Le verdict de S&P sur la France attendu en pleine crise budgétaire
La décision de S&P Global Ratings, attendue dans la soirée, survient alors que le gouvernement, minoritaire, multiplie les compromis pour tenter d'échapper à une motion de censure, qui pourrait intervenir dès la semaine prochaine sur le budget de la Sécurité sociale et plonger selon l'exécutif la France dans une "tempête" économique et financière.
Après un recul sur les retraites ou les cotisations patronales, le gouvernement a accepté de ne pas augmenter une taxe sur l'électricité au-delà de son niveau d'avant-bouclier tarifaire, afin de satisfaire le Rassemblement national (RN) qui menace de s'allier à la gauche pour le renverser.
Malgré tout, le risque demeure. Le président du RN a tempéré cette "victoire" en soulignant que des "lignes rouges" demeuraient pour le parti d'extrême droite, notamment sur le déremboursement de médicaments.
"L'instabilité politique va vraisemblablement perdurer pendant encore un moment. Il serait légitime que S&P en prenne acte", estime auprès de l'AFP Charles-Henri Colombier, directeur de la conjoncture chez Rexecode.
"Stress important"
En mai, l'agence de notation américaine avait abaissé d'un cran la note française, de "AA" à "AA-", avec une perspective stable, réduisant les risques d'une nouvelle dégradation dans l'immédiat.
D'autant que, depuis la révision de la note au printemps, les "mauvaises nouvelles" se sont accumulées dans une France déjà lourdement endettée, figurant parmi les cancres européens, note-t-il: dissolution de l'Assemblée nationale, nomination tardive du Premier ministre, dérapage du déficit public.
En octobre, Moody's et Fitch avaient maintenu la note française en l'assortissant d'une perspective négative.
Norbert Gaillard évoque deux autres scénarios éventuels: une nouvelle dégradation de la note ou son placement sous surveillance négative ("rating watch") pour signaler un "stress important" susceptible d'évoluer rapidement.
S&P accorderait alors un court sursis à la France avant d'ajuster sa notation. "Pour prendre sa décision, l'agence attendrait de voir le vote du budget, les mesures budgétaires et fiscales qu'il contient, et si le gouvernement se maintient ou chute."
Une perspective devenue négative aurait peu d'impact sur les coûts d'emprunt de la France. En revanche, une dégradation de la note viendrait s'ajouter à la fébrilité déjà observée sur les marchés en raison du risque de censure du gouvernement, car elle passerait dans une catégorie inférieure, jugée moins sûre par les grands investisseurs qui s'en détourneraient.
Une baisse de la demande "entraînerait mécaniquement une hausse du taux de rendement", explique dans une note Eric Dor, directeur des études économiques à l'IESEG School of Management.
"Attention aux concessions"
Dans ce contexte explosif, Michel Barnier a voulu rassurer. Malgré les "ajustements" opérés au projet de budget, qui prévoyait initialement 60 milliards d'euros d'effort en 2025, le Premier ministre a assuré jeudi faire "tout pour rester autour de 5%" de déficit public par rapport au produit intérieur brut (PIB), contre 6,1% attendus en 2024.
Face à l'incertitude politique qui se prolonge depuis la dissolution, les marchés se montrent agités.
Après avoir atteint en début de semaine un pic depuis 2012, l'écart ("spread") entre les taux souverains français à 10 ans et ceux de l'Allemagne, considérée comme une valeur refuge en Europe, s'est un peu réduit après l'annonce concernant les prix de l'électricité.
"Le marché regarde moins l'aspect politique que le temps estimé pour mettre en place les premières mesures d'effort budgétaire. Une concession rapproche le calendrier, donc c'est perçu positivement", explique à l'AFP Alexandre Baradez, responsable de l'analyse marchés chez IG France.
Mais "attention aux concessions", nuance-t-il: la France peut toujours être sanctionnée sur le marché obligataire "si trop de concessions sont faites par calcul politique aux dépens de l'efficacité des mesures".
Le taux d'emprunt de la France est supérieur à ceux de l'Espagne et du Portugal, et pour la première fois mercredi, il a dépassé brièvement celui de la Grèce, pays qui avait frôlé la faillite.