Comment la guerre commerciale de Donald Trump vient percuter le budget français
Passer du "quoi qu’il en coûte au "quoi qu’il arrive". La formule, ciselée et répétée, tient lieu de mantra à Amélie de Montchalin dans ce contexte économique hors norme. "Nous avons commencé l’année sans budget, rappelle la ministre des Comptes publics. Puis tourné nos efforts vers le soutien à la défense, pour assurer la souveraineté européenne indépendamment des événements internationaux. Et là, avec l’annonce des tarifs douaniers décidés par Donald Trump, s’ouvre un nouveau cycle, celui d’un immense choc macroéconomique. L’incertitude – politique, commerciale, géostratégique – qui caractérise la période nous oblige à repenser le pilotage de nos finances publiques, en faisant entrer dans le cockpit le plus de monde possible."
Conjurer le psychodrame de 2024
Le 15 avril, Bercy partagera donc le plan de vol du pays. Trous d’air inclus. Une conférence des finances publiques, animée par François Bayrou, dévoilera aux parlementaires, aux partenaires sociaux et aux élus locaux la trajectoire connue à ce jour. "C’est un exercice de transparence inédit, souligne la ministre. Pour la première fois, une conversation qui se faisait partiellement, en chambre, au mois de juin va se tenir dès le mois d’avril, de manière exhaustive. L’Etat va présenter aux parlementaires et aux Français tous les chiffres depuis le début de l’année : où en sont les recettes ? Les dépenses ? Quels sont les écarts avec nos prévisions ? A quoi sont-ils dus ? Quelles décisions vont en découler ? Faut-il d’ores et déjà envisager des annulations de crédits pour se redonner des marges de manœuvre ?"
Soucieux de ne pas répéter le psychodrame de l’an dernier – la révélation, à l’automne, d’un écart de 40 milliards d’euros de rentrées fiscales par rapport aux prévisions avait médusé les Français -, le ministère de l’Economie prend cette fois-ci les devants. Une exigence démocratique, assure Amélie de Montchalin : "Ce budget 2025 n’est pas celui du gouvernement, il est le fruit d’un compromis politique à l’Assemblée nationale. J’en suis la garante, pas la conceptrice." Alors que l’ouragan parti de Mar-a-Lago, la résidence de Floride de Trump, est en train de balayer la planète boursière, cette opération vérité concoctée par l’exécutif a une autre vertu : partager la contrainte avec tous ceux que le mot "économies" faisait bondir lors de la dernière discussion budgétaire.
"La crise peut tout changer"
Car cette contrainte est subitement montée d’un cran le 2 avril, lorsque Donald Trump a dévoilé son fameux tableau des "tarifs réciproques" dans la roseraie de la Maison-Blanche. Avec une grosse épine dans le pied de ces Européens "qui arnaquent" l’Amérique : 20 % de droits de douane supplémentaires. Quatre jours plus tard, dans les colonnes du Parisien, le Premier ministre faisait déjà les comptes pour la France : "Le risque de pertes d’emplois est absolument majeur, comme celui d’un ralentissement économique, d’un arrêt des investissements. Les conséquences seront importantes : la politique de Trump peut nous coûter plus de 0,5 % de PIB." Et François Bayrou d’alerter : "Notre volonté est de tenir l’objectif du retour aux 3 % (de déficit) en 2029. Mais la crise peut tout changer."
Si quelques rares optimistes caressaient encore l’espoir que le pays affiche 0,9 % de croissance cette année - hypothèse inscrite en loi de Finances et contredite dès le début de l’année par le consensus des économistes (0,7 %), puis en mars par la Banque de France -, la messe, désormais, semble dite. Le 15 avril, le gouvernement devrait officialiser une prévision de croissance inférieure pour 2025. Or, si l’on s’en tient aux prédictions de Matignon, 0,5 % en moins du fait de la tempête trumpiste, c’est peu ou prou 0,25 point de PIB de déficit en plus, en additionnant les pertes de recettes fiscales et la hausse des dépenses chômage. Soit plus de 7 milliards d’euros à trouver.
Un déficit à vau-l’eau ?
Comment faire ? Augmenter les impôts ? Eric Lombard, le ministre de l’Economie, s’y est refusé récemment sur le plateau de BFMTV. Réduire la dépense ? Pas davantage : "Je ne souhaite pas, même si la situation se dégrade, que l’on donne un coup de rabot supplémentaire à la dépense publique, a-t-il ajouté. Cela aurait un impact négatif en réalité sur l’économie, sur les entreprises, sur les Français." Ne reste qu’une solution : laisser filer le déficit. Là encore, une nouvelle révision se profile dans quelques jours, celle de l’engagement donné par la France à ses partenaires européens de réduire son solde budgétaire à - 5,4 % du PIB cette année, contre - 5,8 % en 2024.
La concurrence des obligations allemandes
Si la pilule peut sans doute passer à Bruxelles - l’Europe, après tout, est visée dans son ensemble par le protectionnisme américain -, la réaction des marchés financiers est plus incertaine. Depuis novembre, le taux à dix ans (l’OAT) auquel la France emprunte a eu tendance à grimper, pour se situer aujourd’hui autour de 3,40 %. Mais celui de l’Allemagne (le Bund) est monté plus vite. Résultat : l’écart entre les deux taux, ou spread, qui avait décollé après la dissolution de juin dernier, s’est resserré et flirte désormais avec les 70 points de base. "C’est plutôt une bonne nouvelle, veut croire Amélie de Montchalin, les marchés nous considèrent comme étant de plus en plus crédibles."
Une joie éphémère : le nouveau chancelier Friedrich Merz a fait voter la levée du frein à l’endettement, ce qui devrait permettre à notre voisin d’emprunter davantage dans un avenir proche. "Leur offre d’obligations souveraines, très demandées pour leur qualité, va augmenter, pronostique Gilles Moëc, le chef économiste d’Axa. Il y aura plus de Bund sur le marché, avec un taux de rémunération correct. La demande de titres d’autres signatures souveraines européennes pourrait en pâtir."
"Refroidir" la hausse des pensions de retraite
Et sinon, quid des économies budgétaires ? Les leviers, en France, sont parfaitement connus, l’un des principaux consistant à "refroidir", selon le mot en vogue à Bercy, la revalorisation des pensions de retraite. Dans son rapport flash dévoilé le 20 février, la Cour des comptes n’en fait pas mystère : "En se fondant sur les dépenses du régime de retraites prévues en 2025, une sous-indexation de 1 point des pensions par rapport à l’inflation permettrait une économie de 2,9 milliards d’euros pour cette même année". Et contrairement à ce que prétend Eric Lombard, sans dommage particulier sur l’activité : "L’effet négatif d’une telle mesure sur l’économie serait relativement faible, soulignent les magistrats financiers. En effet, la propension moyenne des retraités à consommer est moins importante que celle des autres bénéficiaires de transferts sociaux, en raison d’une capacité d’épargne en moyenne plus élevée, même s’il existe des écarts selon le niveau de vie."
Fin février, François Bayrou avait fermé à la porte à cette possibilité, au motif que la retraite serait "un salaire différé". Une lecture pour le moins curieuse du système par répartition, dans lequel les actifs ne cotisent pas pour leurs propres pensions mais pour celles de la génération précédente. Les retraités, protégés "quoi qu’il arrive" ? La question, à haute intensité politique, risque de revenir très vite dans le débat public.