Avec "Yongoyély", le cirque guinéen célèbre la résilience des femmes africaines
Ce qui m'a semblé intéressant, "c'était de voir où est-ce que les femmes guinéennes, les femmes africaines, auraient besoin d'indépendance de nos jours, et peut-être même les femmes en général", explique à l'AFP Yann Ecauvre, auteur et metteur en scène du spectacle programmé vendredi en ouverture de la Biennale internationale des arts du cirque (Biac).
Après Marseille, ce spectacle entamera une tournée d'une quarantaine de dates à travers la France à partir de février, avec pour commencer une vingtaine de représentations à Paris.
Là où l'énergie électrique de "Yé!", qui comptait une majorité d'hommes, mettait en avant "la force masculine" et "la brutalité africaine", rappelle l'auteur, "Yongoyély" ("l'exciseuse" en langue soussou) est porté sur le grand plateau de la Friche de la Belle de mai par six circassiennes, âgées de 20 à 30 ans, dont la grâce et l'agilité mettent tout autant en valeur la virtuosité du cirque social guinéen "Circus Baobab".
Car qu'elles finissent par ployer sous les parpaings de béton juchés sur leurs têtes lors d'une impressionnante chorégraphie, ou tentent en vain de maintenir leur équilibre sous le poids des corps qui les agrippent, elles parviennent toujours à se relever, faisant souvent face aux charges qui les accablent grâce à l'entraide.
Une résilience devant laquelle les démonstrations de force goguenardes des trois hommes présents sur scène -deux porteurs et un voltigeur- apparaissent souvent volontairement risibles.
Traditions ancrées
Dans une mise en scène épurée faisant la part belle aux chants et à la danse, de longs troncs de bois font office tour à tour de barres russes, de mâts chinois et de fils de funambule.
Le bois, c'est "ce qui reste de la forêt sacrée, qui est l'endroit normalement où se font les excisions", un protocole "très codifié", rappelle Yann Ecauvre.
Pour en apprendre plus sur ce sujet particulièrement complexe et "tabou", le metteur en scène a notamment mené une série d'interviews auprès d'hommes et de femmes guinéens, dont des extraits sont diffusés tout au long du spectacle.
"Je ne suis pas censée en parler parce que tout le monde est passé par là", assène l'une de ces voix féminines, quand une autre lance : "tu es supposée apprendre à être femme".
Selon la croyance attachée à cette pratique -ablation totale ou partielle du clitoris et des petites lèvres- répandue en premier lieu sur le continent africain, "tu deviens femme quand tu es excisée, donc quelqu'un qui n'est pas excisée restera au rang d'une fillette (..), ce qui est un poids très lourd à porter", relève Yann Ecauvre.
La Guinée étant le deuxième pays, après la Somalie, où les femmes sont les plus excisées (95%), "toutes les femmes avec lesquelles j'ai travaillé dans le précédent spectacle et dans celui-là" ont subi cette mutilation génitale, laquelle peut apporter "énormément de complications", parfois mortelles, ajoute le metteur en scène.
"Certaines, quand elles tomberont enceintes, l'accouchement sera difficile, certaines auront des maux de ventre au moment des règles, certaines auront des difficultés pour faire l'amour avec leur mari", détaille Mariama Ciré Soumah, 20 ans.
A l'instar des autres circassiennes de la troupe, la jeune femme a subi son excision quand elle avait six ans, et elle "encourage tout le monde à ne pas accepter (cela) pour leurs enfants".
Vêtues de rouge -la couleur de la cérémonie qui suit l'excision-, les yeux bandés, les artistes se passent tour à tour un immense fouet dont le claquement sec et puissant fait frémir les premiers rangs de spectateurs.
"Le fouet, c'est un peu la parabole de l'excision", il "se transmet les uns aux autres" même si "normalement, c'est un petit ciseau, une espèce de petit scalpel" qui sert à pratiquer ces mutilations génitales réalisées par des femmes, souligne Yann Ecauvre.
Un fouet qu'il sera aussi dur "à éteindre qu'il est dur de se défaire de certaines traditions", poursuit-il.