Ces djihadistes français en Syrie qui inquiètent le renseignement après la chute de Bachar el-Assad
Ils ne sont plus qu’une poignée, mais sont toujours surveillés par les services de renseignement français. Entre 2013 et 2016, 1 500 djihadistes français étaient allés en Syrie afin de rejoindre la lutte contre Bachar el-Assad. Aujourd’hui, entre 110 et 120 Français libres sont dénombrés par les services de renseignement dans la zone, répartis entre diverses factions. Plusieurs ont participé à l’assaut de Damas ayant entraîné la chute de l'ex-dictateur. Certains ont rejoint les troupes d’Abou Mohammed Al-Joulani, chef du groupe Hayat Tahrir al-Cham (HTC). D’autres - la majorité du contingent - sous les ordres d’Omar Diaby, aussi appelé Omar Omsen, un Niçois de nationalité franco-sénégalaise, parti en Syrie dès 2013 -, auraient également participé à la prise de Damas. D’autres, encore, n’ont aucune affiliation, ou participent à des groupes de combat plus minoritaires dans la région.
S’il n’existe pour l’instant pas de risque immédiat concernant l’impact sécuritaire de ces djihadistes sur le territoire national, les autorités surveillent l’évolution de la situation. En fonction du contexte géopolitique, de l’évolution des groupes et des différentes entités qui composent le territoire, les services de renseignement seraient susceptibles de relever l’état de la menace.
La priorité du leader d’HTC est toutefois, pour l’instant, semble-t-il, de se concentrer sur la création d’un nouveau régime en Syrie. Mais la présence de personnalités comme celles de Diaby, au passé de recruteur influent, ainsi que le risque d’un appel d’air, sont surveillés par l’Etat. "La chute de Bachar el-Assad peut être considérée comme une victoire de ces groupes djihadistes, ce qui renforce l’attractivité de ce territoire. Il est possible que certains tentent de partir, même si HTC promeut un djihad local, à l’inverse de l’Etat islamique", note une source proche de l’exécutif. Des zones d’ombre existent également autour du sort de nombreux djihadistes emprisonnés par le passé, ou déclarés morts - sans réelle certitude.
Inquiétude autour des camps
Le risque principal surveillé par les autorités françaises se situe au Rojava, dans le Kurdistan syrien, au sein des prisons et des camps contrôlés par les Kurdes des Forces démocratiques syriennes. Près de 265 hommes, femmes et enfants français se trouvent dans cette zone. La pression turque, qui souhaiterait se débarrasser de ses adversaires kurdes, ainsi que les frappes des Américains dans la région pourraient entraîner une dispersion de ces individus très radicalisés. Ils restent pour l’instant détenus dans les camps.
Un peu plus d’une centaine de djihadistes français ou francophones sont libres. Jusqu’ici implantés dans la zone nord-ouest de la Syrie, ils ont participé à l’offensive menée contre Bachar el-Assad. Une petite dizaine d’entre eux est affiliée et a combattu à HTC. "Mais ces Français sont très 'syrianisés', assimilés, car HTC se méfie beaucoup des djihadistes 'internationalistes' depuis qu’elle s’est officiellement distanciée de sa matrice Al-Qaeda, souligne David Rigoulet-Roze, chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique. Ils n’ont plus de liens avec la France. Ils ont notamment participé, d’après les services de renseignement, à des "activités humanitaires de distribution d’aide alimentaire dans la région". Un petit nombre de francophones a également pris part à l’offensive à travers d’autres groupes, comme celui du Parti islamique du Turkestan.
Le djihadiste des vidéos "19HH"
Les combattants les plus remuants se situeraient davantage du côté du groupe d’Omar Diaby, et de sa faction Firqat-Al-Ghouraba - la "Brigade des étrangers". Constituant la majorité des djihadistes francophones, l’agenda de la "katyba" (la "brigade", en français) ne serait "ni syrien, ni international", selon une note des services de renseignement diffusée en octobre 2023 dans Le Monde. De fait, Firqat Al-Ghouraba n’a jamais incité à commettre des attentats en France. Mais son chef a toutefois marqué l’histoire du djihad français, avec ses vidéos "19HH", l’un des principaux canaux d’embrigadement du début d’années 2010. Francophone, donc plus abordable pour des Français que de nombreux groupes de la région, la katyba de Diaby est aussi plus accessible que l’Etat islamique via la frontière avec la Turquie.
Si les autorités s’estiment plus à même d’arrêter les éventuels départs en Syrie qu’il y a dix ans - grâce à l’instauration d’un arsenal judiciaire comme les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (Micas), par exemple - la capacité de séduction de Diaby reste conséquente. "Il constitue toujours une menace, car sa propagande a été très efficace", remarque Jean-Charles Brisard. Présent sur Telegram, dans des groupes ouverts mais aussi fermés - et donc difficilement accessible par les agents de l’antiterrorisme -, ainsi que sur Discord, son discours interpelle. Selon Jean-Charles Brisard, un autre Niçois arrivé sur zone en 2017 serait ainsi chargé de la propagande en ligne du groupe. "On serait dans un profil qui ressemble à du Diaby pur. Il aurait aussi dans son orbite des djihadistes beaucoup plus anciens, qui existaient dans le djihad international alors que Diaby était quasiment inconnu", commente une source bien renseignée dans le milieu de l’antiterorrisme.
Parmi ces figures, on retrouve deux vétérans aguerris, connus pour graviter autour de Diaby : Farid Melouk, 59 ans, et Slimane Khalfaoui, 49 ans cette année. Ces anciens membres du Groupe islamique armé algérien (GIA), qui avaient pris part au djihad afghan dans les années 1990, avaient été liés à des projets d’attentats terroristes en France. Il n’est toutefois pas certain qu’ils soient encore en vie. D’autres profils de Français - au moins un infirmier, un instructeur militaire, nous indique Jean-Charles Brisard - se sont également joints à Diaby au fil des ans. Pas directement affiliés à HTC, ses membres sont censés, néanmoins, en respecter le chef. "D’autant plus que Diaby a été mis en prison par Al-Joulani entre août 2020 et janvier 2022. L’idée était de maîtriser les 'électrons libres' susceptibles de poser problème à la gouvernance 'nationalisée' de HTC", poursuit David Rigoulet-Roze. A l’heure actuelle, l’inquiétude sur une "menace projetée" - d’attentats sur le territoire national - reste davantage l’Etat islamique.
Actions individuelles
Mais la possibilité d’actions individuelles, apparemment décorellées de la pensée du chef, existe. Un individu isolé, habitant en France, en contact avec un djihadiste en Syrie, pourrait choisir de passer à l’acte de son propre chef : cela a par exemple été le cas d’Abdoullakh Anzorov. Le tueur de Samuel Paty avait été en lien avec Faruq Shami, propagandiste du groupe HTC basé à Idlib, en Syrie, plusieurs semaines avant de commettre son assassinat. "HTC et les groupes qui lui sont affiliés ont un discours. Mais de la même manière que des personnes d’HTC ont pu téléguider des attentats à distance, les encourager, ceux de Diaby peuvent aussi les imiter. Nous parlons d’un groupe dont la propagande passe énormément par la djihadosphère, au-delà de la Syrie", observe Jean-Charles Brisard. Une dernière poignée d’individus, enfin, beaucoup plus difficile à catégoriser, occupe les services de renseignement. Il s’agit d’une dizaine de francophones - dont des Français -, libérés des prisons du régime dans la foulée de la chute de Bachar el-Assad. Détenus pour des faits de terrorisme islamiste, leur identité pose pour l’instant question - la collaboration entre le régime de Bachar el-Assad et Paris ayant été inexistante ces dernières années. Leurs cas sont en train d’être étudiés par les services de renseignement.
Devant la situation mouvante, le parquet national anti-terroriste se veut prudent. Son procureur, Olivier Christen, a toutefois évoqué dans Le Figaro la nécessité de se "préparer à l’ensemble des scenarii possibles". Parmi eux, le risque que "certains individus […] soient tentés" par un départ en Syrie, "la brigade d’Omar Diaby ayant recruté des djihadistes sur le motif de lutte contre le régime de Bachar el-Assad". Le risque d’un "effet autoporteur" des événements en Syrie, alliés aux tensions au Proche-Orient, a également été évoqué par le procureur.