ENDETTEMENT BANCAIRE DES MENAGES : La dangereuse spirale
La problématique de l’endettement défraie souvent la chronique lorsqu’il s’agit de l’Etat. A l’échelle des ménages ou tout simplement des consommateurs, ou autres particuliers, on en parle peu ou pas du tout et pourtant, même à ce niveau, les dégâts du surendettement consécutif au crédit peuvent conduire à l’irréparable, dans une société sénégalaise où l’épargne semble être la stratégie privilégiée de « lissage de la consommation ».
Source : https://www.lejecos.com/ENDETTEMENT-BANCAIRE-DES-M...
Le 30 du mois, c’est toujours la même angoisse pour Pathé (nom d’emprunt), vigile dans un immeuble à usage de bureaux, c’est le jour où son salaire est viré sur son compte. Sitôt sa journée de travail terminée, il se précipite au guichet automatique bancaire (GAB) le plus proche. « Je vais au guichet et il faut faire vite avant que le prélèvement ne soit effectué, car j’ai un découvert et il me faut un peu de cash pour vivre », dit-il dans la foulée, avant de disparaître dans la cabine, non sans avoir auparavant, invoqué le très haut. Asphyxié par les crédits, Pathé est tenu de rembourser, chaque mois, l’équivalent de ce qu’il gagne...
Lorsque la porte de la cabine s’ouvre, c’est un Pathé plus ou moins soulagé qui apparaît, l’expression plus détendue. Il a pu retirer « juste de quoi faire bouillir la marmite », lance-t-il. Comme avec Pathé, le 5 de chaque mois, les banques sont assiégées par des travailleurs anxieux, craignant qu'on leur refuse un découvert.
Autre lieu, autre interlocuteur, M. S, lui, agent commercial, a remboursé une dette sur cinq ans, mais jusqu’à 20 mois après le remboursement, « la banque a continué à me siffler de l’argent sous prétexte que j’ai fait des rallonges », explique-t-il, amer.
Loin d’être isolés, les cas de Pathé et M. S sont communs à bon nombre de sénégalais pour ne pas dire de salariés. A l’échelle mondiale, jamais le crédit n’a autant fait partie du quotidien. La crise des « subprimes » de 2008 a exposé aux yeux de tous l’évidence du « credit boom » comme mode d’intégration à la société. Moyen contemporain d’accès aux biens, destiné à la consommation ou à la propriété de résidence, le crédit construit et parfois détruit les modes de vie « normaux » d’une partie de la population salariée. La faiblesse et l’instabilité des ressources des individus prennent massivement la forme d’une accumulation de dettes de crédits. Bonjour le surendettement !
Restons au Sénégal pour constater que, si les crédits à l’économie de manière générale ont connu une progression annuelle de 12,2%, en passant de 6 820,08 milliards en 2022 à 7 651,64 milliards de FCFA pour 2023, la part des crédits aux ménages (particuliers, salariés) représente entre 50 et 60% de ces volumes, selon Monsieur Momar Ndao, Président de l’Association des consommateurs du Sénégal (ASCOSEN).
Si on remonte il y a 30 ans, en 1998-2000, ils étaient plus de 777.931 foyers à devoir quelque 47 milliards de FCfa de créances au bas mot, soit en moyenne quelque 60 mille Fcfa par ménage. C'est du moins ce que révélait une enquête sur les ménages, réalisée alors, pour la première fois, par la Direction de la prévision et de la statistique (DPS). Des raisons socio-culturelles, combinées à la situation économique et conjoncturelle du pays, expliqueraient le surendettement du ménage moyen. Aujourd’hui, l’endettement apparaît de plus en plus comme un "mal nécessaire", un "cercle vicieux", une spirale dans laquelle s'engluent nombre de foyers sénégalais.
SFD, la cible des demandeurs
L’offre de crédit en faveur du segment de la clientèle « Particuliers » est constituée du découvert, du prêt personnel ordinaire pour financer les besoins de consommation, et du prêt immobilier. Cependant, c’est au niveau des Systèmes financiers décentralisés (SFD) que le taux d’accès au crédit est le plus élevé avec 15,1%, alors qu’il est de 7,8% pour les banques, correspondant à la population détentrice de comptes en banque.
Les principaux motifs d’ouverture d’un compte auprès d’une institution financière sont le besoin d’épargner, la domiciliation de salaire et l’accès au crédit. Selon une enquête sur la situation de référence de l’inclusion financière au Sénégal (Esrif), réalisée en 2017 par la Direction de la règlementation et de la supervision des systèmes financiers décentralisés (DRS/SFD), le choix porté sur les banques pour la domiciliation de salaire concerne 45,8% des individus et, pour l’accès au crédit, 49,4% de la population a choisi les SFD. Par ailleurs, dans l’enquête en question, un tiers de la population déclare réaliser des économies sur une base régulière. Cette proportion est de 33,3% chez les hommes et de 35,7% chez les femmes, tandis qu’en zone urbaine, elle est de 34,9 % contre 34,6% en milieu rural.
Plus on est pauvre, plus on épargne
Au Sénégal, comme mode de « lissage de la consommation », la tendance à épargner est plus forte chez les personnes ayant les revenus les moins élevés. Et même là, l’épargne est principalement destinée à faire face aux dépenses de consommation (62%), au démarrage ou à l’extension d’une affaire (27%), à l’urgence maladie (20%) et à la préservation des liquidités (12%). Cependant, il ressort de l’enquête citée plus haut, que les économies constituées par les sénégalais échappent, pour une grande part, aux institutions financières, du fait que les individus sont plus enclins à les conserver dans les associations ou tontines (29,1%), sur eux-mêmes (27,4 %), dans un endroit sûr à la maison (23,1%) ou en nature (bétail, volaille, stock, bijoux etc.).
Pourtant, la population adulte, dans sa grande majorité, juge « important » l’accès aux services des institutions financières et qu’elle est « bénéfique pour la famille », avec des proportions respectives de 82,2% et 83,6%. Ainsi, 82,7% de la population exprime le désir d’accéder à ces dits services. A l’opposé, la proportion résiduelle marque un désintérêt (8,7%) ou un désaccord (8,6%) total pour l’accès aux services financiers proposés par les institutions financières.
Incontournable
Pour comprendre le phénomène de l’endettement des ménages, il faut forcément le lier à la consommation, deux notions étroitement corrélées, auxquels les prêteurs sont attentifs. Il est quasiment impossible d’acquérir une voiture neuve, un micro-onde, des articles en magasin ou en ligne, payer des études, aménager son intérieur, sans recourir au « crédit conso ».
A fin décembre 2023, sur un total de crédits particuliers de 4359,252 milliards de Fcfa, les crédits court terme représentent 2258,982 milliards de FCFA et plus de la moitié est consacrée à la consommation c’est-à-dire aux dépenses courantes. Dans ces crédits aux particuliers qui représentent près de 60% du portefeuille bancaire, les facilités de caisse ont une échéance inférieure ou égale à 1 mois, assortie d’un taux débiteur de 4,66% en moyenne pondérée.
Un peu moins d’un ménage sénégalais sur deux détiendrait un ou plusieurs crédits. Nombreux sont en effet les établissements à proposer des offres de crédit renouvelable (revolving) assorties de taux d’intérêt frisant le taux d’usure.
Quand le cercle infernal se referme
Des ménages qui font face à plusieurs fragilités structurelles (individuelles, familiales, sociales et économiques) ; des ménages avec des ressources limitées et qui, sans être en situation de pauvreté, voient l’équilibre de leur budget remis en cause par la survenance d’événements sur lesquels ils ont souvent peu de prise : accident, maladie, décès d’un proche, séparation, licenciement, etc. ; des ménages aux comportements budgétaires imprudents ou qui maîtrisent insuffisamment leur consommation. Tels sont souvent les trois types de situations qui recouvrent le surendettement.
L’équilibre du budget des ménages est souvent interrompu par deux principaux phénomènes. C’est d’abord, les taux d'intérêt élevés, notamment sur les prêts immobiliers, rendant les crédits coûteux et difficilement soutenables pour de nombreux ménages. C’est ensuite de la part des demandeurs, une mauvaise éducation financière, conduisant à des choix sous-optimaux lors de la souscription d’un crédit. Les sénégalais ont en effet une connaissance très limitée des notions fondamentales, comme le taux effectif global, TEG (4,4%), le différé de paiement (3,3%), le découvert bancaire (8,8%).
Entre crédit à la consommation et crédit immobilier, les banques, elles, se frottent les mains et rivalisent sans cesse à coups de « promotions crédits ». C’est à qui mieux-mieux et la « bagarre » se situe au niveau des offres de taux et de la maturité du prêt. Les établissements de crédits en deviennent même « agressifs » au point de pousser la tentation jusqu’à envahir les adresses mail, voire les boîtes aux lettres, entre autres fintechs pour secouer les plus indécis, en rivalisant sur les taux et l’échéance, avec la promesse d’une disponibilité presque immédiate. Il suffit d’un clic. Tout est mis en œuvre pour pousser les ménages et les particuliers à s’endetter, en octroyant des « facilités » qui en réalité, sont plutôt des difficultés. Jusqu’au moment où le cercle infernal se referme.
Le paradoxe du crédit
« J’ai souscrit à trois prêts dont deux dans une même banque, et un dans une institution de microcrédit. Le montant du cumul des trois est de 20 millions de FCFA dont 5 millions dans le microcrédit. » Lorsque nous demandons à notre interlocuteur que nous appellerons Carlos, cadre dans une succursale, comment il a pu obtenir de la même banque un deuxième prêt, alors qu’il n’avait pas fini de rembourser le premier, il explique que celui-ci « a fait l’objet d’un rachat de crédit par la banque ».
C’est le paradoxe du crédit, les mêmes établissements qui vous poussent vers le « précipice », vous tendent la perche. Le principe de regrouper plusieurs crédits dans un seul prêt, avec une seule mensualité de remboursement et un rééchelonnement de la dette sur une plus longue période. Le rachat de crédit est censé être plus facile à gérer et moins lourd à rembourser chaque mois. Sauf que, pour financer un rachat de crédit, la banque exige alors une garantie. Dans le cas de Carlos, « J’ai dû mettre en garantie un terrain de 350 m2, la banque a regroupé les deux prêts dans un seul et accordé un nouveau avec des mensualités moindres, une échéance plus longue, mais un taux d’intérêt plus élevé… entre 7 et 13% », dit-il. Si on y ajoute l’assurance et les autres frais, Carlos a de quoi se faire des soucis. Ainsi, en effaçant l’historique du mauvais payeur, le mécanisme du rachat de crédit rend certes à Carlos sa « virginité » bancaire… pour mieux lui proposer encore des crédits à la consommation.
Un des types de crédit le plus sollicité par les emprunteurs, c’est sans doute le crédit revolving, ou crédit renouvelable. Cet engrenage est un type de prêt dont le capital initialement mis à votre disposition se reconstitue au fur et à mesure que l’on paye ses mensualités. Mais chaque fois qu’on l’utilise, ou qu’on prend du retard sur un remboursement, on cumule de nouveaux intérêts et des frais et à la fin de la journée, on se retrouve la tête sous l’eau. Seule alternative, négocier des délais de paiements. C’est « l’œil du cyclone ».
Malgré les Bureaux d’information sur le crédit (BIC)
La banque a pourtant la possibilité et même le devoir d’empêcher le demandeur de crédit de franchir la ligne rouge, en surveillant sa capacité d’endettement. Il est également essentiel pour les institutions de pouvoir disposer d’informations précises et en temps réel, sur l’historique de crédit des clients pour prévenir le surendettement.
Différentes enquêtes révèlent que l’endettement croisé est une réalité au Sénégal, mais le partage d’informations pour apprécier l’endettement du client a été longtemps inexistant, jusqu’en 2015. Le Bureau d’information sur le crédit (BIC) a été instauré à travers la loi n° 2014-02 du 6 janvier 2014 portant réglementation des bureaux d’Information sur le Crédit dans les Etats membres de l’Union monétaire Ouest africaine (UMOA). L’objectif visé est de réduire l’asymétrie d’information entre banques et clients sur le marché du crédit, et de contribuer à l’amélioration du portefeuille des établissements de crédit et des institutions de microfinance avec pour effet d’améliorer l'accès des populations aux services financiers.
Le BIC collecte auprès des organismes financiers, des sources publiques et des grands facturiers (eau, électricité, téléphone), des données disponibles sur les antécédents de crédit ou de paiement d'un emprunteur. Ces informations sont exploitées par le BIC pour fournir aux établissements de crédit des rapports de solvabilité détaillés.
Le fonctionnement du BIC basé sur les principes-clés de réciprocité, de confidentialité et de consentement préalable des personnes physiques et morales.
La loi accorde une importance particulière à la protection des droits des consommateurs, en mettant un accent particulier sur le principe du consentement préalable du consommateur avant toute collecte et diffusion des informations le concernant par le BIC.
Enfin, il est important de rappeler que le BIC ne collecte pas de données sur les dépôts de la clientèle
Circulez, y’a rien à voir
Les établissements de crédit et les systèmes financiers décentralisés sont tenus de communiquer les données sur leurs clients à la BCEAO. Ces informations sont ensuite collectées par les BIC auprès de la BCEAO. Toutefois, le cloisonnement par le BIC de l’information sur la situation globale du risque de surendettement des ménages sénégalais constitue un frein majeur à l’approche proactive de la prévention. De quoi s’interroger sur la dimension préventive du BIC ? Rappelons qu’au Sénégal, c’est la société CREDITINFO WEST AFRICA qui a été agréée en qualité de BIC dans l’UMOA depuis le 12 mai 2015.
La pertinence du BIC ne souffre cependant aucun doute et joue certainement un rôle important dans l’écosystème du crédit. Pour les consommateurs, le recours au BIC permet d’avoir un accès plus facile au crédit et à moindre coût, de bénéficier d’une faible exigence en garantie et d’une analyse plus objective de leurs profils par les établissements de crédit dans un délai de traitement plus court, de disposer d’outils innovants pour connaître l’exactitude des informations les concernant.
Outre l’anticipation du surendettement des emprunteurs et la prévention des risques de défaillance, le BIC permet aux institutions financières une amélioration de la qualité du portefeuille ainsi que la réduction des coûts et des délais d’analyse des dossiers de crédit.
Aussi devrait-elle ne pas se contenter de produire des rapports de crédit, mais plutôt aller plus loin dans la gestion et le traitement de dossiers de surendettement, comme cela se fait ailleurs.
Il convient par ailleurs de signaler, que seulement 11% de la population africaine aurait des informations de crédit enregistrés par les bureaux de crédit privés, contre 17 % en Asie émergente et 79 % en Amérique latine.
Lorsque la porte de la cabine s’ouvre, c’est un Pathé plus ou moins soulagé qui apparaît, l’expression plus détendue. Il a pu retirer « juste de quoi faire bouillir la marmite », lance-t-il. Comme avec Pathé, le 5 de chaque mois, les banques sont assiégées par des travailleurs anxieux, craignant qu'on leur refuse un découvert.
Autre lieu, autre interlocuteur, M. S, lui, agent commercial, a remboursé une dette sur cinq ans, mais jusqu’à 20 mois après le remboursement, « la banque a continué à me siffler de l’argent sous prétexte que j’ai fait des rallonges », explique-t-il, amer.
Loin d’être isolés, les cas de Pathé et M. S sont communs à bon nombre de sénégalais pour ne pas dire de salariés. A l’échelle mondiale, jamais le crédit n’a autant fait partie du quotidien. La crise des « subprimes » de 2008 a exposé aux yeux de tous l’évidence du « credit boom » comme mode d’intégration à la société. Moyen contemporain d’accès aux biens, destiné à la consommation ou à la propriété de résidence, le crédit construit et parfois détruit les modes de vie « normaux » d’une partie de la population salariée. La faiblesse et l’instabilité des ressources des individus prennent massivement la forme d’une accumulation de dettes de crédits. Bonjour le surendettement !
Restons au Sénégal pour constater que, si les crédits à l’économie de manière générale ont connu une progression annuelle de 12,2%, en passant de 6 820,08 milliards en 2022 à 7 651,64 milliards de FCFA pour 2023, la part des crédits aux ménages (particuliers, salariés) représente entre 50 et 60% de ces volumes, selon Monsieur Momar Ndao, Président de l’Association des consommateurs du Sénégal (ASCOSEN).
Si on remonte il y a 30 ans, en 1998-2000, ils étaient plus de 777.931 foyers à devoir quelque 47 milliards de FCfa de créances au bas mot, soit en moyenne quelque 60 mille Fcfa par ménage. C'est du moins ce que révélait une enquête sur les ménages, réalisée alors, pour la première fois, par la Direction de la prévision et de la statistique (DPS). Des raisons socio-culturelles, combinées à la situation économique et conjoncturelle du pays, expliqueraient le surendettement du ménage moyen. Aujourd’hui, l’endettement apparaît de plus en plus comme un "mal nécessaire", un "cercle vicieux", une spirale dans laquelle s'engluent nombre de foyers sénégalais.
SFD, la cible des demandeurs
L’offre de crédit en faveur du segment de la clientèle « Particuliers » est constituée du découvert, du prêt personnel ordinaire pour financer les besoins de consommation, et du prêt immobilier. Cependant, c’est au niveau des Systèmes financiers décentralisés (SFD) que le taux d’accès au crédit est le plus élevé avec 15,1%, alors qu’il est de 7,8% pour les banques, correspondant à la population détentrice de comptes en banque.
Les principaux motifs d’ouverture d’un compte auprès d’une institution financière sont le besoin d’épargner, la domiciliation de salaire et l’accès au crédit. Selon une enquête sur la situation de référence de l’inclusion financière au Sénégal (Esrif), réalisée en 2017 par la Direction de la règlementation et de la supervision des systèmes financiers décentralisés (DRS/SFD), le choix porté sur les banques pour la domiciliation de salaire concerne 45,8% des individus et, pour l’accès au crédit, 49,4% de la population a choisi les SFD. Par ailleurs, dans l’enquête en question, un tiers de la population déclare réaliser des économies sur une base régulière. Cette proportion est de 33,3% chez les hommes et de 35,7% chez les femmes, tandis qu’en zone urbaine, elle est de 34,9 % contre 34,6% en milieu rural.
Plus on est pauvre, plus on épargne
Au Sénégal, comme mode de « lissage de la consommation », la tendance à épargner est plus forte chez les personnes ayant les revenus les moins élevés. Et même là, l’épargne est principalement destinée à faire face aux dépenses de consommation (62%), au démarrage ou à l’extension d’une affaire (27%), à l’urgence maladie (20%) et à la préservation des liquidités (12%). Cependant, il ressort de l’enquête citée plus haut, que les économies constituées par les sénégalais échappent, pour une grande part, aux institutions financières, du fait que les individus sont plus enclins à les conserver dans les associations ou tontines (29,1%), sur eux-mêmes (27,4 %), dans un endroit sûr à la maison (23,1%) ou en nature (bétail, volaille, stock, bijoux etc.).
Pourtant, la population adulte, dans sa grande majorité, juge « important » l’accès aux services des institutions financières et qu’elle est « bénéfique pour la famille », avec des proportions respectives de 82,2% et 83,6%. Ainsi, 82,7% de la population exprime le désir d’accéder à ces dits services. A l’opposé, la proportion résiduelle marque un désintérêt (8,7%) ou un désaccord (8,6%) total pour l’accès aux services financiers proposés par les institutions financières.
Incontournable
Pour comprendre le phénomène de l’endettement des ménages, il faut forcément le lier à la consommation, deux notions étroitement corrélées, auxquels les prêteurs sont attentifs. Il est quasiment impossible d’acquérir une voiture neuve, un micro-onde, des articles en magasin ou en ligne, payer des études, aménager son intérieur, sans recourir au « crédit conso ».
A fin décembre 2023, sur un total de crédits particuliers de 4359,252 milliards de Fcfa, les crédits court terme représentent 2258,982 milliards de FCFA et plus de la moitié est consacrée à la consommation c’est-à-dire aux dépenses courantes. Dans ces crédits aux particuliers qui représentent près de 60% du portefeuille bancaire, les facilités de caisse ont une échéance inférieure ou égale à 1 mois, assortie d’un taux débiteur de 4,66% en moyenne pondérée.
Un peu moins d’un ménage sénégalais sur deux détiendrait un ou plusieurs crédits. Nombreux sont en effet les établissements à proposer des offres de crédit renouvelable (revolving) assorties de taux d’intérêt frisant le taux d’usure.
Quand le cercle infernal se referme
Des ménages qui font face à plusieurs fragilités structurelles (individuelles, familiales, sociales et économiques) ; des ménages avec des ressources limitées et qui, sans être en situation de pauvreté, voient l’équilibre de leur budget remis en cause par la survenance d’événements sur lesquels ils ont souvent peu de prise : accident, maladie, décès d’un proche, séparation, licenciement, etc. ; des ménages aux comportements budgétaires imprudents ou qui maîtrisent insuffisamment leur consommation. Tels sont souvent les trois types de situations qui recouvrent le surendettement.
L’équilibre du budget des ménages est souvent interrompu par deux principaux phénomènes. C’est d’abord, les taux d'intérêt élevés, notamment sur les prêts immobiliers, rendant les crédits coûteux et difficilement soutenables pour de nombreux ménages. C’est ensuite de la part des demandeurs, une mauvaise éducation financière, conduisant à des choix sous-optimaux lors de la souscription d’un crédit. Les sénégalais ont en effet une connaissance très limitée des notions fondamentales, comme le taux effectif global, TEG (4,4%), le différé de paiement (3,3%), le découvert bancaire (8,8%).
Entre crédit à la consommation et crédit immobilier, les banques, elles, se frottent les mains et rivalisent sans cesse à coups de « promotions crédits ». C’est à qui mieux-mieux et la « bagarre » se situe au niveau des offres de taux et de la maturité du prêt. Les établissements de crédits en deviennent même « agressifs » au point de pousser la tentation jusqu’à envahir les adresses mail, voire les boîtes aux lettres, entre autres fintechs pour secouer les plus indécis, en rivalisant sur les taux et l’échéance, avec la promesse d’une disponibilité presque immédiate. Il suffit d’un clic. Tout est mis en œuvre pour pousser les ménages et les particuliers à s’endetter, en octroyant des « facilités » qui en réalité, sont plutôt des difficultés. Jusqu’au moment où le cercle infernal se referme.
Le paradoxe du crédit
« J’ai souscrit à trois prêts dont deux dans une même banque, et un dans une institution de microcrédit. Le montant du cumul des trois est de 20 millions de FCFA dont 5 millions dans le microcrédit. » Lorsque nous demandons à notre interlocuteur que nous appellerons Carlos, cadre dans une succursale, comment il a pu obtenir de la même banque un deuxième prêt, alors qu’il n’avait pas fini de rembourser le premier, il explique que celui-ci « a fait l’objet d’un rachat de crédit par la banque ».
C’est le paradoxe du crédit, les mêmes établissements qui vous poussent vers le « précipice », vous tendent la perche. Le principe de regrouper plusieurs crédits dans un seul prêt, avec une seule mensualité de remboursement et un rééchelonnement de la dette sur une plus longue période. Le rachat de crédit est censé être plus facile à gérer et moins lourd à rembourser chaque mois. Sauf que, pour financer un rachat de crédit, la banque exige alors une garantie. Dans le cas de Carlos, « J’ai dû mettre en garantie un terrain de 350 m2, la banque a regroupé les deux prêts dans un seul et accordé un nouveau avec des mensualités moindres, une échéance plus longue, mais un taux d’intérêt plus élevé… entre 7 et 13% », dit-il. Si on y ajoute l’assurance et les autres frais, Carlos a de quoi se faire des soucis. Ainsi, en effaçant l’historique du mauvais payeur, le mécanisme du rachat de crédit rend certes à Carlos sa « virginité » bancaire… pour mieux lui proposer encore des crédits à la consommation.
Un des types de crédit le plus sollicité par les emprunteurs, c’est sans doute le crédit revolving, ou crédit renouvelable. Cet engrenage est un type de prêt dont le capital initialement mis à votre disposition se reconstitue au fur et à mesure que l’on paye ses mensualités. Mais chaque fois qu’on l’utilise, ou qu’on prend du retard sur un remboursement, on cumule de nouveaux intérêts et des frais et à la fin de la journée, on se retrouve la tête sous l’eau. Seule alternative, négocier des délais de paiements. C’est « l’œil du cyclone ».
Malgré les Bureaux d’information sur le crédit (BIC)
La banque a pourtant la possibilité et même le devoir d’empêcher le demandeur de crédit de franchir la ligne rouge, en surveillant sa capacité d’endettement. Il est également essentiel pour les institutions de pouvoir disposer d’informations précises et en temps réel, sur l’historique de crédit des clients pour prévenir le surendettement.
Différentes enquêtes révèlent que l’endettement croisé est une réalité au Sénégal, mais le partage d’informations pour apprécier l’endettement du client a été longtemps inexistant, jusqu’en 2015. Le Bureau d’information sur le crédit (BIC) a été instauré à travers la loi n° 2014-02 du 6 janvier 2014 portant réglementation des bureaux d’Information sur le Crédit dans les Etats membres de l’Union monétaire Ouest africaine (UMOA). L’objectif visé est de réduire l’asymétrie d’information entre banques et clients sur le marché du crédit, et de contribuer à l’amélioration du portefeuille des établissements de crédit et des institutions de microfinance avec pour effet d’améliorer l'accès des populations aux services financiers.
Le BIC collecte auprès des organismes financiers, des sources publiques et des grands facturiers (eau, électricité, téléphone), des données disponibles sur les antécédents de crédit ou de paiement d'un emprunteur. Ces informations sont exploitées par le BIC pour fournir aux établissements de crédit des rapports de solvabilité détaillés.
Le fonctionnement du BIC basé sur les principes-clés de réciprocité, de confidentialité et de consentement préalable des personnes physiques et morales.
La loi accorde une importance particulière à la protection des droits des consommateurs, en mettant un accent particulier sur le principe du consentement préalable du consommateur avant toute collecte et diffusion des informations le concernant par le BIC.
Enfin, il est important de rappeler que le BIC ne collecte pas de données sur les dépôts de la clientèle
Circulez, y’a rien à voir
Les établissements de crédit et les systèmes financiers décentralisés sont tenus de communiquer les données sur leurs clients à la BCEAO. Ces informations sont ensuite collectées par les BIC auprès de la BCEAO. Toutefois, le cloisonnement par le BIC de l’information sur la situation globale du risque de surendettement des ménages sénégalais constitue un frein majeur à l’approche proactive de la prévention. De quoi s’interroger sur la dimension préventive du BIC ? Rappelons qu’au Sénégal, c’est la société CREDITINFO WEST AFRICA qui a été agréée en qualité de BIC dans l’UMOA depuis le 12 mai 2015.
La pertinence du BIC ne souffre cependant aucun doute et joue certainement un rôle important dans l’écosystème du crédit. Pour les consommateurs, le recours au BIC permet d’avoir un accès plus facile au crédit et à moindre coût, de bénéficier d’une faible exigence en garantie et d’une analyse plus objective de leurs profils par les établissements de crédit dans un délai de traitement plus court, de disposer d’outils innovants pour connaître l’exactitude des informations les concernant.
Outre l’anticipation du surendettement des emprunteurs et la prévention des risques de défaillance, le BIC permet aux institutions financières une amélioration de la qualité du portefeuille ainsi que la réduction des coûts et des délais d’analyse des dossiers de crédit.
Aussi devrait-elle ne pas se contenter de produire des rapports de crédit, mais plutôt aller plus loin dans la gestion et le traitement de dossiers de surendettement, comme cela se fait ailleurs.
Il convient par ailleurs de signaler, que seulement 11% de la population africaine aurait des informations de crédit enregistrés par les bureaux de crédit privés, contre 17 % en Asie émergente et 79 % en Amérique latine.
Par ailleurs, il est important de souligner, que pour le législateur, chaque institution financière enregistrée auprès du Bureau d’information sur le crédit de l’UMOA, est tenue de demander un consentement écrit à son client, avant de partager ses informations de crédit avec les autres institutions financières. Mais ça, c’est sur le papier. Beaucoup de demandeurs ne recevraient aucune demande consentement.
Lejecos Magazine
Source : https://www.lejecos.com/ENDETTEMENT-BANCAIRE-DES-M...