Censurer ou ne pas censurer Michel Barnier ? Quand tous tentent de sonder l'âme de Marine Le Pen
Quelle est la stratégie d’un député du Rassemblement national (RN) ? Celle de Marine Le Pen. Ces élus ne sont pas à l’Assemblée pour fomenter des coups tactiques, mais pour exécuter les ordres de leur patronne. A quoi songe-t-elle ? Elus de tous bords se perdent en hypothèses pour cerner les intentions de l’ex-candidate à l’élection présidentielle envers Michel Barnier. La cheffe des députés RN menace de censurer le jeune gouvernement à l’issue des débats budgétaires. Elle égrène un chapelet de griefs contre le Savoyard, aussitôt relayés par ses ouailles. Sa formation ne serait ni respectée, ni écoutée. Marine Le Pen a théorisé sa doctrine nucléaire. Elle baissera le pouce si "le pouvoir d’achat des Français est amputé". Il le sera par essence, au vu des soixante milliards d’euros d’économies cherchés par le gouvernement.
Personne ne dissèque le projet de loi de finances pour saisir le jeu de Marine Le Pen. On tente plutôt d’identifier son intérêt à joindre ses voix à la gauche contre le négociateur du Brexit. "C’est dur de savoir ce qu’il se passe dans la tête d’une personne", sourit un député de La Droite républicaine (DR). Et quand cette personne est menacée d’inéligibilité, la mission devient impossible.
Dans la tête de Marine Le Pen
Alors, ça phosphore. Ministres et députés déroulent à l’envie les mêmes démonstrations, toutes réversibles. Caméras et micros tendus sont autant d’injonctions à se transformer en pronostiqueurs. Les médias font l'exégèse de chaque menace frontiste, contribuant à solenniser le choix de Marine Le Pen. Résumons. Son électorat est en colère contre le gouvernement. Oui, mais les électeurs plus aisés - terre de conquête du RN - ont soif de stabilité. Le RN ne peut pas être un agent du chaos institutionnel, mais doit raffermir son statut d’opposant. Et ce procès des assistants parlementaires ? Va-t-il l’inciter à tout envoyer valser ou calmer le jeu ? Il n’est pas dit qu’elle le sache elle-même. En décembre 2023, sa stratégie lors de l’examen du texte immigration avait été arrêtée à la dernière minute. La vie politique de novembre n’est pas celle de décembre. Même son allié Eric Ciotti a dépeint une femme "hésitante" à un élu LR. "Marine Le Pen est une femme qui ne dit pas ce qu’elle fait et qui ne fait pas ce qu’elle dit", analyse un dirigeant Renaissance.
L’exécutif attend le verdict. Déjà, Bercy a commencé à plancher sur le scénario noir d'une motion de censure pour fournir un budget à la France. Le couple exécutif n’a guère de prises sur Marine Le Pen. Un simple rendez-vous avec Michel Barnier le lundi 25 novembre, ne déplacera pas des montagnes. Le Premier ministre se dit "prêt" à être renversé. "Je sais que ce n’est pas ce que souhaitent les Français, qui souhaitent aujourd’hui la stabilité, la sérénité", a-t-il affirmé jeudi 21 novembre devant le 106e Congrès des maires. En marge du sommet du G20 à Rio de Janeiro, au Brésil, Emmanuel Macron a dit la veille souhaiter la "stabilité".
Crainte de paralysie parlementaire
Cette "stabilité" est-elle un moyen ou un but en soi ? Michel Barnier penche pour la première option. Il promet de présenter en début d’année prochaine "une cinquantaine" de mesures qui seront "mises en chantier" dans les trois ans. L’examen du texte sur la fin de vie doit reprendre son cours, un projet de loi sur l’immigration est attendu pour transposer le pacte européen sur la migration et l’asile. Le Premier ministre, soucieux de ne pas être l’homme des affaires courantes, qualifie cette ambition de "ligne d’horizon".
Cette ardeur ne dissipe pas le brouillard. La coalition gouvernementale montre chaque jour sa fragilité. Il y a ces ambitions présidentielles, obstacles à un travail en commun. Ces rancœurs des macronistes envers Michel Barnier, accusé d’abattre leur héritage. "Je soutiens uniquement le gouvernement pour des raisons de stabilité, lâche un député Ensemble pour la République (EPR). Mais je me dis parfois qu’un autre Premier ministre pourrait valoir le coup." Les divergences idéologiques entre la droite et le "bloc central" s’observent, faute de projet négocié en amont. La première a raidi ses positions régaliennes et a adouci son ADN libéral. De nombreux députés craignent que la "stabilité" vanté par l’exécutif soit le faux nez de la paralysie parlementaire. "Je pressens une activité législative faible, avec une présidentielle qui commencera tôt", anticipe un député EPR. Un pronostic, encore. Une certitude : quel que soit le choix de Marine Le Pen, un saut dans l’inconnu est prévu.