À Blois, d'anciens captifs africains retrouvent leur identité et des descendants
Pour aboutir à ce résultat, Klara Boyer-Rossol a analysé pendant six ans les carnets de l'ethnographe Eugène Huet de Froberville et sa collection de bustes moulés en plâtre, réalisés en 1846 sur d'anciens captifs déportés de l'Afrique orientale à l'île Maurice.
"J'ai pu recouper les informations qui apparaissent sur les bustes et ainsi identifier la quasi-totalité de la collection et des individus eux-mêmes", explique l'historienne à l'AFP.
Sur ceux qu'elle parvient à nommer, tous, dont une femme, étaient d'anciens captifs, déportés de l'Afrique orientale, principalement des Mozambique et Tanzanie actuels.
La plupart ont été réduits en esclavage à l'île Maurice, entre les années 1810 et 1830, dans un contexte de traite illégale.
Une autre partie, les Lily, du nom du navire britannique qui les a sauvés, ont été introduits par les Anglais après l'abolition de l'esclavage à l'île Maurice en 1840, considérés comme des "Africains libérés".
Bien que libres, l'ethnographe "a usé de diverses stratégies pour les convaincre" pour parvenir à réaliser ses masques, des méthodes qui soulèvent la question du consentement des individus, confrontés à une opération "très douloureuse".
"Bout d'histoire"
D'autant que si Eugène Huet de Froberville, abolitionniste, considérait ses informateurs africains comme des êtres avec une culture propre, il les catégorisait malgré tout comme des représentants d'une "race".
Parmi les bustes présentés dans le cadre de l'exposition "Visages d'ancêtres" dans une salle du château de Blois jusqu'au 1er décembre, les visiteurs peuvent par exemple faire la rencontre de João, né vers 1810 dans le territoire des Nyungwe, dans l'actuel Mozambique, et qui trouva refuge auprès d'un groupe qui finit par le vendre à des marchands d'esclaves.
Avec près de 500 autres captifs, João fut embarqué en 1840 à bord du navire brésilien le José, intercepté par le croiseur anglais Le Lily et transféré à Maurice, où il reçut le nom Dieko du Lily, et fut engagé comme travailleur libre.
"Nous sommes parvenus à redonner un bout d'histoire à ces bustes exceptionnels, dont une partie conserve des restes organiques dans le plâtre comme des cheveux ou des cils", se réjouit, émue, Mme Boyer-Rossol.
Plus incroyable encore, des descendants de ces anciens captifs ont pu être retrouvés et continuent, des générations plus tard, à porter le nom des Lily.
C'est par exemple le cas de Doris Lily, qui vit en métropole.
"Tous nos ancêtres"
"C'est très émouvant de découvrir de quelle région provenaient nos ancêtres et remonter leur histoire", raconte-t-elle aux côtés de ses enfants, lors d'une visite spéciale réservée à une vingtaine de descendants des Lily.
Cette découverte leur a surtout permis d'apprendre l'origine de leur nom. "Je pensais, comme beaucoup de descendants africains, que notre nom avait été donné par un maître", dit encore Doris Lily.
Pour son fils Maxwell, cette découverte l'a encouragé à "s'intéresser davantage à l'histoire de ses ancêtres". "Tout ça dépasse notre simple histoire, elles participent à l'histoire avec un grand H et à l'histoire de Maurice".
Pour autant, si ce travail ne permet pas encore à chacun de connaître leur lien avec un aïeul en particulier, pour Jean-David Lily, qui remonte le parcours des siens depuis des années, ceci importe peu.
"Tant qu'il n'y a pas la possibilité d'identifier exactement nos ancêtres, tous ceux présents à bord du Lily sont nos ancêtres. Ce sont beaucoup d'émotions de voir leurs visages pour la première fois", affirme-t-il.
En 2025, tous les bustes seront transmis pour cinq ans au Musée intercontinental de l'esclavage de Port-Louis, à l'île-Maurice, où l'attente est "énorme".
"Ces bustes, qui peuvent être qualifiés de +reliques+ sont des témoignages très rares de cette région. Tout le projet a été conçu pour que les Mauriciens les retrouvent", conclut Klara Boyer-Rossol.