Mojtaba Khamenei ou le prochain Guide suprême ?
L’article 109 de la Constitution iranienne fait du Guide suprême la clef de voûte des institutions. Son rôle est absolument central puisque, selon Thierry Coville, il occupe le sommet du système politique. C’est une fonction dont le mandat est à vie. Seulement deux personnes ont eu l’honneur d’être Guide pour l’instant : l’ayatollah Khomeini de 1979 à 1989, puis Ali Khamenei de 1989 à ce jour. La question de la succession à une telle fonction est particulièrement épineuse et primordiale pour la stabilité du régime iranien.
Ebrahim Raïssi, le successeur idéal jusqu’à sa brusque disparition
Le 19 mai 2024, un accident d’hélicoptère a mené au décès soudain de l’ancien président iranien, Ebrahim Raïssi, plongeant par la même occasion la République islamique dans une difficulté nouvelle. En effet, ce dernier était l’homme pressenti pour succéder à l’actuel Guide suprême. Khamenei avait lui-même accédé à cette fonction à la suite du décès de l’architecte de la Révolution iranienne, l’ayatollah Rouhollah Khomeini. Né en 1939, aujourd’hui âgé de 85 ans, le Guide actuel a une santé de plus en plus fragile et la question de son remplacement se pose. La disparition de Raissï a donc éliminé un candidat très sérieux pour la succession. En effet, il était apprécié des factions radicales et des branches très religieuses du pouvoir. Durant son mandat, il avait notamment réprimé les mouvements contestataires de 2022. Avant d’être président, il était membre du système judiciaire iranien en étant procureur adjoint de Téhéran dès 1985. Trois ans plus tard, en 1988, il gagnait le surnom de « boucher de Téhéran » par sa participation aux répressions et aux exécutions d’opposants politiques.
Mojtaba Khamenei, une figure influente mais discrète
Mojtaba Khamenei est le fils du Guide suprême. Ce lien lui confère déjà une grande légitimité du fait de sa connaissance fine de l’islam chiite duodécimain qu’il étudie depuis toujours aux côtés de son père. Par ailleurs, ils portent tous deux un turban de couleur noire. Cela signifie qu’ils descendent de la famille du Prophète, contrairement aux autres mollahs qui portent des turbans blancs. De plus, Mojtaba avait été un soutien important du président ultraconservateur, Mahmoud Ahmadinejad. En 2005, il avait plébiscité sa candidature aux élections et, en 2009, il avait mené la répression face au mouvement vert – ou mouvement postélectoral. Ses positions politiques penchent donc en faveur du conservatisme, voire de l’ultra-conservatisme. Cela explique sa popularité auprès des factions radicales. Néanmoins, il est toujours resté très en retrait, préférant l’ombre à la lumière des projecteurs médiatiques. En Occident, il est totalement inconnu de la grande majorité malgré son statut et son importance capitale au sein de la République islamique d’Iran.
Une nouvelle voie dégagée pour le fils de Khamenei
La disparition d’Ebrahim Raïssi a donc eu pour effet de replacer Mojtaba comme premier successeur de son père, lui ouvrant la voie pour devenir le prochain visage de la République islamique. Dans l’éventualité du décès de Khamenei, Mojtaba devrait être élu par l’Assemblée des experts. Cette institution est élue au suffrage universel direct. Elle est composée de 88 membres pour un mandat de huit ans. Par ailleurs, la dernière élection s’est tenue le 1er mars 2024. Le cumul des mandats y est autorisé, à l’image de l’ancien président Raïssi qui était à la fois chef du gouvernement – c’est le rôle exercé par le président de la République, le chef de l’État étant le Guide suprême – et membre de l’Assemblée des experts. La composition de l’actuelle Assemblée des experts reste toujours favorable aux conservateurs. L’Association du clergé militant a obtenu une majorité, comme durant les précédentes élections. Cette dernière est un parti politique créé en 1977 qui défend la supériorité absolue du Guide.
Mojtaba Khamenei pourrait donc compter sur cette Assemblée pour obtenir le titre de Guide suprême. Il devra cependant continuer de manœuvrer dans l’ombre tant que son père sera en vie, chose rendue plus complexe depuis la mort d’Ebrahim Raïssi. Son ultra-conservatisme sera aussi un potentiel obstacle à son acceptation par l’opinion populaire. Les Iraniens ont en effet élu en juillet 2024 un président réformateur en la personne de Massoud Pezeshkian. Mojtaba reste néanmoins le successeur le plus probable d’Ali Khamenei à ce jour.
Sources :
T. COVILLE, L’Iran, une puissance en mouvement. Éditions Eyrolles, Paris, 2022, p 50.
La lutte de pouvoir entre Ahmadinejad et Khamenei | Cairn.info
L’Assemblée des experts, exemple de la démocratie islamique (Leader)
Iran vote turnout hits historic low amid discontent | Reuters
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