Etats-Unis : pourquoi le maire démocrate de New York courtise tant Donald Trump
La vidéo a mal vieilli. En janvier 2018, Eric Adams n’est pas encore maire de New York, mais élu d’un simple arrondissement. Celui qui constitue alors une des étoiles montantes politiques de la ville tacle le président Donald Trump, qui effectue son premier mandat à la Maison-Blanche. Lors d’un discours, il critique "le comportement idiot" et la " bouffonnerie" permanente du milliardaire américain. Les extraits de cette prise de parole sous forme de happening ont été exhumés par la presse américaine ces derniers jours, au moment où Eric Adams se rapproche de plus en plus du républicain.
Figure du parti démocrate, Eric Adams est maire de New York depuis 2021. Cet ex-policier a connu une ascension fulgurante, incarnant au moment de son élection une forme de renouveau face à l’impopularité de l’édile en place, Bill de Blasio. Son passé professionnel a aussi pu rassurer nombre d’électeurs, alors que la ville connaissait une insécurité grandissante. Mais quatre ans après ses débuts, l’euphorie paraît désormais loin. D’autant que l’homme politique est une dans une situation délicate, à quelques mois d’une nouvelle élection…
Multiples scandales de corruption
Avant ce nouveau scrutin, le maire démocrate joue gros. En septembre dernier, il a été inculpé pour corruption par la justice américaine, qui le soupçonne d’avoir caché des dons illégaux de sociétés du BTP basées en Turquie pour financer sa campagne électorale de 2021. Un principe interdit aux États-Unis, dans l’optique de se protéger d’ingérences étrangères. Ces donations coïncident par ailleurs avec l’obtention de l’autorisation par la Turquie de construire un imposant gratte-ciel face au siège de l'ONU, en plein New York. Dans le même temps, le parquet de la ville a aussi annoncé plusieurs autres enquêtes pour corruption liées à différents proches d’Eric Adams, dont un de ses adjoints, une de ses principales conseillères, le responsable de la police… Beaucoup d’entre eux ont dû démissionner.
Eric Adams nie en bloc les faits. Sa défense ? Il serait victime d’une machination, orchestrée après avoir ouvertement critiqué la politique migratoire de Joe Biden. New York a connu l’arrivée d’un nombre important de migrants ces dernières années : au moins 200 000 personnes depuis 2022. "Le président et la Maison-Blanche ont laissé tomber la ville de New York sur cette question", avait-il déploré en avril 2023, avant de prendre position à plusieurs reprises contre Washington sur le sujet. Celui qui s’est longtemps surnommé "le Joe Biden de Brooklyn" est alors en guerre ouverte contre le président démocrate.
Sans aucune preuve, le maire a donc affirmé que ses saillies contre le pouvoir en place étaient liées à l’ouverture de procédures judiciaires contre lui et ses proches. "J’ai toujours su que si je défendais mes positions pour vous tous, je serais une cible – et je suis devenu une cible", a-t-il ainsi déclaré après l’annonce de son inculpation. Problème : l’enquête ouverte à son encontre date en fait… d’un an avant ses premières déclarations contre Joe Biden, a confirmé mercredi la procureure par intérim du district sud de New York, Danielle Sassoon.
Une opportunité pour Trump
Face à ces accusations, Eric Adams n’est plus en odeur de sainteté dans son propre camp. Lors de la dernière convention démocrate, l’élu de New York n’avait pas été autorisé à prendre la parole sur scène. La figure de l’aile gauche du parti démocrate, la représentante du Bronx et du Queens Alexandria Ocasio-Cortez, a par ailleurs demandé sa démission. "Je ne vois pas comment le maire Adams peut continuer à gouverner New York. Le flot de démissions et de postes vacants menace le travail de la municipalité", avait-elle avancé en septembre.
Donald Trump, lui, a repéré depuis un moment la situation conflictuelle d’Eric Adams avec son parti. Le nouveau président américain, de retour au pouvoir après une campagne où il n’a cessé de critiquer ses rivaux démocrates, a tendu la main à Eric Adams. En décembre, faisant un parallèle avec ses propres ennuis judiciaires, il a estimé que le maire avait "été traité de manière assez injuste". Tout en reconnaissant "ne pas connaître" les allégations dressées contre l’ex-policier, il a confirmé envisager d’accorder une grâce à l’élu, à l’instar de celle octroyée à plus d’un millier de personnes impliquées dans l’envahissement du Capitole le 6 janvier 2021. "Je le ferai", avait ainsi exposé Trump à l’époque.
Ainsi, ces derniers mois, Eric Adams n’hésite pas à courtiser le républicain. En décembre, il a reçu Tom Homan, un des intimes conseillers de Donald Trump. Cet ex-directeur de l’agence chargée du contrôle des frontières et de l’immigration (ICE), érigé par le locataire de la Maison-Blanche comme un "tsar des frontières", a pour mission de durcir la politique migratoire américaine. Le rendez-vous avait suscité l’indignation d’une partie du camp démocrate et des associations pro-droits de l’Homme, taxant ce proche de Donald Trump de "xénophobe". "Nous avons le même souhait [avec Tom Homan] de nous en prendre à ceux qui commettent des actes violents", avait simplement justifié Eric Adams lors d’un point presse après cette discussion.
Invité de dernière minute à l’investiture
L’investiture de Donald Trump a encore marqué une nouvelle étape dans le degré de proximité d’Eric Adams avec le président américain. Le maire de New York a été invité au dernier moment par l’équipe du milliardaire pour assister à la cérémonie à Washington. Un déplacement qui est intervenu quelques jours après une précédente entrevue entre les deux hommes, non loin de la résidence personnelle de Donald Trump, à Mar-a-Lago, en Floride. Après une réunion d’une heure, Eric Adams avait alors remercié le nouveau chef d’État américain puis affirmer "se réjouir" de "travailler avec lui pour le bien de tous les New Yorkais".
Cette rencontre, couplée à sa présence au Capitole pour l’intronisation de Donald Trump, semble accentuer sa rupture avec le parti démocrate. Mardi, le maire a été encore plus loin, en acceptant une interview avec le journaliste d’extrême droite Tucker Carlson, connu pour ses diatribes conservatrices anti-immigration et son climatoscepticisme. Lors de cet échange, comme durant ses autres prises de parole les mois passés, l’édile s’est refusé à toute critique envers Donald Trump et ses idées – et ce, malgré ses débuts tonitruants à la Maison-Blanche.
Sortie de l’accord de Paris, opération spéciale contre des migrants, nomination d’Elon Musk au gouvernement… Aucune mesure prise n’a fait l’objet d’un désaccord d’Eric Adams. Au point de le faire basculer du camp démocrate vers le camp républicain ? "Peu importe le parti auquel je participe ou pour lequel je vote, je vais défendre les valeurs américaines", avait-il éludé en décembre, questionné à ce sujet. Mardi, lors de son interview avec Tucker Carlson, il a en tout cas concentré ses attaques contre sa famille politique. "Les gens disent souvent : ‘vous n’avez pas l’air d’un démocrate’ ou ‘vous semblez avoir quitté le parti’. Non, le parti m’a abandonné et il a abandonné les gens de la classe ouvrière", a-t-il une nouvelle fois taclé.