Les sous-marins nucléaires français exposés : de nouvelles fuites sensibles via l’application Strava
L’Île Longue, située dans la rade de Brest, est au cœur de la dissuasion nucléaire française. C’est là que se trouvent les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), capables de transporter les missiles. Ces «bateaux noirs», opérant selon le principe de «permanence à la mer», doivent rester invisibles pour garantir leur mission. Pourtant, une enquête menée par Le Monde révèle que des informations sensibles, notamment les dates de patrouille, ont été involontairement divulguées par l’utilisation de l’application Strava, qui enregistre et partage les performances sportives en ligne.
Sur les dix dernières années, environ 450 utilisateurs de Strava, actifs dans la base, ont rendu leurs données publiques sur la plateforme. Parmi eux, des militaires, dont vraisemblablement certains sous-mariniers, qui ont dévoilé des indices sur leurs activités. Le Monde illustre ces fuites par le cas de «Paul», qui a cessé d’enregistrer ses courses après le 3 février 2023, date supposée de son embarquement pour une mission, pour ne réapparaître que fin mars. Des situations similaires concernent d’autres utilisateurs de Strava fréquentant la base, laissant penser que ces pauses coïncident avec des patrouilles en mer.
Ces données, bien que publiées sans intention malveillante, peuvent permettre à «tout observateur attentif» de reconstituer le calendrier des SNLE. Un ancien sous-marinier interrogé par le quotidien français a qualifié la situation de «problématique» sans pour autant évoquer un «risque majeur». La marine française, de son côté, reconnaît des «négligences», mais affirme que ces incidents ne compromettent pas les opérations de l’Île Longue.
La faille des montres connectées
Malgré l’interdiction des appareils électroniques sur la base, les montres connectées, utilisées par les militaires pour suivre leurs entraînements, semblent être à l’origine du problème. Ces appareils, bien que privés de connexion Internet en mer, enregistrent les données d’activité, lesquelles sont automatiquement synchronisées et publiées une fois de retour à terre.
Cette publication différée a permis au Monde d’identifier quatre patrouilles récentes. Bien que la marine nationale assure mettre en place des dispositifs complexes pour sécuriser les mouvements des sous-marins, la divulgation de ces informations pourrait théoriquement permettre à une puissance étrangère d’anticiper un départ et de positionner des capteurs sous-marins ou des dispositifs d’écoute.
Dans un article publié en mai 2023 dans la Revue Défense nationale, cité par Le Monde, le capitaine de vaisseau Jean-Christophe Turret soulignait l’importance de garantir que l’espace sous-marin soit exempt de tels capteurs. Selon lui, une détection de l’empreinte acoustique d’un SNLE pourrait mettre en péril sa discrétion, en permettant de pouvoir plus tard l'identifier «et affecter in fine la posture de dissuasion».
L’affaire de ces «StravaLeaks» n’est pas nouvelle. Fin octobre, Le Monde révélait déjà que des gardes du corps de chefs d’État utilisaient également cette application, compromettant la sécurité des déplacements de ces derniers. À l’Île Longue, des enquêtes internes ont été lancées, et les militaires incriminés risquent des sanctions disciplinaires.