Au cimetière de Saint-Germain-des-Fossés, la vie se partage où on ne l’attend pas
Dans les allées parsemées de trèfle du cimetière de Saint-Germain-des-Fossés, alors que le soleil ne s’est pas encore caché derrière le clocher du prieuré, les visiteurs s’activent doucement. Quelques jours avant la Toussaint, nombreuses sont les tombes déjà parées de la palette vive et automnale des chrysanthèmes en fleur.
« Il est trop joli, ce cimetière. » Tellement joli que Michèle, 80 ans, y emmène régulièrement ses arrière-petits-enfants en balade. Cet après-midi, c’est Éden, 18 mois, qui se laisse promener dans sa poussette sans broncher. Tandis que son arrière-grand-mère en profite pour saluer les connaissances qu’elle s’est faites ici, à force de les croiser lorsqu’elle venait se recueillir sur la tombe de sa fille.
Rattraper le temps perdu« J’ai fini par rencontrer des gens que je ne connaissais pas du tout, alors que nous sommes tous de Saint-Germain. Maintenant, quand on se voit en ville, on se fait coucou. Et ici, on se croise, on papote… C’est sympa. » Michèle repart terminer sa balade, un sourire esquissé au coin des lèvres.
C’est un lieu de rencontre qui peut sembler inattendu. Et pourtant çà et là, par discrètes petites touches, la vie reprend ses droits. Elle est partout. Pas de grandes effusions ici, quoiqu’on sent un plaisir non feint dans les retrouvailles fortuites, entre les membres éloignés d’une famille qui se croisent là par hasard, ou d’anciens voisins qui s’étaient perdus de vue, et qui tombent nez à nez au coin d’une allée. C’est de saison.
« On habite du côté de Saint-Étienne, témoignent Jean-Pierre et Danielle, de passage ce jour-là. On ne fait pas toujours le tour des cimetières le jour de la Toussaint, ça dépend surtout de la météo. Mais on sait qu’on retrouvera forcément d’anciennes connaissances, qu’on n’a pas vues depuis des années. On peut rester des heures sur place, à rattraper le temps perdu ! » Et peut-être se donner rendez-vous l’année prochaine, même lieu, même date.
L‘ambiance feutrée du cimetière se prête à la mesure, et au respect du recueillement de chacun. Pour certains, il se fait en silence, ou bien au son discret de la pelle qui gratte la stèle, et de l’eau versée par l’arrosoir. Mais pour d’autres, commémorer ses morts c’est faire vivre leurs souvenirs, en les partageant.
Luc et Colette se rendent sur la sépulture de leur fils plusieurs fois par jour depuis son décès. En 31 ans, ils ont noué des liens avec d’autres habitants de la commune qui, comme eux, sont là quasiment quotidiennement.« On parle de tout, mais souvent de nos enfants. Notre fils allait souvent chez cette dame, qui n’habitait pas loin, et dont le petit-fils est décédé récemment. »
« Ils s’inquiétaient de ne pas nous voir »Évoquer le passé, pour ne pas le laisser trop s’éloigner. Mais prendre des nouvelles de ceux qui restent, aussi. « Je me suis fait opérer des yeux, explique Luc, donc on n’a pas pu venir pendant quelques jours. Alors ils s’inquiétaient de ne pas nous voir ! » Une manière de prendre soin les uns des autres, et de s’épauler, quand la peine se fait trop présente.
« Il y a quelques années cette dame nous disait, je ne sais pas comment vous faites pour venir tous les jours. Malheureusement, elle a ensuite vécu la même chose que nous, et on a cru qu’elle ne s’en remettrait pas. Elle nous a demandé comment on avait fait. »
Connaissez-vous bien l'histoire des cimetières de Clermont-Ferrand ?
Alors on partage son expérience, ses larmes aussi, parce qu’on ne ressent pas le besoin de les cacher, ici : les autres savent. Puis, après avoir arrosé les plantes une dernière fois, pour être sûr, on s’en retourne chez soi, en ayant une fois de plus éloigné ce cafard qui se fait parfois trop envahissant… Et sans doute un peu moins seul qu’en arrivant.
Texte Sandrine Gras
Photos François-Xavier Gutton