Dans ce collège de Haute-Loire, on expérimente le "sans portable"
Le recteur de l’académie de Clermont-Ferrand, Karim Benmiloud, est allé à la rencontre de quelques élèves et de leurs parents, mardi matin au collège Boris-Vian de Retournac. Ce dernier fait partie des 200 collèges de France qui expérimentent la pause numérique : ils sont six dans l’académie, dont deux en Haute-Loire avec celui de Langeac.
Sous la conduite de Bruno Rohaut, principal du collège, le recteur a découvert le dispositif expérimental mis au point par l’équipe éducative depuis le 7 octobre.
Tous les élèves de cinquième - soit 75 jeunes - déposent leur téléphone portable voire tout objet connecté à leur arrivée au collège dans une enveloppe avec nom et prénom qu’ils glissent dans une boîte. Les collégiens les récupèrent en fin de journée, à la sortie. Entre-temps, l’armoire est fermée à clé. « Le portable est interdit dans les établissements scolaires certes, mais la vigilance s’est relâchée?; il y avait une forme de tolérance durant la récréation et les intercours. Le principe de la pause numérique fonctionne. Il permet aux parents de trouver un soutien pour réguler l’usage du portable à la maison », soulignait le principal. Avant d’ajouter que « ce qui se passe à la maison et ce qui se passe au collège doit être en cohérence. On doit apprendre aux adolescents à se servir d’un portable ». Reste à l’établissement scolaire à s’organiser, trouver une solution technique et la financer.Le recteur de l'académie était en visite devant les collègiens
Cette initiative baptisée « pause numérique », était l’objet d’une rencontre avec des parents et des élèves pour échanger sur ses premiers effets. De l’avis de tous les présents, ils sont positifs.
« Nous souhaitions l’imposer à tous les élèves mais nous manquons de casiers, observe Bruno Rohaut qui prévoit d’élargir le dispositif à tous les niveaux d’ici la fin de l’année. À ce titre, le professeur d’arts plastiques travaille sur un prototype de casiers.
Après plusieurs semaines de mise en place, 35 % à 40 % des 5e déposent leur portable et une partie des élèves ne l’emmène plus au collège. C’est le cas d’Augustin pour qui, « ça sert à rien ». « Si on en arrive là, c’est à cause de ceux qui les utilisent au collège et ne respectent pas le règlement », remarquait une jeune élève.
« Il y a deux ans, le collège a été confronté à des vidéos tournées entre élèves, mettant parfois en scène des professeurs, puis diffusées sur les réseaux sociaux. Il ne s’agissait que de quelques vidéos mais c’était trop?! », insiste Bruno Rohaut. Les parents présents, mardi, saluaient l’initiative.
« L’approche de la pause numérique est différente en fonction des établissements, remarquait le directeur académique des services de l’Éducation nationale du département (Dasen), Hervé Bariller. C’est une expérimentation. Il est top tôt pour évaluer le dispositif ».
Avec le recul de quasiment un mois et demi de mise en pratique, les enseignants, les 170 élèves et le principal Pierrick Villard font d’ores et déjà quelques constats… « Je ne confisque plus de téléphone depuis la rentrée, ce que j’étais obligé de faire en permanence les années précédentes, explique le principal. Dans la cour, il y a moins de conflits, l’ambiance est plus sereine. Il faut bien comprendre que les chamailleries, les petites disputes entre élèves, qui tendent à se prolonger, à s’amplifier et à s’envenimer en dehors du temps scolaire, ont presque toujours pour origine les réseaux sociaux. Le taux d’équipement en téléphonie mobile de nos élèves, qui augmente bien sûr de la sixième à la troisième, est de 75 %. Des parents sont venus exprimer leur gratitude pour cette aide apportée par le collège dans la lutte qu’ils mènent de leur côté contre le comportement addictif de leur enfant… ». Pour Louna et Anouck (qui dépose ici son mobile dans son casier), élèves de troisième au collège du Haut-Allier, la pause numérique expérimentée depuis la rentrée par leur établissement est un pas vers une certaine « libération ».
De fait, depuis le lever - le mobile fait office de réveil - et jusqu’au coucher, le téléphone est omniprésent dans la vie de nombre d’élèves, messages et autres notifications affluant sans répit tout au long du jour. Louna a fait le choix de ne plus apporter son portable au collège. Quant à son amie Anouck, élève de troisième, elle dépose son mobile dans son casier, à son arrivée. « Je consulte mon téléphone en me levant, dans le car scolaire et dès la sortie des cours, je vais voir mes messages, je regarde des vidéos sur TikTok, j’écoute de la musique, explique la collégienne. Le soir après les cours, mon mobile est sur mon bureau quand je fais mes devoirs. Après le repas, je vais me coucher avec. J’ai du mal à me concentrer, à entrer dans la lecture d’un vrai livre. C’est dur de dire stop ». Les deux copines constatent que la pause numérique leur permet de « décrocher », de parler davantage entre elles.
Trouble de l’attention Au collège public langeadois, autour de 75 % d'élèves sont équipés en téléphonie mobile. Depuis la rentrée, près de 50% d'entre eux laissent désormais leur portable à la maison.Pour Tatiana Dumas, professeur de lettres et de latin au collège, l’usage des écrans et la fréquentation intempestive des réseaux sociaux détournent très clairement les élèves de l’écrit, support indispensable aux apprentissages, entraînant troubles de l’attention, problèmes de mémorisation, formatage de la pensée, mésestime de soi… « Certains réseaux sociaux sont très fréquentés par nos élèves, induisant un autre rapport au temps et à la syntaxe, insiste le professeur. En tant qu’enseignante, je suis tout à fait favorable à la pause numérique. Je m’efforce d’ailleurs d’utiliser les écrans avec parcimonie dans le cadre de mes cours. Par ailleurs, la mise en place du quart d’heure de lecture quotidien me semble très pertinente. Nous essayons de développer d’autres automatismes afin que les élèves sortent leur livre plutôt que leur portable ». Il y a quelques jours, une élève de quatrième est venue spontanément pousser la porte du principal. « Elle voulait me remercier, ajoute Pierrick Villard. Avant, elle passait 6 à 7 heures par jour sur son mobile. Elle a compris qu’elle n’en avait pas tant besoin que ça. Elle s’est mise à lire le soir ».
Nathalie Courtial