"Toute la cour de récréation est restée silencieuse" : Nathan Smadja, 20 ans, raconte son combat contre le harcèlement
Le cauchemar de Nathan Smadja commence dès l'âge de 11 ans. “De retour de trois ans passés aux États-Unis, mes parents m’avaient d'abord inscrit dans une école privée hors contrat pour retrouver le niveau en français. En 6e, ils décident de me mettre dans le public à Paris parce que je reparlais bien français et je pouvais l'écrire.”
Dès son arrivée au collège, le garçon est pris pour cible. "Très rapidement, je commence à recevoir des insultes à caractère homophobe sur ma présupposée sexualité… Ensuite, on a voulu vérifier que j’étais bien juif, et donc j’ai eu des insultes à caractère antisémite."
Les persécutions vont crescendo, atteignant un niveau de violence hallucinant. "On m’a poursuivi jusqu’en bas de chez moi pour essayer de me tuer. Puis, il y a eu une agression sexuelle à la piscine pour vérifier que j’étais bien circoncis." Conscient de la gravité de la situation, Nathan en parle à son père, qui porte plainte. Mais l’espoir se transforme en déception.
Une plainte qui empire les choses"Je pensais que la plainte allait mettre fin au calvaire. Mais cela n’a fait qu’amplifier les choses parce que rien n'a été fait, aucune mesure n'a été prise." Nathan est laissé seul face à ses agresseurs pendant six mois supplémentaires, dans le même établissement scolaire. Et le harcèlement s’intensifie. "On m’a cassé mes lunettes, j’ai eu un œil au beurre noir… La phrase qui m'a le plus marqué, c'était l'infirmière scolaire qui me dit en me voyant : "qu'est-ce que tu as encore fait ?”
Épuisé, le garçon finit à la fin de l'été par supplier ses parents de le retirer de l’établissement. "Une semaine avant la rentrée, j'ai dit à mon père : "Écoute, je ne peux pas retourner au collège." Il retourne dans une école privée.
J'aurais pu clairement y passer. Parce que j'ai eu des pensées suicidaires, parce que je n'en pouvais plus. Mais j'étais seul face à une direction qui était contre moi, face à une équipe enseignante qui était contre moi, face à une cour de récréation qui était silencieuse
Le silence et le déclicPendant des années, Nathan enfouit ce traumatisme. "Jusqu’en 2021-2022, on n’en parlait pas trop, c’était tabou. Je ne me sentais pas forcément prêt et je me disais que j'étais passé à autre chose."
En 2022, une rencontre le ramène brutalement en arrière : il croise par hasard l’un de ses anciens harceleurs. À ce moment-là, tout revient à la surface. "Peu après, le suicide de Lucas (NDLR, ce collégien de 13 ans victime de harcèlement qui avait mis fin à ses jours en janvier 2023 ans les Vosges) agit comme un déclic. "Je me dis, je ne peux plus jamais me taire sur ce que j'ai vécu."
Nathan prend alors la parole dans Le Figaro Magazine dans un plaidoyer contre le harcèlement scolaire. Six mois plus tard, il fonde l’association Résiste, dédiée à la sensibilisation et à la prévention du harcèlement.
« Parlez-en et ouvrez les yeux »Aujourd’hui, l'étudiant en droit martèle partout dès qu'il le peut le même message : le harcèlement scolaire, « parlez-en et ouvrez les yeux. » Victimes, témoins et parents sont concernés. "Quand on est victime, ne pas en parler, c'est ne pas se donner les chances de s'en sortir." Nathan Smadja évoque aussi l’importance du rôle des témoins : "Dans mon cas, toute une cour de récréation est restée silencieuse, et j'aurais pu clairement y passer."
Quant aux parents, il appelle à briser un tabou : celui des enfants harceleurs. "Arrêtez d'être dans le déni… On répète souvent le chiffre d'un million de victimes de harcèlement à l'école ; ça veut dire qu'il y a 2, 3, 4 millions d'élèves qui harcèlent."
Résiste : agir pour les autresAvec Résiste, Nathan et son équipe parcourent la France, intervenant dans les écoles pour sensibiliser les élèves et le personnel éducatif. "Depuis un an et demi, on se déplace partout dans le pays, dans les écoles primaires, les collèges, les lycées, pour informer et alerter le plus grand nombre. On fait de la prévention à travers des ateliers avec les élèves. À chaque fin d’intervention, des jeunes viennent poser des questions."
À 20 ans, Nathan Smadja dit avoir été changé par cette expérience. "J'ai été responsabilisé très vite dans le sens où j’ai été convaincu que j’avais une mission parce que je m’en étais sorti et que je n’avais pas le droit de me taire alors que d’autres avaient laissé leur vie à cause du harcèlement."
Nicolas Faucon