En Inde, des brasseuses de bière veulent changer les mentalités
Non seulement elle est l'une des quelques brasseuses du pays, mais en plus elle est l'une des rares femmes à goûter elle-même aux plaisirs de la bière.
C'est avec fierté qu'elle revendique sa place dans ce secteur très largement masculin, dans une Inde où les femmes amatrices d'alcool restent souvent pointées du doigt.
A 38 ans, elle s'est battue pour s'imposer dans cette profession, passant outre les remarques désobligeantes de ses collègues masculins qui doutaient de sa capacité à porter de lourds sacs de houblon ou à résister à la pression.
Après une décennie dans ce secteur, elle est aujourd'hui maître brasseuse dans un des pubs les plus populaires de Bangalore, où se retrouvent les jeunes diplômés de la "tech" indienne.
"Les femmes peuvent faire les mêmes choses que les hommes, de l'élaboration de recettes au travail physique, en passant par la gestion d'une équipe", assure Varsha Bhat. "Il y avait des préjugés (...) nous brisons ces stéréotypes et barrières".
Avec ses universités et instituts de formation renommés, Bangalore est largement considérée comme une ville plus permissive, notamment en matière de consommation d'alcool, que le reste du pays le plus peuplé de la planète.
Selon les statistiques du gouvernement, 99% des femmes indiennes ne boivent pas d'alcool.
Et si à peine un quart des femmes du pays en âge de travailler sont officiellement employées, ce chiffre monte jusqu'à 40% dans l'agglomération de Bangalore.
Lynette Pires, 32 ans, en fait partie.
Chercheuse dans le secteur pharmaceutique, elle a très vite été attirée par l'univers de la brasserie.
Mais pour se faire une place dans cet univers masculin qui ne la prenait pas au sérieux, elle aussi a dû forcer la porte.
- "Inspirer et épauler"-
"Se tenir là, au milieu d'une majorité d'hommes, et essayer de faire passer son point de vue ou les amener à écouter... cela s'apprend", se souvient cette femme originaire de Goa (ouest), employée d'une brasserie populaire du sud de la mégapole.
Il y a quatre ans, elle a fondé avec une dizaine d'autres femmes un Collectif des brasseuses destiné à "inspirer et épauler" celles qui veulent embrasser cette carrière.
Contrairement aux idées reçues, les femmes ont longtemps occupé une place de choix dans l'histoire de la brasserie.
La première recette de bière répertoriée remonte à 1.800 ans avant Jésus-Christ, concoctée en hommage à Ninkasi, la déesse de la bière dans la mythologie sumérienne.
A cette même époque, en Mésopotamie, le Code de Hammurabi, un recueil de lois du nom du roi de Babylone (de 1795 à 1750 avant JC), évoquait spécifiquement des femmes brasseuses.
Au regard de cette histoire, "dire de la bière qu'elle est une boisson pour les hommes est stupide et relève de l'ignorance", estime Girija Chatty, autrice de podcasts sur l'industrie de la bière en Inde.
La Constitution indienne de 1949 enjoint au gouvernement d'interdire la consommation d'alcool, sauf "à des fins médicales", une clause largement ignorée, sauf dans certains Etats.
Même parmi la petite minorité d'Indiens qui en boivent, le fossé entre les sexes est immense.
L'Inde compte près de quinze fois plus d'hommes que de femmes qui en consomment, selon une enquête gouvernementale publiée en 2022.
Les idées préconçues ont la vie dure mais Girija Chatty préfère en rire. "Si les femmes peuvent gérer des hommes amers", plaisante-t-elle, "elles peuvent très bien gérer de la bière amère."