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Michel Barnier rattrapé par la censure : un si coûteux pas de deux avec Marine Le Pen

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Michel Barnier n’a pas toujours annoncé de mauvaises nouvelles à l’Assemblée nationale. Avant ce funeste 49.3, déclenché, ce lundi 2 décembre, pour faire adopter le budget de la sécurité sociale, le Premier ministre a été porteur d’offrandes. Le 12 novembre, il répond au patron des députés Droite républicaine (DR) Laurent Wauquiez. Il lui confirme la revalorisation partielle des retraites, à rebours du gel des pensions initialement prévu par l’exécutif. "Votre groupe, le tout premier, a porté ce sujet", lance-t-il.

A l’extrême droite de l’hémicycle, un brouhaha s’esquisse. Le RN ne porte-t-il pas cette doléance ? Quel manque de respect… Michel Barnier se tourne vers ces députés à l’ego fragile. "D’autres groupes l’ont porté : le vôtre, les groupes du socle, les groupes de gauche." Le RN est consolé, mais pas mentionné. Son acronyme, deux simples lettres, sent le soufre.

L’odeur de la censure a libéré le Premier ministre de ses pudeurs. Ce lundi 2 décembre, le nom de "Marine Le Pen" est mentionné dans un communiqué de Matignon annonçant l’absence de déremboursement des médicaments en 2025. Le fond et la forme, voilà Marine Le Pen rassasiée. "Ils veulent nos voix et pas nos têtes, cela fait quarante ans que l’on vit cela !", s’agaçait-elle dans Le Monde le 28 novembre. Ce geste n’a pas suffi. La patronne des députés RN a annoncé son intention de joindre ses voix à celle de la gauche pour censurer le gouvernement.

Une ambition balayée

C’est l’histoire d’une ambition balayée. Le Premier ministre le plus âgé de la Ve République est en passe de devenir le plus bref locataire de Matignon. C’est l’histoire, surtout, d’une stratégie fracassée sur le mur des réalités. Michel Barnier posait le rétablissement des comptes en priorité absolue. Il a multiplié les concessions coûteuses pour échapper à la censure. Il ne voulait pas offrir de victoire ostensible à l’extrême droite, elle qui le plaçait "sous surveillance". Il lui a concédé des succès symboliques, sans être payé en retour. "Avoir cédé au RN lui permet de franchir un cap inespéré en scellant son institutionnalisation", déplore un cadre EPR. Quand la fin de l’histoire est presque connue, il est facile de refaire le film.

Retour au 1er octobre. A la tribune de l’Assemblée, Michel Barnier prononce sa déclaration de politique générale (DPG). Il ironise sur son propre sort. Les commentateurs évoquent "une épée de Damoclès sur la tête du gouvernement" ? Non, la "véritable" menace des Français est la "dette financière". Michel Barnier l’explique à ses interlocuteurs dans la foulée de sa nomination : "J’ai trouvé en arrivant sur mon bureau une lettre du gouverneur de la Banque de France." Il y a péril financier en la demeure, et même s’il dit "ne pas être ici pour gérer un déficit que j’ai trouvé", il doit bien commencer par cela. Quand le député du Lot Aurélien Pradié l’exhorte à donner un "cap" au pays, le Premier ministre lui renvoie à la figure la fameuse lettre. Son successeur Gabriel Attal note ses références fréquentes à des notes du Trésor ou de la direction du budget.

"Fournel est très à la manœuvre"

Le chef du gouvernement le répète à l’envi : il n’a eu que quinze jours pour préparer un budget "perfectible". Alors, il s’appuie sur son directeur de cabinet, le haut fonctionnaire Jérôme Fournel, qui dirigeait auparavant le cabinet de Bruno Le Maire à Bercy. "Je n’ai pas la science de Jérôme", admet-il en privé, tout en notant que les "bureaucrates ne prennent que le pouvoir qu’on leur laisse.". Quel pouvoir lui laisse-t-il ? Laurent Wauquiez trouve le Premier ministre trop soumis à la technostructure de Bercy. "Oui, il le dit, mais c’est faux", confie alors Michel Barnier. "Jérôme Fournel est très à la manœuvre", note un cadre EPR. Un jour, le ministre de la Justice Didier Migaud s’étonne auprès de son supérieur d’un arbitrage budgétaire strict rendu par le directeur de cabinet. "Ah, tu me l’apprends", rétorque Michel Barnier. Le garde des Sceaux aura gain de cause. Le 25 novembre, Marine Le Pen et Jean-Philippe Tanguy ont trouvé Fournel particulièrement loquace dans la seconde partie de leur réunion avec le Premier ministre.

Les partenaires du Savoyard ont faim de victoire. Le Premier ministre doit composer avec ses alliés turbulents du socle commun. A Laurent Wauquiez, 800 millions d’euros sur les retraites. A Gabriel Attal, une réduction moindre des allègements de charges des entreprises, d’un montant de 2,4 milliards d’euros. La facture grimpe, l’objectif de réduction du déficit à 5 % en 2025 s’éloigne. L’esprit de compromis vaut bien quelques milliards. Mais quand le RN frappe à la porte et réclame son dû, l’histoire devient brûlante. Est-il moralement admissible de faire une concession à Marine Le Pen, comment la mettre en scène alors que Laurent Wauquiez s’est octroyé le droit d’exposer son trophée au 20 heures de TF1 ?

Un arbitrage impossible

Une partie du cabinet de Matignon rechigne à faire des gestes : trop chers budgétairement, trop coûteux politiquement ; une autre estime au contraire qu’il ne faut pas avoir des pudeurs de jeune fille. "Mais il y a aussi une grosse pression venant du groupe, raconte un ministre proche de Michel Barnier : si vous lâchez trop, on ne vous le pardonnera pas." AME, taxe sur l’électricité… Le chef du gouvernement lâche du lest, sans jamais reconnaître la paternité de la concession. "Que ce soit dans ma majorité ou les chefs de l’opposition que j’ai reçus : presque tous m’ont demandé d’évoluer", élude-t-il dans Le Figaro au sujet de l’électricité.

Quand il reçoit Marine Le Pen, le Premier ministre lui précise à trois reprises : "Ce rendez-vous n’est pas le début d’une négociation." Jusqu’alors, la candidate à l’Elysée demandait à ses porte-parole d’être très prudents sur la censure. Ils le seront bientôt beaucoup moins. Et tant pis pour l’ultime concession de Michel Barnier, inscrire le nom du diable de la République sur un communiqué officiel - en lettres capitales qui plus est.

Le Premier ministre est soumis depuis des semaines à un choix cornélien. Sur un plan économique d’abord. Il doit déconstruire son budget pour éviter à la France de sombrer dans l’incertitude économique, corollaire de la censure. Sur un plan politique, surtout. Cette déconstruction passe par des offrandes à l’extrême droite, autant de gages de normalisation. Considérations éthiques et économiques se mêlent dans cet arbitrage impossible. "Est-ce que la stabilité gouvernementale vaut dix milliards ? Je dirai oui", juge un proche d’Emmanuel Macron, en allusion aux concessions de Michel Barnier. Fidèle du chef de l’Etat, le député de Paris David Amiel tempère : "Céder, même d’un pouce, au chantage de l’extrême droite, est une faute." Michel Barnier nage dans ces courants contraires depuis deux mois. Il affronte désormais les inspecteurs des travaux finis, certains d’avoir raison. Il est censuré ? Quelle victoire culturelle inutile offerte au RN ! Il ne l’est pas ? Chapeau l’artiste, la France a sauvé son budget, mais à quel prix ! Finir en idiot utile, ce n’était pas exactement le plan.




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