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EXCLUSIF. François Bayrou à Matignon : son échange inouï avec Macron, le choix avorté de Lecornu, le coup de fil à Le Pen

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Vendredi, 8h30, Emmanuel Macron à François Bayrou : "Je vais nommer Sébastien Lecornu à Matignon." Vendredi, 12h43, communiqué de l’Elysée: "Le président de la République a nommé M. François Bayrou Premier ministre, et l’a chargé de former un gouvernement."

Emmanuel Macron ne sait pas ce qu’est un président. Il se vit Jupiter, il agit ventre à terre, et c’est à chaque nomination à Matignon, depuis la dissolution, la même histoire. Il promet le surplomb et ses compagnons de jeu, ébaubis, le retrouvent "touillant sa bouillie", selon l’exquise expression de l’un d’entre eux. Effaré de le voir s’empêtrer – encore – dans les consultations du Parti socialiste, des Républicains, des écologistes, des communistes, etc., un ami, de ceux qui le connaissent le mieux, décide, durant le week-end du 7 décembre, d’intervenir. "Il faut que tu arrêtes de t’engluer dans ce merdier des partis, ose gronder le sceptique. La Ve République a été faite contre ça !" Le chef de l’Etat n’apprécie pas et rétorque : "Tu ne comprends rien ! Ce n’est pas vrai, les Français attendent de moi que je trouve la solution." Président guérisseur. Après avoir "rebâti Notre-Dame", le voici qui entend sans doute incarner "l’espérance" en dégageant lui-même le chemin et l’horizon pour celui qu’il installera à Matignon.

La conversation de Riyad

Emmanuel Macron ne sait pas ce qu’est un Premier ministre. Sinon, comment a-t-il pu penser nommer au même poste, au même moment politique, presque dans la même heure, François Bayrou, l’homme aux trois candidatures élyséennes et aux quarante ans de vie politique, et Sébastien Lecornu, le jeune ministre presque anonyme à force d’être concentré sur sa tâche ? Car il n’y a pas que le président qui le dit et Bayrou qui l’entend, il y a aussi Lecornu qui sait qu’il ne pourra pas se dérober si le président le lui demande. Entre le chef de l’Etat et son ministre de la Défense, le dialogue ne s’est jamais interrompu. Et s’est intensifié durant leur déplacement en Arabie saoudite. Devant Sébastien Lecornu et Jean-Noël Barrot, le ministre des Affaires étrangères, également du voyage, Emmanuel Macron évoque les hypothèses qui sont les siennes pour un Matignon renouvelé, discourt sur sa volonté de demeurer premier de cordée, de ne plus rien céder, surtout pas une once de pouvoir, à un Premier ministre. Michel Barnier l’a vacciné. Le locataire du Quai d’Orsay insiste sur la nécessité pour le président de se protéger derrière "un chef du gouvernement qui absorbe les tensions". Un fusible, en somme. "Moi, je suis conducteur [d’électricité], observe le ministre des Armées. Je suis identifié comme étant très lié à vous."

Son bon sens et sa franchise n’empêchent pas le président de se projeter avec lui à ses côtés. Au contraire. Quelle meilleure assurance de pouvoir recommencer à tout faire soi-même ? Mais parce qu’il connaît bien le président, Sébastien Lecornu fait, jusqu’au bout, preuve de prudence. Le soir du vote de la motion de censure, il approche certains ministres susceptibles de conserver leur place et leur fait passer des messages de la part d’Emmanuel Macron. Il s’agirait de ne pas trop tourmenter la gauche, de ne pas agacer la droite… Au fil de la semaine, les échanges sibyllins se muent en conversations plus directes. A un ministre de premier plan, il confie son envie de voir Gérald Darmanin s’installer à la Défense, et son souhait d’intégrer la députée des Alpes-Maritimes issue de la droite, Michèle Tabarot, au gouvernement remanié – une pierre dans le jardin du Niçois Eric Ciotti. A un autre, il demande des compromis et expose son plan pour amadouer – tout en les éloignant, évidemment – Gabriel Attal et Laurent Wauquiez : proposer au premier l’Education et au second Bercy. Refus garantis. Mais certitudes pour ses interlocuteurs d'avoir en face d'eux "quelqu'un qui parle comme un futur Premier ministre".

Confidence sur Nicolas Sarkozy

François Bayrou, lui, sait ce qu’est un Premier ministre. Il en a vu tellement dans sa vie… Et les a si souvent critiqués pour leur docilité. Aussi, ses conversations avec Emmanuel Macron, le jeudi 5 décembre puis le mardi 10, sont-elles poussées, pointues, précises. L’Education nationale est un domaine cher au maire de Pau, il indique donc rapidement au chef de l’Etat que la présence d’Anne Genetet Rue de Grenelle lui pose un problème. Dès la semaine dernière, il informe le président que Xavier Bertrand est d’accord pour monter à bord, contrairement à Bernard Cazeneuve, qui préfère rester à quai qu’aller au Quai d'Orsay. Les Affaires étrangères, justement. François Bayrou n’oublie jamais de défendre les intérêts de sa boutique, et cela peut se comprendre : c’est lui qui l’a créé, contre vents et marées, contre Chirac et Giscard. Or; il se trouve que c’est un MoDem, Jean-Noël Barrot, qui détient actuellement ce prestigieux ministère, et qu’il n’a aucune envie de céder la place, même si Bayrou est à Matignon. Emmanuel Macron valide. Elle n’est pas belle la vie ? Le Béarnais le confie à un intime : le président lui a dit qu’il avait appelé Nicolas Sarkozy – le meilleur ennemi du centriste – pour évoquer sa nomination. C’est donc fait !

C’est donc fait ? François Bayrou ne connaissait pas Emmanuel Macron il y a dix ans, mais il a appris à cerner le personnage. Il sait qu’il peut changer d’avis. Sauf qu’il n’y croit pas ? Pas cette fois. Mardi, à l’issue de la réunion avec tous les partis à l’Elysée, ses échanges discrets avec les socialistes ont nourri son optimisme. Ils n’ont pas de problème à travailler avec lui, quoi qu’ils affirment publiquement. Le sénateur Patrick Kanner glisse même cette phrase : "Quand on aura franchi le pas, vous ne nous lâcherez pas !" Si les parlementaires du PS acceptent le principe de la non-censure, c’est donc qu’il existe un chemin pour Matignon, une autoroute, presque. Mercredi, il se charge même de poursuivre ses travaux de désencombrement de la chaussée. Il téléphone à Marine Le Pen pour lui proposer un deal : la proportionnelle rapide contre la non-censure. Michel Barnier, sur ce sujet, a failli. Lui ne se défilera pas. Peu importent les réticences d’Alexis Kohler, voire d’Emmanuel Macron. N’aime-t-il pas répéter : "La liberté m’est aussi nécessaire que l’air que je respire, et pour l’exprimer je me fais confiance, je sais l’exercer" ?

"Un animateur" à Matignon

Méfiez-vous des poids lourds. Jeudi, un proche de François Bayrou reçoit un curieux appel. Curieux par le nom de l’interlocuteur, qui ne l’appelle pas tous les quatre matins : il s’agit du secrétaire général de l’Elysée. Curieux par le contenu, aussi : "Le président envisage de nommer un animateur à la tête du gouvernement avec des ministres forts, quelqu’un qui n’offusquerait personne." Un Premier ministre faible avec une équipe solide ? Et pourquoi pas Roland Lescure pendant qu’on y est ? C’est tout le contraire de la conception de François Bayrou. Au fond, ce qu’il a le plus reproché à Emmanuel Macron depuis le début, c’est de choisir des Premiers ministres qui ne faisaient pas le poids. Il y a la conception de la fonction, et il y a le caractère. Le président du MoDem ne s’est jamais imaginé dans le rôle du paillasson, encore moins du jouet qu’on trimballe pour amuser la galerie. "Le président n’a jamais voulu nommer Bayrou, il a toujours eu l’intention de le débrancher à la dernière minute", assure pourtant l’un de ses stratèges. Carambolage garanti…

Quand, ce vendredi matin, Emmanuel Macron lui annonce, à peine arrivé, son intention de nommer Sébastien Lecornu, il ne voit pas orange, la couleur de son parti, mais rouge vif, l’état de son esprit. En janvier, il avait réussi à s’opposer à la promotion du ministre de la Défense – mais ne savait pas, horresco referens, que ce serait donc Gabriel Attal. Alors si l’Histoire repasse les plats, il cassera toute la vaisselle. Depuis jeudi soir, François Bayrou a le sentiment d’être humilié et ce n’est pas dans ses habitudes. Il a eu la nuit pour préparer ses mots : "Je suis venu avec vous pour faire de grandes choses ensemble, pas des petites choses. Si vous souhaitez faire des petites choses, je vous quitte."

Je suis venu te dire que je m’en vais… Bayrou se barre ? "Je vous rappelle vite" : le président refuse la rupture. Il lui téléphonera un quart d’heure plus tard. Oubliées, l’envie présidentielle de reprendre la main, la contrariété de "ne pas assister aux décisions", comme Emmanuel Macron le déplorait devant un proche. François Bayrou a gagné. Le président subit.

Ce vendredi matin, le Premier ministre cite une autre victoire, celle de François Mitterrand le 10 mai 1981 – ni plus, ni moins. "Enfin les difficultés commencent." Celle-ci, par exemple : qui mettre aux Armées ? Un jour, le futur Premier ministre avait demandé : "Vous allez à la guerre avec Lecornu, vous ? Moi pas !"




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