« La Mongolie devient un nouveau partenaire de la France, mais des risques existent »
Après l’annonce d’un accord le 27 décembre avec la Mongolie, nouveau partenaire d’Orano, dans le domaine de l’uranium, la France poursuit sa stratégie de diversification. Matthieu Anquez, expert en géopolitique et approvisionnements stratégiques, nous éclaire sur ces enjeux sensibles.
Causeur. Le groupe français Orano a annoncé avoir « perdu le contrôle d’une mine d’uranium » au Niger, sa dernière mine d’uranium dans le pays. Quelles en sont pour vous les raisons sous-jacentes ?
Matthieu Anquez. La principale est le repositionnement géopolitique et le sentiment antifrançais de la junte arrivée au pouvoir au Niger en juillet 2023, qui a d’ailleurs exigé le départ des troupes militaires françaises, chose achevée en décembre 2023. Orano (alors Cogema) était présent dans ce pays depuis la fin des années 1960 pour exploiter les mines d’uranium de la région d’Arlit, au Nord du pays. Le contexte politique et sécuritaire s’est fortement dégradé depuis la prise du pouvoir par la junte. Ainsi, Orano a annoncé le 31 octobre 2024 la suspension de la production de son dernier site minier. La junte a en effet pris le contrôle de la mine, alors que l’entreprise française détenait 63% des parts. Cette expropriation, illégale, est légitimée selon les autorités nigériennes par la nécessité d’affirmer leur souveraineté, suivant un discours « antinéocolonialiste » qui a pour objectif de souder la population derrière un adversaire commun, l’ancienne puissance coloniale.
Le Niger était-il un partenaire important de la France dans le domaine de l’approvisionnement en Uranium ?
Pour donner un ordre de grandeur, la France a besoin, pour faire fonctionner son parc de centrales nucléaires, de 8 000 à 9 000 tonnes d’uranium naturel par an (uranium naturel qu’il faut ensuite transformer chimiquement puis enrichir en isotopes fissiles pour aboutir à du combustible). Selon les chiffres disponibles, le Niger constituait 19% des approvisionnements en uranium naturel de la France entre 2005 et 2020, derrière le Kazakhstan (27%) et l’Australie (20%). Il s’agit donc d’un fournisseur non négligeable mais Orano a développé une stratégie de diversification de ses approvisionnements visant à réduire sa dépendance à l’égard d’un pays en particulier. Cette stratégie de bon sens pourrait minimiser l’impact de l’arrêt des importations d’uranium provenant du Niger, surtout que l’entreprise française poursuit cette politique de diversification en multipliant les partenariats comme, récemment, avec la Mongolie. Le pays devient un nouveau partenaire de la France même si des risques existent.
Cependant, cette stratégie de diversification engendre plusieurs difficultés. Tout d’abord, le positionnement géopolitique des nouveaux partenaires d’Orano. Ainsi, le Kazakhstan, de par son histoire et sa position géographique, est-il encore lié à la Russie, mais aussi à la Chine voisine, de plus en plus présente. Il en est de même avec la Mongolie, coincée entre les deux géants de l’Asie. En Afrique même, la Chine est depuis longtemps très impliquée, et le secteur minier de l’uranium ne fait pas exception. Pékin a ainsi investi 2 milliards $ en Namibie dans la mine d’uranium d’Husab, et les autorités chinoises ne peuvent que se réjouir du reflux français sur le continent africain pour prendre la place laissée vacante.
L’autre grande difficulté réside dans l’évacuation des ressources minières, le Kazakhstan étant un État semi enclavé (sa seule façade maritime étant sur la mer Caspienne, une mer fermée), la Mongolie étant, elle, complètement enclavée entre la Russie au Nord et la Chine au Sud. Les routes permettant l’évacuation des minerais sont donc tributaires du bon vouloir des pays de transit, ce qui est un problème lorsqu’on pense à la sécurité des approvisionnements. Si l’on mentionne de nouveau le Niger, la situation est exactement la même : un État enclavé (le minerai d’uranium était évacué via le Bénin par le port de Cotonou).
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Il existe des solutions pour certains cas. Pour le Kazakhstan, les matières nucléaires transitent encore via la Russie jusqu’en Europe (clause d’exception à l’égard des sanctions). Mais si cela devait s’arrêter, une autre route est possible : le « middle corridor », qui passe par la Caspienne, le Caucase du Sud (Azerbaïdjan-Géorgie) puis la mer Noire jusqu’aux Détroits turcs… Solution qui a son propre lot de problèmes géopolitiques, avec l’instabilité du Sud-Caucase et les très fortes tensions en mer Noire. Les approvisionnements en uranium restent donc problématiques pour la France, qui n’extrait plus sur son sol depuis 2001. La stratégie de diversification d’Orano pourrait cependant pallier le pire. L’entreprise française est en cela dans la droite ligne de la politique proposée par la Commission européenne dans le Livre vert de novembre 2000 (NDLR. Vers une stratégie européenne de sécurité des approvisionnements énergétiques), qui insiste sur la nécessaire diversification des sources d’approvisionnement.
Comment se traduit l’effort français en matière de diversification de ses ressources en uranium ?
La France travaille énergiquement, par la diplomatie et les accords commerciaux, à diversifier ses approvisionnements. Le cas mongol est intéressant à ce titre. Emmanuel Macron a effectué une visite en Mongolie en mai 2023, première jamais effectuée par un président français. Cette visite a notamment consacré la confirmation d’un contrat entre Orano et les autorités mongoles. L’annonce définitive de l’accord vient d’ailleurs d’avoir lieu, le 27 décembre, et porte sur un investissement de 1,6 milliard d’euros qui pourrait faire de la Mongolie le 6ème exportateur mondial dans le domaine.
Cependant, des problèmes se profilent déjà. Outre l’influence russe et chinoise et les difficultés liées à l’évacuation des ressources d’un État enclavé comme évoqué plus haut, Oulan-Bator a aussi introduit des lois restrictives en matière d’investissements étrangers. Pire, ; début 2024, un texte de loi autorise l’expropriation partiel des actifs miniers afin de financer un fonds souverain… de quoi potentiellement décourager les investisseurs internationaux car ce genre de décisions peut durablement fragiliser la confiance et, plus généralement, le climat des affaires ! Personne n’a envie de risquer une expropriation de tout ou partie de ses actifs en fonction de l’humeur politique d’un gouvernement.
Une solution alternative pourrait être de resserrer les liens entre la France et des pays occidentaux ou proches des occidentaux, afin de diminuer les risques géopolitiques, économiques et législatifs des approvisionnements en uranium. L’Australie a déjà été citée comme fournisseur important de la France. Le Canada en est un autre. Les risques sont maîtrisés : proximité géopolitique, moindre risque pour l’évacuation du minerai par voie maritime sur des océans ouverts et environnement normatif et législatif solide dans ces grands pays miniers. Il convient également d’attirer l’attention sur le fait que cette problématique concernant l’uranium se retrouve dans de nombreux autres minerais stratégiques. L’Europe n’extrait presque plus sur son sol, or l’industrie a besoin de métaux spécifiques, surtout dans la haute technologie et la transition énergétique (cobalt pour les batteries de véhicules électriques, terres rares pour les éoliennes et les moteurs électriques, ou encore galium pour l’électronique de défense, pour ne citer que quelques exemples). Les minerais sont souvent extraits dans des pays problématiques : plus de la moitié des ressources en cobalt provient de la République démocratique du Congo, les terres rares sont très majoritairement extraites en Chine. Il est donc nécessaire de définir des stratégies pour réduire les risques sur les approvisionnements.
Quelle approche pourrait être privilégiée ?
La collaboration entre pays européens semble indispensable. L’achat de matières premières en groupe est une piste intéressante, tout comme les politiques visant à maintenir voire renforcer la chaîne de valeur sur le sol européen. En effet, le minerai sans capacité de transformation en produit utilisable par l’industrie n’a aucun intérêt. C’est toute la filière de transformation, raffinage, purification et intégration qu’il convient de préserver, et la Commission européenne y travaille depuis longtemps. Les partenariats internationaux sont une autre piste intéressante et parallèle, comme le fait le Minerals Security Partnership Forum. Ce forum réunit de nombreux pays qui ont la particularité d’être proches géopolitiquement : ni la Chine, ni la Russie n’en font partie.
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