La famille au cœur de l’économie, de Jean-Didier Lecaillon. Préface de Xavier Fontanet. Éditions Salvator Paris 2024.217 pages.
Il fut un temps, déjà lointain, où la démographie , les questions concernant la population, et donc évidemment la famille , étaient illustrées par certains des plus grands noms de l’analyse économique française. Ainsi , évidemment d’Alfred Sauvy, mais aussi Daniel Villey ou encore Luc Bourcier de Carbon. Tel était aussi le cas de Jean Didier Lecaillon qui très jeune , il y a déjà presque 50 ans , nous donnait aux Presses Universitaires de France un ouvrage intitulé L’économie de la sous -population. Le professeur de Paris 2 Panthéon – Assas n’a jamais abandonné ce champ d’étude. En 1992 il nous offre chez Litec un ouvrage de démographie économique , puis en 1995 un autre intitulé La famille, source de prospérité. Il récidive en 2000 avec une Économie de la famille , et en 2001 avec Les enjeux de la démographie européenne. C’est dire qu’avec les équipes de l’I.N.E.D.( L’institut National d’Etudes Démographiques ), nous avons avec cet auteur le meilleur des guides possibles . Cet ouvrage a une genèse particulière. L’initiative en effet en revient à l’Association des Économistes Catholiques , fondée jadis par le professeur aixois Jean-Yves Naudet et présidée aujourd’hui par la figure éminente de Pierre de Lauzun . De journées d’études, en contribution sur tel ou tel aspect , de documents de travail en synthèses partielles, une équipe à parité d’économistes universitaires et d’économistes d’entreprise ont nourri une réflexion profonde sur la famille dont la particularité est de puiser simultanément aux sources scientifiques les plus sûres et les plus contemporaines en particulier en analyse économique de la famille , mais également à ne jamais oublier combien dans la Doctrine Sociale de l’Église ( la D.S.E. ) , la famille occupe évidemment une place particulière.
Il est revenu à Jean – Didier Lecaillon d’opérer simultanément du point de vue analytique et synthétique , un travail d’approfondissement qui est incontestablement une réussite. L’une des forces de l’ouvrage est dans un plan d’une très grande clarté et dont la logique de progression aide le lecteur dans un domaine où il est facile de s’imaginer familier, car l’on est issu d’une famille et souvent on en a fondé une autre , et qui donc négligerait facilement les dimensions extrêmement techniques des questions relatives à l’analyse de la famille. L’introduction, p.19-37, intitulée Personne , famille et société , après une description anthropologique classique de la personne nous rappelle que dans l’ordre social on peut distinguer trois niveaux différents, mais évidemment complémentaires, l’ordre marchand , l’ordre politique, l’ordre communautaire. Il est bon que chaque ordre reste dans sa sphère sans évidemment ignorer les autres . Ce qui frappe d’emblée est que la seule institution commune qui traverse l’ensemble de ces ordres est la famille.
La première partie ( p.39-92 ) est intitulée : Un défi à relever. Les premiers tableaux sont particulièrement bienvenus sur l’effondrement des taux de mortalité infantile, sur les indices de fécondité , ou encore et déjà sur la façon dont a été vaincue victorieusement la malédiction du pasteur Malthus. On le sait , pour ce dernier , nous ne sommes pas tous invités au banquet de la nature . C’est que les périodes de croissance entraînaient ,selon lui, un grand dynamisme de la population qui croissait plus vite que les subsistances , engendrant ce déséquilibre qui n’était résolu que par les malédictions des Cavaliers de l’ Apocalypse ramenant la population au niveau des subsistances par la guerre , ou la peste ou les famines ou les trois simultanément. Avec une grande clarté et une incontestable dextérité nourries par une connaissance de la littérature la plus récente, l’auteur analyse ensuite le rôle de la population dans les modèles de croissance , puis se penche sur les explications de la fécondité . Le seul regret sur cette partie est l’utilisation systématique de la notion et de l’expression de développement durable. Nous endossons volontiers pour notre part les jugements et les contenus déjà exprimés il y a bientôt 20 ans par le regretté doyen Gérard Bramoullé , pour qui les mots de développement durable correspondent à « un concept élastique », une idée d’une « logique insoutenable», un véritable « fourre-tout », entraînant la « confusion des esprits» .
À cette réserve près, cette première partie prépare la suivante intitulé « Une réalité ignorée » . Notre auteur se penche sur la notion de capital humain dont il retrace l’émergence et la façon dont il dépasse une vision productiviste , mais nourrit aussi l’existence de compétences non cognitives . Jean Didier Lecaillon alors réfléchit avec aisance sur les essais d’évaluation de cette notion, depuis le coût de la formation du capital humain jusqu’au dépassement de la dimension monétaire et des pages bienvenues sur les tâches non rémunérées, mais combien cruciales et utiles comme la charge parentale assumée par des génération de femmes. ( Sur ces sujets nous disposons des travaux incontournables du professeur François Gardes dont on lira avec un grand profit l’annexe intitulée : Apport des analyses économiques récentes des choix familiaux liées à l’École de Chicago page 217 244.) Ces pages sont certes d’une technicité qui demande une grande concentration , mais sont une valeur ajoutée d’une qualité inestimable. Ces annexes contiennent aussi des réflexions stimulantes du Père Pierre Coulange intitulées La formation au sein de la famille . Mais évidemment dans une perspective intégrant la Doctrine Sociale de l’Eglise sur la famille. Le texte du professeur Jean-Yves Naudet , l’incontestable « patron » de l’interprétation correcte de la D.S.E. est incontournable. On trouvera la référence exacte à la page 245 de l’ouvrage. ) . Dans cette seconde partie Il serait regrettable de ne pas signaler au futur lecteur l’appareil impressionnant de notes de bas de page . En particulier le fait que tous les articles importants des plus grandes revues , en particulier américaines, d’économie sont rendus accessibles et disponibles pour le lecteur par une parfaite connaissance de la littérature standard par l’auteur. Avec un défilé de prix Nobel.
Jean- Didier Lecaillon peut alors nous proposer une troisième et ultime partie intitulée : Un avenir prometteur ? ( pages 157-207 ) .
Le point d’interrogation qui suit le titre ne saurait cacher combien l’auteur pense que malgré les risques d’échecs de la famille par des ruptures ou des séparations , la famille , pour parodier Aragon, est l’avenir des êtres humains. Une courte conclusion Intitulé Liberté , responsabilité, équité couronne le tout. ( pages209-214 ) .
Au total un ouvrage non seulement de qualité, utile, presque indispensable , mais peut-être et surtout, qui arrive exactement au moment opportun.
56 ans après la crise multiforme de mai- juin 1968 , ?on a vraiment du mal à imaginer combien la cellule familiale était au centre , avec l’autorité sous toutes ses formes dont celle de la famille , de la contestation des « voyous du cœur », pour parler comme André Piettre.
Les soixante-huitards n’avaient cure de parler de leur parents . Il était d’usage de parler des « vieux » , et partir de chez soi pour s’installer en « indépendant » ( financé quand même par les parents !!! ) était le but de tous les étudiants. On a aujourd’hui du mal à concevoir l’évolution des mentalités en si peu de temps. Au milieu d’une débâcle presque générale des institutions traditionnelles, toutes les études , les enquêtes, les sondages les plus sérieux, montrent que deux institutions font la quasi – unanimité en leur faveur, en particulier auprès des adolescents et des jeunes. Il s’agit d’une part de l’institution militaire, et d’autre part de la famille. En intitulé de sa troisième partie un avenir prometteur suivi d’un ? Le professeur Jean Didier Lecaillon a bien raison de très vite mettre les choses au point en évinçant ce ? , et en nous expliquant que la famille est bien l’institution cardinale de la société libre. C’est bien la raison pour laquelle toutes les sociétés totalitaires se sont attaquées à elle avec une violence inouïe jusqu’à capturer l’enfant à peine nouveau-né comme dans la Chine de Mao . Evidemment dans une anthropologie chrétienne la famille est bien l’alpha et l’oméga de l’ordre humain.
Nous espérons pour notre part une belle réussite ,largement méritée, à l’ ouvrage du professeur Jean Didier Lecaillon , vice-président de l‘Association des Économistes Catholiques, qui porte simultanément haut les couleurs, d’une part de l’analyse économique la plus exigeante , mais encore d’une foi dont il ne cherche à celer l’intensité .