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À la table de mare nostrum

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Avec le temps, À Mi-Chemin est devenu une table mythique de Paris. Un restaurant véritablement emprunt de l’âme de Nordine et Virginie qui jonglent comme personne avec les influences méditerranéennes.


Il y avait Bonnie et Clyde, Harold et Maude, Stone et Charden… Aujourd’hui, il y a Nordine et Virginie. Un quart de siècle, déjà, que ces deux-là nous réchauffent le corps et le cœur à la façon de l’Auvergnat de Brassens. Le couple qu’ils forment irradie, telle une petite centrale nucléaire où l’on va recharger ses batteries. Car ce sont avant tout deux êtres sensibles, capables de lire un regard, de deviner une angoisse, de se mettre à la place de l’autre (très rare, ça !). Lui, l’immigré tunisien sans papiers, élevé dans un petit hameau où il n’y avait ni eau courante, ni gaz, ni électricité, était en quête d’un foyer et rêvait de cuisiner comme Joël Robuchon ; elle, l’ancienne punk, conductrice de camions poids-lourds, que sa mère appelait « ma petite SDF », aspirait à créer un bistrot qui deviendrait une sorte de communauté, où les rapports de domination et les différences de classes sociales seraient abolis et où, après un bon repas, l’addition serait calculée en fonction des moyens de chaque client… « Quand j’ai fondé À Mi-Chemin, en 1998, j’étais utopiste et je ne voulais pas jouer à la patronne :  je me suis vite heurtée au principe de réalité ! En fait, les gens avec qui on travaille ont besoin d’être engueulés et les clients d’être encadrés ! »
« Un restaurant, mon ami, tempère Nordine (« lumière de Dieu » en arabe), c’est comme un feu de cheminée : au début, tu es vigilant et soigneux, tu mets du petit bois, tu souffles sur la flamme pour que le feu prenne, et quand il a pris, tu continues à le nourrir sans cesse pour qu’il ne s’éteigne jamais… On ne va pas au restaurant seulement pour bien manger et se faire servir, on y va pour la chaleur humaine. »
À Mi-Chemin, c’est cela et rien d’autre. 

Un savant assemblage de cultures à la carte

Quand Nordine et Virginie se rencontrent en 1999, ce sont deux êtres à la dérive. En décidant de se protéger mutuellement, ils font une force de leurs fragilités respectives. Elle : « J’avais 36 ans quand j’ai rencontré Nordine, j’étais fatiguée et déçue par les gens. » Lui : « Quand j’ai vu Virginie, l’amour a été immédiat. Et nous nous sommes mariés. Mes parents étaient contents au début, parce que le mariage m’avait permis d’avoir des papiers. Mais après, ils ont insisté pour que je divorce. À leurs yeux, je devais épouser une vraie musulmane ! Je leur ai dit non et j’ai cessé de les voir et de leur parler pendant trois ans. »
Étrangement, personne n’a encore évoqué dans la presse le rôle déterminant que joue l’île de Beauté dans l’équilibre de leur couple. « Aussitôt après notre mariage, nous avons découvert la Corse, en 2000. Ce fut un coup de foudre. Comme si nous avions été adoptés, raconte Virginie. Nous parlions avec tout le monde, les pêcheurs, les paysans, les commerçants, les gendarmes, le curé, les vignerons. »

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« En Corse, je me sens chez moi, précise Nordine. Ce que j’aime, ce sont les gens, ils t’accueillent, t’observent, te reconnaissent, tu sens leur regard, il y a une attention, une clarté dans les rapports humains. Ils t’accordent de la considération et ils en attendent en retour. La nature corse est à leur image : elle n’est pas grillagée, séparée par des clôtures, des barrières, on peut s’y promener en liberté. »
Et Virginie de confier : « Dès que j’entends un accent corse au téléphone, je trouve une table, même si le restaurant est complet ! Les Corses adorent venir ici, ils chantent, ils apportent une justesse dans la relation, on a beaucoup à apprendre d’eux. »

Un voyage entre terroir français et parfums d’ailleurs

Ces dernières années, les médias ont beaucoup parlé d’À Mi-Chemin, au point, peut-être, d’en donner une image un peu faussée, comme si toute la jet-set parisienne s’y donnait rendez-vous pour y manger « le meilleur couscous de France »… En réalité, ce restaurant est beaucoup plus joli et subtil que cela. Il faut y aller avec douceur, comme on va dans un bistrot de quartier, ou comme on allait, autrefois, dans une auberge de campagne fumant au bord de la nationale 7, entre Roanne et Saint-Étienne. « Quand les gens me disent : « On vous a vus à la télé, on va tester ! »… Cela me gêne, soupire Virginie, comme si on venait ici pour mettre une note. Ce n’est pas dans cet esprit de compétition que Nordine et moi avons créé ce restaurant. »
Si vous n’y êtes jamais allés, je vous conseille de réserver la première table, celle située à l’entrée, tout près de la fenêtre. Là, vous pourrez observer tranquillement le spectacle de la rue, pendant que les chariots de couscous royal passeront sous vos yeux. Vous serez accueillis par le troisième pilier de la maison, le directeur de salle, Alexis Blanco, arrivé par hasard il y a trois ans et qui, depuis, n’a plus quitté son tablier. On l’a oublié, mais le directeur de salle est un personnage clef (autrefois, c’était lui la vedette, pas le chef qui restait caché dans sa cuisine !). Intuitif, souriant et plein de tact, c’est lui qui reçoit, guide, oriente, explique la carte, met à l’aise, devine les goûts et les attentes des clients, il fait le lien et communique en langage codé avec le chef.
À table, la Corse est d’abord présente dans les vins, des vins intenses, tous produits en pleine nature, entre la mer et la montagne, des vins limpides et cristallins, gorgés de parfums qui se marient fabuleusement avec la cuisine épicée à la cardamome et au cumin frais de papa Nordine… Là, on entre vraiment dans le cœur du sujet, car son œuf mayonnaise citronnée à la poutargue corse de l’étang de Palo (salée et séchée dans des cabanes) est, de très loin, le meilleur « œuf mayo » de Paris. Il faut aussi goûter son tagine de veau corse tigré aux pruneaux et aux petits pois ; sa tartine de brocciu à la figue et au miel de châtaignier ; ses pâtes à l’araignée de mer de Lotu (une crique du désert des Agriates en Balagne) ; et, surtout, chef-d’œuvre absolu, ses coquilles Saint-Jacques à la châtaigne et aux clémentines de Corse, une splendeur d’harmonie, où les trois goûts (trinité chère à Nordine) fusionnent parfaitement. Accompagnées d’un vin blanc vif aux amertumes d’agrumes des domaines Clos Colombu d’Yves Leccia, c’est à tomber.
Nordine a également publié un beau livre, un recueil de ses recettes gorgées de soleil magnifiquement photographiées, où chaque page est une ode à la Méditerranée.


À Mi-Chemin
31, rue Boulard 75014 Paris
01 45 39 56 45 / www.restaurant-amichemin.fr

À lire :

La cuisine de Nordine. Voyage entre terroir français et parfums d’ailleurs, Nordine Labiadh, Solar, 2024.

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