Portrait d’un surdoué
David Hertzog Dessites réalise un film réussi sur un musicien de génie
« La musique, c’est la vie », a dit un jour Michel Legrand, compositeur aussi précoce que surdoué, entré au conservatoire de Paris à l’âge de dix ans et auréolé, quelques décennies plus tard, par trois Oscars – entre autres récompenses. De la chanson au cinéma, il n’a cessé de composer des mélodies flamboyantes qui sont devenues des tubes et des standards. De Miles Davis à Jacques Demy, de Charles Aznavour à Barbara Streisand, il a toujours brisé les frontières et les étiquettes. Des Moulins de mon cœur aux Parapluies de Cherbourg, Legrand a su s’adresser au plus grand nombre sans rien céder sur la qualité et l’exigence musicales. Du populaire haut de gamme, en somme. À moins qu’il ne s’agisse de musiques savantes accessibles à tous. Mais c’est pareil : du grand art à tous égards.
Un film documentaire réalisé par David Hertzog Dessites sort en salles pour lui rendre un hommage mérité : Il était une fois Michel Legrand. Soit un entrelacement très brillant d’une biographie musicale, d’une part, et, de l’autre, des images inédites filmées pendant les deux dernières années de la vie du compositeur par un cinéaste devenu son complice et son ultime témoin artistique. Ce dernier raconte combien, dès sa jeunesse, il avait été bercé par les mélodies de Legrand. Tandis que ses parents revenaient du cinéma en chantonnant la sublime mélodie du thème principal du film L’Affaire Thomas Crown, lui, petit garçon, se régalait de la musique de Oum le dauphin blanc, la série pour enfants qu’il regardait sur le poste de télé familial… Incroyable éclectisme d’un compositeur qui a toujours suivi plusieurs chemins à la fois. C’est de ce double souvenir qu’est donc née l’idée de ce portrait documentaire, renforcée par l’écoute de la musique du film de Streisand, Yentl, que Hertzog Dessites considère avec d’autres comme « la plus belle partition de Michel Legrand ». Mais il a dû passer un « entretien d’embauche », un véritable examen de passage exigé par Legrand lui-même, peu pressé d’accorder sa confiance à un total inconnu, fût-il un amoureux fou de sa musique. La rencontre a eu lieu et le compositeur a accepté le principe d’un film qui lui serait consacré. Pourquoi a-t-il donné son accord ? Le cinéaste avance l’hypothèse que Legrand ne fut pas insensible au fait que le film serait autoproduit : il respectait les gens qui mettent leur propre argent dans leur entreprise.
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La dimension testamentaire du film est à la fois une évidence et un atout. Le musicien s’est manifestement laissé aller au contact de ce filmeur forcément intrusif, mais suffisamment « amoureux » pour ne jamais basculer dans l’impudeur ou le voyeurisme. Ce qui ne l’empêche nullement de montrer des facettes moins aimables de Legrand : son mauvais caractère, la brutalité de son langage parfois à l’égard de ses proches collaborateurs. Une personnalité rugueuse qu’il ne faisait pas forcément bon de côtoyer au quotidien. Le compositeur a toutefois donné carte blanche à son portraitiste. On sait gré alors à ce dernier de ne pas avoir fait un film hagiographique mais d’avoir filmé, comme il le dit lui-même, « un enfant de douze ans dans le corps d’un homme de quatre-vingt-cinq ans qui peut vous dire : je ne suis pas content, je n’ai pas mon jouet ». Et Hertzog Dessites d’ajouter : « Michel Legrand était un Peter Pan des temps modernes. »
Ce constat posé une bonne fois pour toutes, on plonge avec délice dans cet univers musical d’une folle élégance. C’est la grande réussite de ce film : nous faire voir et entendre le génie de Michel Legrand le bien nommé. Celui-là même qui avait malicieusement intitulé ses mémoires Rien n’est grave dans les aigus.
Sortie le 4 décembre
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