Pour Alexandre Portier, ministre délégué à la Réussite scolaire, l'école doit être un lieu de "désintoxication numérique"
Une première question sur la dénomination de votre portefeuille. Vous êtes donc ministre à la réussite scolaire, qu'est-ce que qu'est-ce que ça veut dire ?
C'était une volonté de Michel Barnier, de rappeler que la première mission de l'école, c'était d'abord la réussite scolaire.
Avec une idée qui est extrêmement importante : il n'y a pas qu'une manière de réussir ni à l'école, ni dans la vie, et que l'école est là pour accompagner chaque enfant, quelle que ce soit l'origine sociale, quel que soit le territoire dans lequel il vit, pour lui permettre d'avancer.
Vous venez dans l’Allier dans le cadre de la journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire. Quel message souhaitez-vous porter sur cette question ?
Si je viens dans l'Allier, déjà, c’est pour répondre à une invitation du député Nicolas Ray avec lequel je siégeais sur les bancs de l'Assemblée.
Je sais qu’il est très engagé pour porter la voix de Vichy et de l'Allier à l'Assemblée, et ça me faisait extrêmement plaisir de pouvoir partager cette journée avec lui, sur un sujet qui nous tient tous les deux à cœur. La deuxième raison, c'est que je considère qu'un ministre est d'abord fait pour être sur le terrain, et non pas enfermé dans un bureau à Paris. Enfin, l'Allier est un département rural, et le soutien aux territoires ruraux et, pour moi, une priorité de ma mission.
Le 7 novembre, il va y avoir des actions menées partout en France, pour dire non au harcèlement scolaire. Une journée comme cela, ça sert à la fois à sensibiliser et à prévenir les élèves et le grand public contre le harcèlement scolaire, mais aussi à le diagnostiquer et à le détecter, notamment via tous les questionnaires qui vont être distribués dans les établissements de France, du CE2 jusqu'à la terminale.
Ma mission, c'est la réussite scolaire. Et il ne peut pas y avoir de réussite scolaire quand un gamin a peur d'aller à l'école, quand un gamin va à l'école la boule au ventre. C'est un sujet qui doit tous nous mobiliser.
Parvient-on à avancer sur cette question ?
C'est un sujet sur lequel je travaille depuis de nombreuses années, y compris quand j'étais adjoint maire de ma commune, à Villefranche-sur-Saône. Ce qu'on voit au fil des années, c'est que les drames ont permis une vraie prise de conscience, une mobilisation nationale, et de développer des outils. Je pense notamment aux numéros, le 3020 pour le harcèlement scolaire ou le 3018 pour le cyberharcèlement.
Et très clairement, aujourd'hui, il ne faut pas qu'on attende le prochain drame pour continuer à avancer sur le sujet.
Le harcèlement scolaire est un mal qui est aujourd'hui profondément ancré dans notre système scolaire, malheureusement.
On voit qu'il y a toujours entre 5 à 10 % des élèves qui sont concernés, c'est-à-dire que nous tous, dans nos environnements familiaux, amicaux, on a un jeune qui a été, est, ou sera, à un moment donné, confronté directement ou indirectement au harcèlement scolaire. On parle en moyenne d'un élève par classe, c'est considérable.
Cette question doit être prise à bras-le-corps parce que le harcèlement scolaire, c'est souvent la porte vers la spirale de l'échec scolaire et du mal-être, avec des conséquences en termes de santé mentale qui peuvent être absolument désastreuses, qui peuvent totalement miner la confiance d'un jeune en lui-même, et la capacité à se construire.
Il y a eu des avancées positives ces dernières années, on a franchi des étapes qui ont été importantes. Depuis la circulaire du 16 août 2023, il y a la possibilité de changer d'établissement les élèves harceleurs, pour que ce ne soit plus les élèves harcelés qui soient contraints de quitter leur établissement. Il y a aussi eu un engagement fort dans la formation des personnels. On a 97 % des écoles, collèges, et lycées publics, qui ont constitué une équipe de personnels qui sont formés à la détection et au traitement des situations.
On a aussi 67.000 collégiens et lycéens qui se sont portés volontaires pour être ambassadeurs de la lutte contre le harcèlement dans leur établissement. C'est un combat qu'on doit mener sans relâche, mais le chemin est encore long. Seuls 22 % des personnels de l’Éducation nationale ont été formés à la lutte contre le harcèlement.
En termes de réaction, que souhaitez-vous mettre en place ?
On a aujourd’hui plus de remontées. Ce qu'il faut, c'est que maintenant, chaque signalement d'un fait de harcèlement à l’école entraîne l'ouverture d'une enquête interne.
On ne peut pas considérer que ce sont juste des chamailleries, on parle d’un fléau qui peut totalement miner la vie des jeunes, qui peut conduire à des ruptures scolaires extrêmement douloureuses, voire à des suicides.
Et dans le traitement de ces procédures, on a encore des progrès à faire, parce que sur les situations qui sont remontées, seuls 22 % ont reçu un traitement positif et décisif dans le mois suivant. Ce qui est important, c'est qu'il y ait une réponse qui soit la plus rapide possible, la plus humaine possible et en même temps la plus ferme. Nous sommes également mobilisés contre le cyber-harcèlement. L'erreur serait de croire que le harcèlement s'arrête aux portes de l'établissement.
Dans l'Allier, les collégiens sensibilisés au harcèlement scolaire en ligne
Vous avez dit, justement, vouloir vous attaquer au téléphone portable, c'est-à-dire ?
On a une chose qui est très simple, c'est d'abord la loi. La loi, depuis 2018, dit que le téléphone portable est interdit dans les écoles et les collèges de ce pays. Donc notre mission, c'est de faire respecter la loi parce qu'il n’est pas imaginable qu'on reste six ans dans ce pays sans faire respecter les lois. Ensuite, il y a la question des modalités. C’est en expérimentation dans 200 établissements du pays. Certains optent pour des casiers, d’autres pour des pochettes à l'entrée dans l'établissement, et d’autres qui se contentent simplement d'être d’une fermeté absolue sur l'affirmation de la règle.
Notre responsabilité, c'est de faire que l'école soit un lieu de désintoxication numérique, et que nos jeunes viennent d'abord pour apprendre. C’est une véritable catastrophe éducative et sanitaire, on vit avec cette invasion permanente d’un téléphone portable qui est devenu toxique dans la vie.
Il faut assumer un discours de fermeté et de courage, parce que reculer là-dessus, c'est laisser nos jeunes s'exposer à des problèmes de santé mentale, à l'incapacité à se plonger totalement dans les cours, et c'est bien souvent aussi, reproduire tout un tas tout un tas d'inégalités.
Matthieu Perrinaud