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Apprenons l’érotisme à nos enfants!

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La polémique sur l’éducation à la sexualité a enflé durant tout ce mois, opposant la fugace ministre de l’Éducation, Anne Genetet, au non moins évanescent ministre à la Réussite scolaire, Alexandre Portier. Elle a donné quelques idées à notre chroniqueur, à qui rien de ce qui concerne l’érotisme n’est étranger. Attention, cette chronique est déconseillée aux moins de 18 ans.


La polémique ne date pas d’hier. Le souci d’une information sur la sexualité remonte au début du XXe siècle : on n’avait pas encore inventé la pénicilline pour juguler les maladies sexuellement transmissibles qui dévastaient alors la France, tout faisait craindre qu’un grand nombre d’hommes ne soient plus disponibles pour les prochaines guerres.

Information et éducation sexuelle

Ce souci s’estompe dans les années 1950, on en est désormais, en plein baby-boom, au souci d’une éducation sur la reproduction : c’est celle que je reçus, de la part d’une prof de Sciences peroxydée, avec des flotteurs avant et arrière qui nous faisaient croire abondamment à sa compétence en la matière. Le Summer of flower puis Mai 68 passant par-là, le très rigide Joseph Fontanet se fend d’une circulaire en juillet 1973 qui distingue l’information sexuelle, intégrée dans les cours de « Sciences Nat’ », comme on disait alors, et l’éducation sexuelle, facultative, à organiser en dehors des heures de cours : à noter que contraception et avortement se faufilent naturellement dans des programmes encore un peu légers.

Dans les années 1980, SIDA oblige, on mit davantage l’accent sur la prévention — et on commença à parler de capotes, même si une campagne prévue pour décembre 1988 fut retardée jusqu’en janvier, l’archevêché de Paris ayant fait comprendre au Premier ministre, Michel Rocard, que l’utilisation ciblée du latex ou du polyuréthane était incompatible avec les fêtes de Noël (on disait encore « Noël » à cette époque).

A lire aussi: Obsession sexuelle

Diverses circulaires précisant les contenus de cet enseignement virent le jour dans les années 1990, jusqu’à ce que la loi du 4 juillet 2001 impose « une information et une éducation à la sexualité dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d’âge homogène ».

En 2016, un rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes (HCE) a révélé que l’obligation des trois séances annuelles était respectée dans une minorité d’écoles et d’établissements. Fatalitas ! Tant d’élèves privés de ces séances instructives sur l’enfilage de capotes sur des bananes…

La porno-révolution

On voit qu’on est resté assez loin du « Kama-Sutra pour adolescents » que fustigent (oh oui, encore !) les organisations traditionnalistes, qui en sont manifestement restées à des histoires d’abeilles, de roses et de choux-fleurs, avec ou sans adjonction de cigogne. À une époque où le premier visionnage de films pornographiques se situe vers 10 ans, on mesure l’écart entre le fanatisme répressif, le militantisme LGBT et la réalité de l’information sauvage des collégiens.

J’ai écrit au début des années 2010 sur la pornographie (on vient de découvrir que la France, pays de frustration sexuelle grandissante, est l’un des premiers usagers mondiaux de Pornhub). Je proposais alors de l’interdire (c’est techniquement possible) parce que ce qui est proposé sur les « tubes » est immonde et donne une vision altérée des relations entre les sexes. Et surtout, c’est à des années-lumière de l’érotisme — littéralement, science de l’amour.

Et pour cela, point n’est besoin de profs de SVT, qui présentent le sexe selon des ormes scientifiques auxquelles nous pensons peu à l’instant décisif. Il suffit d’inciter les enseignants de Lettres, dès que l’on recommencera à les recruter en fonction de leurs connaissances littéraires et non selon leur capacité d’obéissance aux diktats des « formateurs », à utiliser la littérature pour former ces jeunes gens impatients — auxquels on redonnera ainsi le goût de la lecture, ce qui n’est pas rien. Erotisme vs pornographie, c’est le web vs la bibliothèque.

Par exemple…

Cela commence par un échange de regards, figurez-vous…
« Il en sortit quelques femmes qui se retirèrent aussitôt ; mais il en resta une, fort jeune, qui s’arrêta seule dans la cour, pendant qu’un homme d’un âge avancé, qui paraissait lui servir de conducteur, s’empressait de faire tirer son équipage des paniers. Elle me parut si charmante, que moi, qui n’avais jamais pensé à la différence des sexes, ni regardé une fille avec un peu d’attention ; moi, dis-je, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue, je me trouvai enflammé tout d’un coup jusqu’au transport. J’avais le défaut d’être excessivement timide et facile à déconcerter ; mais, loin d’être arrêté alors par cette faiblesse, je m’avançai vers la maîtresse de mon cœur. » (Abbé Prévost, Manon Lescaut, 1731)

Puis on lui prend la main — et non, ce n’est pas un viol !
« Comme le dernier coup de dix heures retentissait encore, il étendit la main, et prit celle de madame de Rênal, qui la retira aussitôt. Julien, sans trop savoir ce qu’il faisait, la saisit de nouveau. Quoique bien ému lui-même, il fut frappé de la froideur glaciale de la main qu’il prenait ; il la serrait avec une force convulsive ; on fit un dernier effort pour la lui ôter, mais enfin cette main lui resta.
Son âme fut inondée de bonheur… » (Stendhal, Le Rouge et le noir, 1830 — San-Antonio trouvait que c’était là le passage le plus érotique de toute la littérature française).

On lui parle — non sans sous-entendus, mais justement, la littérature est l’art des sous-entendus :
« Je n’attends rien… je n’espère rien. Je vous aime. Quoi que vous fassiez, je vous le répéterai si souvent, avec tant de force et d’ardeur, que vous finirez bien par le comprendre. Je veux faire pénétrer en vous ma tendresse, vous la verser dans l’âme, mot par mot, heure par heure, jour par jour, de sorte qu’enfin elle vous imprègne comme une liqueur tombée goutte à goutte, qu’elle vous adoucisse, vous amollisse et vous force, plus tard, à me répondre : « Moi aussi, je vous aime. » (Maupassant, Bel-ami, 1885)

Outre le fait que cela permet une démonstration magnifique du pouvoir des métaphores (en)filées, on a là une description attentive des processus physiologiques à l’œuvre dans une relation amoureuse. Ces histoires aquatiques de « verser », « imprègne », « liqueur », « tombée goutte à goutte » sont assez éloquentes. Et la progression à partir de « pénétrer » jusqu’à « force » en passant par « adoucisse » et « amollisse » (ah, cette pénétration dans des espaces mous…) ne vaut-elle pas mieux que les travaux pratiques d’enfilage de capote sur banane — ou même sur gode format Rocco ?

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On lui parle de fleurs, et de fil en aiguille, on trouve une façon plus élégante de lui dire qu’on la désire que le simple « tu veux ou tu veux pas ? »
« Il était si timide avec elle, qu’ayant fini par la posséder ce soir-là, en commençant par arranger ses catleyas, soit crainte de la froisser, soit peur de paraître rétrospectivement avoir menti, soit manque d’audace pour formuler une exigence plus grande que celle-là (qu’il pouvait renouveler puisqu’elle n’avait pas fâché Odette la première fois), les jours suivants il usa du même prétexte. Si elle avait des catleyas à son corsage, il disait : « C’est malheureux, ce soir, les catleyas n’ont pas besoin d’être arrangés, ils n’ont pas été déplacés comme l’autre soir ; il me semble pourtant que celui-ci n’est pas très droit. Je peux voir s’ils ne sentent pas plus que les autres ? » Ou bien, si elle n’en avait pas : « Oh ! pas de catleyas ce soir, pas moyen de me livrer à mes petits arrangements. » De sorte que, pendant quelque temps, ne fut pas changé l’ordre qu’il avait suivi le premier soir, en débutant par des attouchements de doigts et de lèvres sur la gorge d’Odette, et que ce fut par eux encore que commençaient chaque fois ses caresses ; et, bien plus tard quand l’arrangement (ou le simulacre d’arrangement) des catleyas, fut depuis longtemps tombé en désuétude, la métaphore « faire catleya » devenue un simple vocable qu’ils employaient sans y penser quand ils voulaient signifier l’acte de la possession physique… » (Proust, Un amour de Swann, 1913)

Maintenant, si vous êtes du genre à refuser les circonlocutions pour dire des choses crues, il vous reste toujours la possibilité de leur faire étudier le marquis de Sade : 
« O mon amie ! dis-je à Delbène qui me questionnait, j’avoue, puisqu’il faut que je réponde avec vérité, que le membre qui s’est introduit dans mon derrière, m’a causé des sensations infiniment plus vives et plus délicates que celui qui a parcouru mon devant. » (Sade, Histoire de Juliette, 1795)

Franchement, ce serait infiniment plus instructif que l’étude des contradictions entre, théorie du genre et statut chromosomique…

Mais voilà : les profs de Lettres des quinze dernières années maîtrisent-ils tous ces chefs d’œuvre — sans parler de l’art de les expliquer ? Les ont-ils seulement lus ?

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