Mitsu, youtubeur français vivant au Japon : "Il faut éviter de sur-idéaliser ce pays, et essayer d'être plus proche de la réalité"

Mitsu, youtubeur français de 33 ans, habite à Tokyo. Il a déménagé au Japon le jour du tremblement de terre, en 2011. Depuis, il s'est forgé une communauté sur Internet et fait partager la culture nippone à travers son contenu.

Bracelets au poignet, lunettes et ongles noirs, piercing labret en-dessous des lèvres, il a accepté de nous accorder une demi-heure avant l'ouverture des portes de la Japan Event, samedi 2 novembre, à Clermont-Ferrand. On a parlé animés, stéréotypes, et surtout, vision du Japon.

C'est ta deuxième fois à la Japan Event. Qu'est-ce qui t'a fait revenir pour cette nouvelle édition ?

"Les gens ! (rires) En 2013, j’étais venu en tant que musicien. J'avais fait une sorte de petite tournée dans les conventions françaises. De toutes celles où je suis allé, la Japan Event est celle que j’ai préférée : les gens étaient les plus gentils, les plus humains. Cette année, quand l'organisation m’a dit "on te veut" j'ai répondu "avec grand plaisir !" Ça faisait 11 ans, il s’en est passé des choses...

C’est aussi un prétexte pour moi pour revenir en France, revoir ma famille. Pendant mes dix premières années au Japon, je suis revenu ici seulement une ou deux fois."

A quelques minutes de l'ouverture de la convention, la file s'allonge à l'extérieur. Preuve de l'engouement pour la culture japonaise. Pourquoi elle plaît autant à ton avis ?

"C’est beaucoup de choses. Le point de vue français est particulier, car notre pays a un certain passé avec le Japon. Puis il y a aussi la démocratisation de la culture, avec l'apparition des animés japonais dans les années 1980, l'engouement à partir des années 2000 avec les mangas, la musique, etc.

D'une manière générale, c'est tellement un pays à l'opposé du nôtre. En tant que Français, on voit le Japon comme un pays poétique, avec une culture du zen, des temples... Une image un peu détournée, mais qui existe ! Et je pense que c'est ça déjà qui fait que les gens doivent se dire : "waouh, dans le même monde que le nôtre, il existe un pays aussi aussi différent."

Le soft-power japonais fait aussi son effet, c'est pourquoi les gens restent un petit peu dans cet univers."

Justement, trouves-tu que l'on a souvent tendance à idéaliser ce pays ?

"Je pense que ça va dépendre de l'attente que l'on a sur le Japon. Il y a eu une période de sur-idéalisation, post années 2000, où l'on pouvait avoir un style totalement décousu et personne pour nous juger, des styles de musique qui n'auraient jamais trouvé du succès en France, etc. Rien à voir avec ici.

Et forcément, dans notre société à nous où il y a un petit peu plus peut-être de communautarisme, où on est plus un peu fermés dans des boîtes, il y a eu cette vision du Japon comme le pays de la liberté.

Mais le problème de l'être humain, quand on sur-idéalise quelque chose, il arrive à un moment où il y a un retour de bâton... Un moment où on est obligé de redescendre. Alors, on a vu arriver dans les années 2010 une vague inverse : beaucoup de gens qui se sont mis à pointer du doigt les mauvais côtés du Japon (parce que bien sûr il en existe comme n'importe quel pays). Ça s'est beaucoup vu sur les réseaux, sur Youtube en particulier, avec des vidéos qui disaient : "Regardez  ! Le Japon, ce n'est pas le pays de vos rêves, c'est ci, c'est ça"."

C'est un fait, le Japon et tout ce qui l'entoure fascine. Mais pour Mitsu, il faut adopter un discours un peu plus modéré. Photo Thierry Nicolas

Et maintenant ? La vague est passée ?

"On arrive à une période où ça commence doucement à se stabiliser à certains niveaux, même s'il y a encore des gens qui continuent de défoncer le pays.

Pour autant, le point de vue devient plus modéré. C'est bien, au final ça montre que c'est un pays comme un autre qui a des bons et des mauvais côtés. Il faut juste savoir être modéré."

Y a-t-il des stéréotypes sur le Japon qui persistent encore ?

"Déjà, malgré tout l'engouement autour du Japon, ça reste une niche. Il y a quand même une majorité de gens qui pensent que Japon, Corée et Chine sont la même chose. J'ai une anecdote rigolote à ce sujet. Mon application Uber (un service qui propose des trajets comme un taxi), est en japonais parce que je l'ai installée là-bas. Donc mon nom s'affiche en caractères "katakana" (l'un des trois alphabets nippons). Résultat : quatre à cinq Uber sur six n'acceptent ma demande de transport, parce qu'ils pensent que je suis chinois. Alors je leur explique gentiment, que c'est du japonais parce que j'habite à Tokyo, que je suis en vacances en France, etc.Mais je me rends compte vraiment que encore la majorité des gens ont une image extrêmement floue du Japon et de l'Asie en général. Bon nombre de fois on m'a dit : "mais du coup, c'est vrai qu'ils mangent du chien chez toi ?". Ce genre de choses qui persistent. Ça existe mais c'est pas comme ça partout, heureusement.

Autre exemple, la surcharge de travail. Avec ces images de Japonais qui ne font que travailler, qui dorment dans leur bureau, etc. Mais en fait, cette vision ne concerne que les employés de bureau. Les commerçants, les artisans, ont un rythme de vie totalement normal ! Mais ça, on ne le montre pas, parce que ce n'est pas suffisamment différent de nous pour que ce soit intéressant d'en parler."

A travers ta chaîne Youtube, tu adoptes une posture et un point de vue plus modérés sur le Japon et sa culture. Tu as déjà eu des fans qui, grâce à ton contenu, ont sauté le pas et sont partis vivre là-bas ?"Beaucoup ! Même des gens qui sont juste partis en vacances, avec une peur bleue de prendre l'avion. 

Quand j'ai pris l'avion pour venir ici en France, le garçon assis à côté de moi était un abonné de ma chaîne Youtube. Il m'a dit expliqué qu'il revenait de trois semaines de voyage au Japon, seul, avec un sac à dos. Il m'a glissé que c'était le meilleur voyage de sa vie. Je reçois souvent ce genre de commentaires et ça me fait extrêmement plaisir." 

Pour finir, comment vois-tu l'avenir de l'influence japonaise en France ?

"J'espère qu'on arrivera à terme sur un contenu modéré présent un petit peu partout sur les réseaux, histoire de casser cette mode de faire des vues en disant des bêtises sur le Japon (en positif ou en négatif).

Dans ces contenus, j'aimerais y voir moins de mise en avant des idées reçues, mais plus de gens qui prennent la parole pour montrer à quoi ressemble réellement le Japon sans en rajouter forcément des caisses. Le plus intéressant, c'est de montrer en quoi c'est différent, en quoi c'est pareil que chez nous et c'est là justement, je trouve qu'il y a une magie : le Japon a beau être à l'autre extrémité du monde, il y a des choses qui sont très semblables à la France. En clair, éviter de soit sur-idéaliser, soit surtaxer le Japon, mais essayer d’aller sur quelque chose d’un peu plus proche de la réalité."

Propos recueillis par Adrien Fillon et Léa Andruch