, Philippe Clarissou. Tantôt peu fier, tantôt sur la défensive, Laurent Lacassagne consent : « C’est la chasse d’il y a dix, quinze ans. On ne veut plus voir ça, grince-t-il. Ça aurait pu arriver à d’autres sociétés qui étaient aussi peu en conformité que nous. Malheureusement, c’est arrivé chez nous et on ne s’en réjouit pas ».
Sans une larme, les proches écoutent et soupirent. « Ce n’est pas un accident malheureux, s’agace l’un des avocats de la partie civile Me Pierre Méral. Ça fait quarante ans que les chasseurs se placent comme ça, ça fait quarante ans que ce tir mortel peut avoir lieu. » La famille le dit : terrifiée par les sangliers, Mélodie Cauffet aurait rebroussé chemin à la vue du premier panneau « battue en cours ». Il n’y en avait pas.« Je considère que le principal responsable est l’ACCA, enchaîne le procureur, Paolo Giambiasi. [L’autrice du tir] a été placée dans un contexte totalement défaillant. Les consignes à donner avant la battue sont vues comme un formalisme ennuyeux. »
Si on veut être tranquille et ne pas avoir de contrainte, on ne va pas en forêt pour tirer à balle réelle. On reste dans son canapé
En forme d'avertissement pour les autres société de chasse du département, il requiert 100.000 € d’amende, dont 50.000 avec sursis pour l’association de chasse qui a été verbalisée l’année suivante… pour n’avoir pas mis assez de panneaux de signalisation. Tant pis si la structure sera en danger, financièrement, ensuite : « Je ne vois pas comment on peut requérir moins. Ce sera l'affaire de l'association de chasse de payer, même si cela doit prendre dix ans. Cela ne m'empêchera pas de me relever la nuit : il me semble que la gravité des faits prime sur cela. »
L’ACCA de Cassaniouze a été condamnée à 80.000 € d’amende, dont 40.000 avec sursis.
Pierre Chambaud