Tapie et Trump: leurs amis, leurs amours, leurs emmerdes
Le sujet a été abordé ici et là par le passé. La récente sortie du biopic “The Apprentice”1, et évidemment l’élection retentissante du 5 novembre sont l’occasion d’évoquer quelques réminiscences personnelles de “Donald”, ou “D.J.”, (“Di-Gé” et non pas “Di-Ji”) que j’ai côtoyé pendant ses années d’ascension new yorkaise.
Il est vrai que les parallèles et les ressemblances sont nombreux, et je m’étais déjà fait la réflexion en visionnant le biopic de Bernard Tapie sur un vol Air France il y a déjà plusieurs mois.
Sur la forme, ce qui me frappe d’emblée, chez les deux personnages, c’est leur énergie, leur bagout, leur franc-parler, voire même, mutatis mutandis, leurs itinéraires personnel et professionnel. Avant de sauter au plafond, permettez-moi d’expliquer.
D’abord, en guise de préliminaire, je ne prétends pas être un intime de Donald Trump, même si je l’ai rencontré à de multiples reprises dans son bureau de la Trump Tower, à son golf de Bedford dans le New Jersey, dans son casino d’Atlantic City, et à Mar-a-Lago – la dernière fois en février de l’année dernière lors d’un dîner, qui s’est terminé par une très bonne pâtisserie, un Opéra ornée d’une signature “Trump” en caramel onctueux.
Il y régnait une atmosphère digne du palais de Mitau en Courlande : tel Louis XVIII, lorsque Donald fit son entrée sur la terrasse pour rejoindre sa famille attablée, entouré d’agents du Secret Service, toute la petite assistance se leva d’un seul homme, et un vibrant « Good evening, Mr. President » et des applaudissements nourris retentirent sous le ciel étoilé de Floride.
Donald Trump était dans les années 80 notre “Landlord”, c’est-à-dire notre propriétaire-loueur, lorsque, jeune vice-président en charge du marketing de la filiale américaine de Cartier en 1987, j’allais souvent lui montrer les brochures éditées par notre prestataire et ami commun Jim K. “JBK”: nous avions alors une petite boutique “Must de Cartier” juste à côté du désormais célèbre escalator. Il fit d’ailleurs main basse sur notre directrice Nanci G. qui travailla par la suite une vingtaine d’années à ses côtés, qui me confia en jour en 2019: “He thought he was king, now he thinks he is God”. Landlord encore, lorsqu’il me donna l’autorisation fin 1991 d’ouvrir une autre petite boutique d’alimentation, cette fois pour le compte de l’école culinaire Le Cordon Bleu, et située directement en bas du même escalator. Si la boutique n’avait pas fermé entretemps, Marine Le Pen eût pu prendre bien plus confortablement son café en patientant lors de l’élection de 2016…
How much for this watch ?
Ou encore lorsqu’il déchirait une page de publicité dans un magazine, et écrivait avec son gros feutre et son écriture rageuse toute en majuscules et en forme de radiateur: “HOWMUCHFORTHISWATCH” ? envoyé par sa secrétaire et quasi-cheffe de Cabinet de longue date, la regrettée Norma F. En tant que CEO de la filiale américaine de Chopard dans les années 2000, je me précipitais dès lors dans son bureau, où parfois m’attendait également Melania, sagement debout à ses côtés, et qui me gratifiait d’un large sourire, sans pour autant qu’elle ne pipât un seul mot.
Tout cela pour dire que j’ai pu observer de près le milliardaire pendant toutes ces années où Trump est devenu “Donald”, avant de devenir “45”, et bientôt “47”, ou encore “DJ”. Et Tapie dans tout cela ? Là, j’avoue ne l’avoir jamais vu que sur un téléviseur. C’était, il me semble, en 1986, et je me souviens d’une formidable émission en direct devant un immense public de jeunes. Où sont passés ces spectateurs marseillais depuis, qu’ont-ils fait de leur vie? Peut-être certains sont-ils devenus micro-entrepreneurs, et le sont restés dans les quartiers nord de la ville…
À l’époque, j’avais été frappé par le personnage : avec talent et une énergie débordante, “Nanar” s’évertuait à expliquer les joies intenses et les retours en espèces sonnantes et trébuchantes de l’entrepreneuriat.
Evidemment, rien à voir avec l’émission de télé-réalité The Apprentice. La signature trumpiste “You are fired!” offusquerait bien trop les syndicalistes français, attachés à un sacro-saint et illusoire CDI, comme si un bout de papier pouvait prémunir du manque de talent, d’ardeur et de zèle au travail. D’ailleurs, je ne me souviens plus vraiment du slogan de Tapie. Peut-être un timide “Enrichissez-vous”? réchauffé et à la sauce mitterandiste-affairiste des années 80.
Autre parallèle : les deux personnages ont accumulé les procès et fait la fortune des avocats d’affaires, avant de devoir recourir à des pénalistes. Certes, la culture des deux pays en matière de bagatelle ont fait que Donald a été rattrapé par les #Meetoo. Nanar, autant que l’on sache, n’avait pas son Parc aux Cerfs, comme “DJ” dans les étages de sa tour d’ivoire new-yorkaise.
Autre parallèle encore : la gouaille. Avec ses formules argotiques toutes-faites, nous avons aussitôt l’impression de prendre un express sur le comptoir en compagnie de Nanar et de chauffeurs routiers. Les discours de Donald, eux, sont ceux que l’on entend assis sur un tabouret de “diners”. Et ses meetings n’ont en réalité rien à voir avec ceux de Nüremberg, ils sont plutôt truffés d’expressions entendues autour d’un barbecue de chez « Karen ». La fameuse Karen, l’équivalente américaine de la femme du beauf franchouillard, tant moquée par les Démocrates et les “antifas” de tout poil, et qui aujourd’hui roucoule à plus va. Les invectives de Donald, tout compte fait, sont celles d’un corps de garde, et les Américains apprécient ces formules qui font mouche. Nanar, lui, connaissait par cœur son baratin de vendeur de télévision, mais n’avait pas le coup de mention mussolinien, ce qui le rend bien plus sympathique aux Français.
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Le sport : Nanar, son ballon rond et la clameur des supporters du stade de l’OM suffisait à lui donner une aura populaire.
D.J., tout comme Churchill, dont il adore imiter le regard bulldog, ne pratique aucun sport, tant les sueurs malodorantes le répulsent, si ce n’est le golf, sa passion, qui est tout de même bien plus commode à pratiquer en cart électrique. Aux Etats-Unis, on sait que les conversations d’affaires et arrangements politiques au plus haut niveau se conduisent sur les greens, et le petit peuple s’en accommode fort bien. Depuis Eisenhower, la pratique présidentielle du golf est tout naturelle. Pour Mitterrand et le bon maître Kliejman, il y a là pour les Français un dévoiement suspect et une perte de temps manifeste.
Les affaires : brassant les sociétés et les millions, Tapie a eu le mérite de prouver, même si la leçon n’a pas été retenue par les Français, que tout est possible pour celui qui se remue et prend des risques. Et comme de bien entendu, les ennuis financiers servent de démonstration que l’argent est pourri, c’est bien connu, et que la réussite est suspecte, car acquise au détriment des travailleurs. Les “cadeaux” fiscaux aux entreprises, tant flagellées qu’elles ne demandent qu’un verre d’eau, et clouées au pilori, sont ainsi l’objet de vindicte et de quolibets des passants, sur le parvis de la cathédrale cégétiste. Aux Etats-Unis, Trump est le digne héritier des “snake oil salesmen”, vendant au long de sa carrière des steaks, des diplômes d’université bidons, des T-shirts et casquettes, boutons de manchettes, des jeux de Monopoly à son effigie, et, pourquoi se priver, des Bibles. Ceci étant, ses stratagèmes immobiliers lui ont permis d’amasser une petite fortune.
Nanar, de son côté, est condamné en 1981 à un an de prison avec sursis pour avoir fait de la publicité trompeuse en affichant cinq ambulances alors que son entreprise n’en possède que deux… Avouez que l’on joue petit bras. Rien à voir avec les chefs d’accusation aussi longs que la Fifth Avenue portés à l’encontre de Donald ! Certes, les montants en jeu dans l’affaire d’Adidas et du Crédit Lyonnais sont de l’ordre de la Coupe des Champions, et seraient en revanche sans doute de nature à susciter l’estime et l’admiration confraternelle de Donald…
Femmes, je vous aime…
Les femmes : en France, “Nanar” et sa deuxième épouse Dominique ont traversé les années relativement tranquilles. Bien sûr, ce respect tout relatif de la vie privée, et le haussement d’épaules des Français blasés, cela n’existe pas du tout outre-Atlantique. Très curieusement, la “téflonisation” du public américain s’est accélérée depuis les frasques de Clinton. Le sens de la famille de Donald a sans doute joué, et lui a donné une carte de “Free jail” dans son jeu de Monopoly. Proche de sa première épouse Ivanna, je l’avais parée de plusieurs parures de diamants lors de son remariage avec Rossano Rubicondi en avril 2008. Lors de la cérémonie près de la piscine de Mar-a-Lago, alors que les hélicos de paparazzis tournoyaient au-dessus de l’assistance, et que le pauvre Rossano s’évertuait à répéter “I do, I do” au micro, assis sagement sur la gauche des rangées de chaises disposées sur le gazon, je sentis sur ma gauche une présence s’avançant. C’était Donald, venu quelques brefs instants, se tenant droit, curieusement vêtu d’un manteau sombre alors que nous étions tous en smoking blancs. En un éclair, Donald venait de signifier que la scène en cours avait sinon sa bénédiction, du moins son assentiment.
Dernière anecdote. Je ne sais quel était le sens du rythme de Nanar dans les affaires, mais j’imagine qu’il allait vite, et se moquait bien des lenteurs ecclésiastiques de la bureaucratie française.
Pour Donald, j’ai toujours été médusé par son jugement immédiat, et parfois malencontreux. Un ami propriétaire d’un grand cabaret parisien m’appela un jour pour me demander si je pouvais faciliter un rendez-vous. Ayant récemment investi dans un nouveau show, il souhaitait le dédoubler et le proposer pour un casino d’Atlantic City. La chose étant arrangée, nous voilà introduit dans le bureau (étonnamment modeste) de la Trump Tower. Les poignées de main faites, mon ami s’emploie, dans un très bon anglais et avec un dossier illustré “mon truc en plume” aguichant et très professionnellement préparé, à proposer à Donald un deal. Je me souviens très bien avoir observé du coin de l’œil le regard intense du businessman. Au bout de, allons, soyons généreux, 7 minutes, Donald dit “Thank you very much, but this is not for me”. End of the conversation, poignées de main, retour dans l’ascenseur. Très gêné pour mon ami qui venait de traverser l’Atlantique pour ce rendez-vous, je m’attendais à encourir ses reproches et son dépit. Pas du tout. “Ah, quel homme, tu as vu comme il a décidé ? Merci, merci, merci…”
Pour les Américains, qui ignorent qui fut Tapie, Trump est tout simplement “The Donald”, leur défenseur, rédempteur, et pourfendeur, et, les scores de l’élection l’ont prouvé : “Trump, quel homme”. Ce pauvre Tapie n’a pas eu la chance de rencontrer Elon, et n’a pas eu droit à la pilule de longévité.
- A ce sujet, relire l’article de Laurent Silvestrini, Causeur.fr, 16 octobre 2024 Prêt à tout? ︎
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