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2024

Derrière l'assassinat de Samuel Paty, l'ombre d'un prédicateur islamiste proche des dirigeants du Hamas

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La première fois qu'ils se sont appelés, Abdelakhim Sefrioui et Brahim Chnina ont parlé de la Palestine. Nous sommes dix-neuf jours avant que Samuel Paty, professeur d'histoire-géographie à Conflans-Sainte-Honorine, dans les Yvelines, ne soit assassiné. La justice soupçonne les deux hommes d'avoir orchestré une large campagne de haine contre l'enseignant en s'appuyant sur les mensonges de la fille collégienne de Chnina. A l'époque, l'adolescente affirme que Samuel Paty a projeté des caricatures de Mahomet nu, demandant aux élèves musulmans de sortir de la classe. Un double mensonge - elle n'a jamais assisté aux cours en question - raconté dans une vidéo filmée par Sefrioui devant le collège. Quatre ans plus tard, le père et le militant islamiste comparaissent depuis le 4 novembre devant la cour d'assises spéciale de Paris pour "association de malfaiteurs terroriste" avec six autres accusés.

Ce 25 septembre 2020, dans une conversation longue de près de 35 minutes - qui en précède beaucoup d'autres - Chnina et Sefrioui évoquent la situation au Proche-Orient. C'est en tout cas ce qu'a déclaré le prédicateur lors de ses gardes à vue : "La première fois, Mohamed (alias Brahim China), m'avait posé des questions sur la Palestine, comme les 2500, 3000 contacts que j'ai. Les gens viennent de toute l'Europe, et m'appellent pour la Palestine". Sefrioui, expert de l'agit-prop, dévoue une grande partie de sa vie à la cause palestinienne. L'enquête ouverte après l'attentat de Conflans-Saint-Honorine dévoile un nouvel aspect de cet homme de réseaux. Antisioniste virulent, évoluant dans des sphères proches de l'idéologie des Frères musulmans, Sefrioui compte dans son carnet d'adresse des personnalités du Hamas. Beaucoup. Parmi ses contacts directs ou indirects, on retrouve également plusieurs figures du terrorisme islamiste.

"Impliqué dans les milieux islamistes radicaux"

"Aucun élément ne suggère, dans son parcours et son profil, des accointances avec l'islamisme radical au sens terroriste du terme", affirme cependant à L'Express Me Vincent Brengarth, l'un de ses avocats, qui insiste sur le fait que son client "conteste tout lien, direct ou indirect, avec la commission de l'attentat". "M. Sefrioui est un militant pour la cause palestinienne, contre la politique menée par Israël, mais avec un cloisonnement total entre son parcours idéologique et le terrorisme djihadiste", poursuit Me Brengarth.

L'ordonnance de règlement du procès, à laquelle L'Express a eu accès, décrit un homme "impliqué dans les milieux islamistes radicaux". Son "relationnel au sein de la sphère islamiste de même que son ancrage idéologique" témoignent d'un "parcours politico-religieux tourné principalement vers la contestation sociale, voire l'action violente", écrivent les magistrats. L'homme est bien connu des services de renseignement français. Selon un mémoire de l'avocate de la famille Paty versé au dossier judiciaire, il est fiché S, inscrit au Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste.

Proche de l'idéologie frériste

Né à Fès, au Maroc, le 21 avril 1959, Sefrioui arrive en France en 1982. Il obtient sa naturalisation trois ans plus tard, après son mariage avec une Française convertie. Inscrit à l'université du Mans, il est alors président de la branche locale de l'Union nationale des étudiants marocains. En 1985, il manifeste contre la visite de l'ambassadeur d'Israël sur le campus, entraînant des excuses du secrétaire d'Etat français aux Universités.

Au fil des ans, Sefrioui se rapproche de sphères de plus en plus radicales. En 1993, il participe à la création du Conseil des imams de France, dont il devient trésorier. Le groupuscule est composé de personnalités déjà remarquées par les autorités. Son conseil d'administration compte par exemple Mohammed Hammami, imam parisien qui sera expulsé en 2012 en Tunisie à cause de prêches prônant le djihad. Son secrétaire est Dhaou Meskine, ancien imam de Clichy-sous-Bois, décrit dans l'ordonnance de règlement du dossier judiciaire comme "défavorablement connu des services spécialisés pour ses liens avec des militants islamistes radicaux", condamné en 2006 pour "des faits d'associations de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime". Sefrioui partage sa proximité avec l'idéologie des Frères musulmans, a expliqué Meskine aux enquêteurs.

"Nous sommes tous des Frères musulmans"

Une idéologie dont le futur prédicateur ne s'éloignera jamais. Devenu libraire au début des années 2000 après des études dans le marketing et des postes dans l'enseignement comme maître auxiliaire, Sefrioui commercialise des ouvrages de la mouvance "frériste". Dans sa librairie-maison d'édition de la rue Jean-Pierre Timbaud, dans le XIe arrondissement de Paris, il vend des livres de Youssouf al-Qaradwi, mentor spirituel des Frères musulmans. Il signe d'ailleurs la préface d'un de ses ouvrages en 2006. Lors des perquisitions réalisées à son domicile, les enquêteurs ont également retrouvé - outre les essais d'al-Qaradwi - des affiches de manifestations évoquant la confrérie. "Egyptiens, Français… libres. Nous sommes tous des Frères musulmans", peut-on lire sur l'une d'elles.

De quoi manifester, car, depuis le début du siècle, Sefrioui est devenu un professionnel des actions de "désobéissance civile". Il se fait d'abord remarquer aux Ulis, dans l'Essonne, à l'occasion d'un conflit déclenché par la construction d'une mosquée. Sefrioui se fait appeler "imam" et organise des manifestations, puis des prières de rue. Il éprouve une technique d'agit-prop qu'il affinera dans plusieurs villes d'Ile-de-France par la suite. En 2004, la création du collectif Cheikh Yassine - du nom du fondateur du Hamas, organisation palestinienne considérée comme terroriste en Europe - lui permet de prendre une nouvelle dimension. En 2010, il organise une prière de rue devant l'Hôtel de Ville d'Epinay-sur-Seine. Il dénonce l'attribution de la gestion du lieu de culte communal à la Grande mosquée de Paris.

Milieux antisionnistes virulents

En mars 2011, il se rend devant le lycée Auguste Blanqui de Saint-Ouen. Il se présente comme accompagnateur de parent d'élève, alors que plusieurs lycéennes se disent stigmatisées - on leur interdit de porter l'abaya. Déjà, à l'époque, Sefrioui fait témoigner ces adolescentes aux abords de leur établissement en vidéo. Des banderoles "Islamophobes, on est là" sont placées devant le lycée. Le collectif Cheikh Yassine proteste aux côtés de membres de Forsane Alizza, groupuscule dissous l'année suivante et dont le chef, Mohammed Achamalane, sera condamné à 9 ans de prison pour terrorisme. Trois ans plus tard, rebelote, cette fois à Evry. "En 2014, je me rappelle qu'il était présent à l'extérieur de la mosquée, où je m'étais rendu à l'occasion de la rupture du jeûne du Ramadan, témoigne Manuel Valls. Il était avec une dizaine de militants, et mettait en cause mes positions vis-à-vis d'Israël".

Sefrioui s'illustre effectivement dans des événements et des sphères antisionistes très virulents. Fréquentant un temps Dieudonné - il rejoint son comité de campagne pour la présidentielle de 2007 -, il fait même partie des proches interrogés, avec Alain Soral, dans le documentaire Sans forme de politesse : regard sur la mouvance Dieudonné. A cette époque, Sefrioui défile dans des manifestations pro-palestiniennes à ses côtés, avec des figures de l'extrême droite, ou encore Kemi Seba, militant suprémaciste noir leader de la Tribu Ka, un groupuscule antisémiste.

"Un membre du Hamas"

Avec le collectif Cheikh Yassine, le prédicateur mène plusieurs actions en 2010 contre l'imam de Drancy Hassen Chahlgoumi, qu'il qualifie auprès du Parisien de "pion des sionistes", "manipulé par le Crif". Son groupe manifeste à plusieurs reprises devant la mosquée. La situation se dégrade au fil des mois, et à deux reprises, des personnes du collectif tentent de s'introduire dans l'enceinte du lieu de culte. "Ils ont annoncé à un moment qu'ils organisaient une manifestation partant de la mosquée allant jusqu'à la mairie, en passant par la synagogue, se rappelle Jean-Christophe Lagarde, maire (UDI) de Drancy à l'époque. J'ai appelé le préfet, puis le ministre de l'Intérieur de l'époque, Brice Hortefeux, pour leur demander d'interdire une manifestation porteuse de trouble à l'ordre public". La manifestation n'aura finalement pas lieu.

A la même époque, Sefrioui menace également Dalil Boubakeur, recteur de la Grande mosquée de 1992 à 2020. Interrogé par les enquêteurs, ce dernier expliquait avoir connu le prédicateur en 2009, après avoir donné une interview à un magazine israélien au sujet des relations entre les juifs et les musulmans français. Sefrioui avait lancé un appel à envahir la Grande mosquée de Paris. Reproduisant un mode opératoire déjà utilisé, il était présent devant le bâtiment, haranguant le recteur et ses proches avec quelques dizaines de militants. "Il a organisé une prière de rue devant la mosquée, se rappelle Bernard Godard, haut fonctionnaire honoraire, spécialiste de l'islam au ministère de l'Intérieur entre 1997 et 2014. On n'avait jamais vu ça. C'est quelqu'un qui cherche toujours le buzz". Dans son récit aux enquêteurs, Dalil Boubakeur raconte que le collectif est revenu le lendemain, diffusant des chants du Hamas. Le recteur de l'époque s'interroge sur le fait "qu'un membre du Hamas en France se baladait et le menaçait".

Des liens avec l'association Barakacity

Flirtant avec les limites de la loi sur l'appel à la haine, Sefrioui prend garde à ne pas franchir trop ostensiblement la ligne. Certains de ses proches sont moins prudents. Nassim Taché, détenant une part du capital d'une librairie ouverte par Sefrioui en 2011, sera condamné en avril 2017 à cinq ans de prison pour association de malfaiteurs terroristes. Le militant est également membre du collectif Cheikh Yassine, dont il est l'un des animateurs. Dès le début des années 2010, l'organisation - qui sera dissoute en octobre 2020 - est déjà bien dans le viseur des services de renseignement. Elle ne cache ni son antisionisme virulent, ni son soutien au Hamas. En 2014, le collectif participe par exemple à un rassemblement pro-Gaza interdit à Paris. Sefrioui harangue la foule : "Est-ce que vous reconnaissez Israël ?". "Non !" répond une partie des manifestants. Auprès du JDD, le prédicateur tance les "sionistes" : "A côté d'eux, Hitler est un enfant de choeur". Habitué de ces événements, il en profite pour organiser des collectes "pour Gaza". A son domicile, les enquêteurs ont retrouvé plusieurs affiches ("Les sionistes d'aujourd'hui sont les nazis d'hier") ainsi que des urnes pour recueillir des dons ("Votre zakat pour Gaza. Directement de votre main à celle des orphelins").

Ces campagnes sont également réalisées sur les réseaux sociaux. Une organisation bien rodée, à tel point que l'ordonnance de règlement décrit Abdelhakim Sefrioui comme un "chef d'orchestre" qui gérait "les flux financiers et donnait les instructions pour débloquer les fonds et les distribuer". Il n'était pas seul. D'après ses relevés téléphoniques, le prédicateur a échangé au sujet des dons à la Palestine avec une autre personnalité connue des services de police : Driss Yemmou, ancien dirigeant de l'association Barakacity - très active à Gaza - et dissoute en 2020, notamment pour "propos haineux" et "incitation à la haine ou à la violence".

Sefrioui utilise "également le compte bancaire de sa librairie ou celui de sa compagne pour expédier des fonds", transférant des "milliers d'euros" à destination de la Palestine. Interrogé par les enquêteurs, le prédicateur a expliqué que les bénéficiaires étaient choisis "par les mosquées sur place". "Mais rien ne garantit que ces fonds aient été intégralement utilisés pour les familles nécessiteuses. Quand il envoie cet argent, il lui échappe : une partie va réellement vers des associations caritatives, c'est incontestable. L'autre va systématiquement vers des opérations opérationnelles du Hamas, pointe une source judiciaire proche du dossier. Il n'y a pas de séparation entre les deux. Sefrioui ne peut pas l'ignorer". L'exploitation de son téléphone par les enquêteurs dessine en tout cas le profil d'un homme connaissant bien le mouvement, sa carte SIM comptant les coordonnées de plusieurs personnalités de premier plan du Hamas. Parmi elles, Mouchir al-Masri, député palestinien, porte-parole de l'organisation en 2010 devenu vice-président. Mais aussi Salah al-Bardawil, cadre du bureau politique du Hamas. Ou Mahmoud al-Zahar, membre du Hamas et ancien ministre des Affaires étrangères. Un répertoire bien fourni.




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