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Encore un éloge de la lenteur…

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Tiens, comme c’est original ! Encore un écrivain perché sur son nuage, s’apprêtant à nous faire un sermon sur la lenteur. La lenteur ! A-t-on déjà vu plus cliché, comme sujet ? Qu’est-ce qu’ils sont lassants, ces gens-là… Croyez-moi, j’en ai vu passer et je les connais : à peine ont-ils griffonné quelques lignes qu’ils s’imaginent déjà grattant une lyre, couronnés de lauriers, et croulant sous les muses. On se demande s’ils vont un jour descendre sur Terre et accepter le fait que tout n’est pas « ordre et beauté ; luxe, calme et volupté ». Après tout, il y en a qui bossent ! Qui s’occupent des vraies affaires, qui sont productifs !

Mais c’est toujours la même histoire, avec les écrivains. Tout juste bons à s’envoyer des cafés, errer et contempler, en se croyant qualifiés pour nous donner des leçons de morale. Si hautains, si prévisibles. Comme si je savais d’avance ce qu’ils vont nous pondre, comme phrases…

« La lenteur n’est pas une pause dans le temps, mais une fêlure dans l’espace. Dans chaque silence et chaque fracas, chaque naissance et chaque mort, si vous faites bien attention, vous constaterez une infime fêlure, d’où s’échappent des notes, des parfums et des saveurs… »

Ô que c’est précieux ! Après tout, le monde serait bien simple si nous allions tous gambader dans les champs, main dans la main, n’est-ce pas ? Et puis, quoi encore ? Vont-ils nous sommer de tout arrêter pour se prélasser dans un grand fauteuil et feuilleter des livres à longueur de journée ? Comme si l’on n’avait rien de mieux à faire, avec les factures, le boulot, les achats, les enfants et j’en passe. Tout le monde n’a pas le luxe de se faire servir la soupe par un majordome ganté ! Aujourd’hui, les Misérables, c’est nous !

Si les écrivains tiennent à nous faire lire, ils ont intérêt à tout changer. Par exemple, j’ai entendu certains dire que la littérature, afin de rivaliser avec les notifications bombardant nos écrans, devrait se faire « plus courte, plus percutante ». Vous voyez, il y en a qui ont compris ! Finis, les temps où les gens avaient le temps de lire des pavés de 600 pages… Mais qu’on ne se leurre pas, au sujet des écrivains : d’un air pompeux, ils rétorqueront. Attachés à leurs pages jaunies, ils sermonneront. Tenez, j’imagine qu’ils nous diront quelque chose du genre…

« La littérature est l’un des derniers bastions de la lenteur, de la patience, du silence. Dans ce monde obsédé par l’éphémère, elle nous transmet un art perdu, celui de la dégustation. Méfiez-vous de ceux essayant de la dénaturer pour accommoder nos capacités d’attention défaillantes : ce ne sont que des destructeurs travestis en innovateurs. Adapter la littérature à nos lacunes spirituelles n’est pas une innovation, mais une capitulation. Plongez-vous dans un livre, même s’il est long, surtout s’il est long. Laissez-vous emporter dans son univers. Faites confiance à l’auteur et offrez-lui votre temps. Il vous récompensera en long et en large, vous verrez. »

Décidément, ils ne changeront jamais de disque. Et puisqu’ils prennent un plaisir adolescent à étaler leur culture générale, ils n’hésiteront pas à truffer leurs délires de citations. Ils me font rire ! Je parie qu’ils n’ont même pas lu tous les livres qu’ils citent…

« Kierkegaard déclarait que tout s’acquiert dans l’immobilité et dans le silence du divin ; et Bernanos, que la civilisation moderne est une conspiration contre toute forme de vie intérieure. Ces deux phrases, que plus de cent ans séparent, furent écrites d’une seule et même plume, célébrant puis déplorant le salut par la lenteur. Comment l’a-t-on abattue, berceuse des âmes ? »

Maintenant que j’y pense, je me rends compte que j’ai déjà été comme ça, plus jeune. Tous mes amis, aussi : une curiosité sans bornes, une gratitude pour chaque jour, des rêves aussi nombreux que nos amours. Oui, on savait mieux vivre… Je me demande ce qui nous est arrivés, entretemps. Je ne sais plus. La vie, sûrement… Mais fallait-il vraiment tout oublier ?

« À trop chercher les origines de notre malaise, nous oublions la plus élémentaire. Tenez, à quand remonte votre dernière impression de lenteur, vous qui subissez les klaxons, les marées de foules et la tyrannie des pendules ? À une brève excursion en campagne cet été, au cours d’un passage au musée la semaine dernière ? C’est bien trop peu ! La lenteur, par pitié ! Peser les silences entre ses battements de cœur, écouter le crépitement de la pluie, sentir le soleil caresser sa peau découverte, distinguer l’écho des clochers entre les pierres et les sapins : c’est là que se dessinent les fêlures de poésie. Dans quelle bible est-il écrit que l’Homme doit être productif ? »

Oui, ils vont nous dire tout ça, les écrivains. Et nous, tout occupés qu’on est, on les lira, mais seulement d’un œil fugace, car sitôt la pause finie qu’il faut encore se dépêcher. Un article comme un fast-food, n’est-ce pas, ça se consomme et ça s’oublie… Mais peut-être qu’un jour, entre un texto envoyé au patron et un autre à la famille, on repensera à ce qu’on a lu : quelque chose sera resté, dans notre infime part de silence. Et peut-être même qu’on ira tout relire, depuis le début — mais cette fois-ci, en prenant le temps…

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