"Il faut arrêter l'inflation normative", estime Bernard Delcros, le sénateur du Cantal qui gagne en influence
D’ores et déjà président du Parlement rural français, Bernard Delcros ajoute une corde à son arc. Le sénateur du Cantal, qui siège au palais du Luxembourg depuis 2015, vient d’accéder à la présidence de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Membre du groupe Union centriste, vice-président de la commission des finances, il prend la suite de sa collègue Françoise Gatel, nommée ministre déléguée à la Ruralité. Entretien.
En quoi consiste votre nouveau rôle au Sénat ? Aux côtés des 43 sénateurs qui composent la délégation, j’entends porter la voix des élus locaux, des territoires. Et surtout, agir pour que des réponses concrètes soient apportées à leurs problématiques. La délégation porte par exemple un service juridique aux maires de France : la Cellule d’information et de réponse sur les collectivités (Circé).
Les normes sont l’un des sujets de prédilection de votre délégation. Françoise Gatel, la nouvelle ministre, parlait d’une « boulimie normative »... Je reprends volontiers cette expression. J’ai occupé très longtemps les fonctions de maire d’une petite commune de montagne : 400 habitants au pied des monts du Cantal. J’ai vécu concrètement l’empilement des normes, l’accumulation des réglementations, l’explosion des démarches administratives. Cela empoisonne la vie des élus, les décourage. Cela empêche parfois les projets de se réaliser.
Un exemple tout bête ? Le cas d’une petite commune du Cantal ayant des activités de pleine nature, gérées par un privé, avec quelques chalets. La commune a pour projet de compléter l’offre en créant un petit hébergement touristique d’une vingtaine de places. Mais au moment de déposer le permis de construire, on lui dit : « la réglementation a changé. Maintenant, il faut commencer par une étude UTN, unités touristiques nouvelles ». Pour 20 places, 70.000 euros d’étude ! Elle a abandonné le projet.
Selon vous, ces normes coûtent 2,5 milliards d’euros par an. Comment en économiser une partie ? En 2019, le Conseil national d’évaluation des normes estimait à 800 millions d’euros ce coût annuel. En cinq ans, nous l’avons multiplié par trois ! On ne peut pas continuer comme ça. Il faut arrêter l’inflation normative, c’est une priorité absolue. Les préfets de départements ont un pouvoir de dérogation : il est peu appliqué mais il existe. Il faut l’étendre, afin de pouvoir déroger aux règles générales et mieux adapter la réglementation aux réalités du terrain.
Les finances locales sont au cœur des débats. Le président des Départements de France, François Sauvadet, affirme n’avoir « aucun levier » pour compenser la ponction imposée par Bercy. Il bluffe ? Ce n’est pas du bluff. Il faut exclure les Départements de la participation au redressement des finances publiques. Je ne suis pas opposé à une participation des collectivités, mais celle-ci doit se faire sur la base d’une justice territoriale. Il faut protéger les collectivités les plus fragiles. On ne peut pas traiter une métropole qui génère d’importantes recettes supplémentaires de la même manière qu’une petite commune rurale qui connaît une baisse démographique. Parmi les mesures proposées, je suis opposé à la diminution de 10 % du fonds de compensation pour la TVA, qui touche toutes les collectivités sans exception. Elle doit être abandonnée.
La carte scolaire sera l’une des priorités de votre délégation sénatoriale. Que reprochez-vous à ses méthodes d’application ? C’est une question de respect des enfants et des familles du secteur rural. Tous les élus comprennent que l’évolution des effectifs entraîne redéploiement ou suppression de postes. Mais ces mesures de carte scolaire tombent, chaque année, comme un couperet sur la tête des élus, dans une approche purement comptable, descendante, décidée à Paris. Il faut donc changer de méthode et passer à une vision sur trois ans, en regardant les naissances domiciliées. Cette vision qui part du terrain, les élus sont prêts à l’accepter.
Le PDG de La Poste a évoqué 50 millions de coupe budgétaire de l’État pour le contrat de présence postale doté de 177 millions d’euros annuels. La disparition annoncée des agences postales communales ? Il y a un risque et c’est un sujet qui me tient à cœur. On touche directement au service public en milieu rural. Cette coupe budgétaire pourrait remettre en cause le financement des agences postales communales, mais aussi des relais installés chez les commerçants. Je siège à la commission supérieure du numérique et des postes. Je suis intervenu immédiatement auprès de Laurent Saint-Martin, ministre du Budget, et auprès de Catherine Vautrin, ministre du Partenariat avec les territoires. Aujourd’hui, j’ai bon espoir que cette mesure soit retirée.
Propos recueillis par Romain Blanc
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