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La donna e mobile…

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La nouvelle mise en scène du Rigoletto de Verdi à l’Opéra-Bastille, signée Claus Guth, allie modernité et émotion, avec une scénographie minimaliste et un casting exceptionnel


Production anthologique de 2016, cette nouvelle reprise du chef-d’œuvre de Verdi (la pandémie avait eu raison des représentations de 2020) où triomphaient, il y a quatre ans, Ludovic Tézier et Nadine Sierra sur le plateau de l’Opéra-Bastille, se voit reconduit, cet hiver 2024, dans une nouvelle distribution : un Rigoletto d’exception, à tous points de vue.

Inspiré, comme l’on sait, du drame hugolien de 1832, Le Roi s’amuse est devenu Rigoletto sous les auspices du génial librettiste Francesco Maria Piave. Le titre initialement envisagé par Verdi, La Maledizione, illustre le sort funeste fait au bouffon mal conformé dont le prénom, Triboulet, est donc changé en Rigoletto dans la transposition lyrique qu’en fera le compositeur en 1851…  On a peine à le croire aujourd’hui, mais tandis que la création de La Traviata, deux ans plus tard, se soldera par un fiasco total à La Fenice, tout Venise au contraire fredonne immédiatement l’air célébrissime « La donna e mobile… » Et la mélodie fait bientôt le tour de l’Europe entière.

Par les temps qui courent et du train où vont les choses, le jour n’est peut-être pas si loin où plus aucune scène lyrique occidentale ne se risquera à laisser, au seuil du troisième acte, un Duc de Mantoue libertin (comprenez : ‘’coupable d’agression sexuelle et sexiste’’) faire offense à la Femme en chantant de sa voix de ténor : « Cual pluma al vento/ Muta d’accento/ E di pensiero (…) E sempre misero/ Chi a lei s’affida » – Comme la plume au vent, la femme est changeante. Elle change de propos comme de pensée. Est toujours malheureux qui se fie à elle »…

A lire aussi, du même auteur: Edouard Limonov, ou la vie comme rhapsodie

En attendant, et avant que les inquisitrices du woke n’abattent leurs foudres vengeresses sur Verdi, il est fort heureusement permis  d’assister aux représentations, non encore tamisées par la cancel culture, de l’immortel « melodramma en trois actes et quatre tableaux », dans la mise en scène de Claus Guth, épurée autant qu’intelligible : les costumes Renaissance du grand bal d’ouverture dans le palais du Duc cèdent vite la place à des vêtements d’époque contemporaine, où se meuvent les personnages telles les marionnettes du destin, enchâssés dans l’unique espace parallélépipédique d’une boîte en carton recyclé (décor et costumes signés Christian Schmidt) : agrandissement, aux dimensions du plateau, de ce modeste paquet que, vieillard clochardisé, le double de Rigoletto trimbalera avec lui du début à la fin comme s’il revisitait obstinément son lointain, fatal traumatisme. Ici, la difformité physique de Rigoletto n’apparaît pas : le supplice du bossu est intérieur. C’est assez bien vu. Le metteur en scène allemand, qui scénographiait Samson cet été au Festival d’Aix-en-Provence, faisait déjà merveille à la Bastille dans sa régie de Don Giovanni l’an passé, production berlinoise du Staatoper Unter Den Linden (cf. notre article Désir, meurtre et damnation).

© Benoîte Fanton / OnP

Dans sa mouture actuelle de 2024, son Rigoletto s’appuie sur un casting de haute tenue, à commencer par le chef helvéto-vénézuélien Domingo Hindoyan, formé à l’excellente école de Caracas puis à Genève, et qu’on découvre à l’Opéra de Paris au pupitre de l’orchestre maison, ici à son meilleur – et les chœurs aussi. Les voix ne sont pas en reste : dans le rôle-titre, le baryton russe Roman Burdenko donne une profondeur rare aux lamentations du bouffon pleurant ses larmes de sang (« di vivo sangue a lagrima piangando »). Campée par la magnifique soprano italienne Rosa Feola (qui débute également sur la scène parisienne), sa fille Gilda vous étreint d’émotion avec son impeccable legato. Dans le petit rôle de Maddalena excelle la mezzo Aude Extremo (on avait pu l’admirer déjà en septembre dernier en Suzuki dans Madame Butterfly). La basse géorgienne Goderdzi Janelidze reprend sans faillir l’emploi du glaçant tueur à gages Sparafucile qu’il tenait déjà en 2021, tandis que notre Marine Chagnon nationale, membre de la troupe lyrique maison, nous donne une Giovanna sublimement traîtresse à sa patronne. Le Duc de Mantoue, sous les traits du ténor arménien Liparit Avetisyan, développe un vibrato vertigineux. Le baryton américain Blake Denson plante enfin un Monterone d’une présence physique impressionnante.

En bref, pour clôturer l’année, le choix de cette reprise, rehaussée d’un casting superlativement exercé, ne pouvait être meilleur. On n’en a pas fini pour autant avec Verdi au cours de la saison lyrique 2024-2025 : chef-d’œuvre de la maturité verdienne fascinant entre tous, Don Carlos sera encore donné à l’Opéra-Bastille en mars, et Rigoletto repris une fois de plus en mai-juin ici même, dans une distribution nouvelle…


Rigoletto, opéra de Giuseppe Verdi.

Avec Liparit Avetisyan, Roman Burdenko, Goderdzi Janelidze, Aude Extrémo, Marine Chagnon, Blake Denson, Florent Mbia, Kevin Punnackal, Armin Ahangaran, Teona Todua, Julien Joguet, Henri Bernard Guizirian.

Direction : Domingo Hindoyan. Mise en scène : Paul Guth
Opéra Bastille, les 10, 13, 16, 19, 24 décembre à 19h30. Le 22 décembre à 14h30.
Durée : 2h45
(Spectacle repris du 10 mai au 12 juin 2025 à l’Opéra Bastille. Nouvelle direction nouvelle distribution).

L’article La donna e mobile… est apparu en premier sur Causeur.




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