Parcoursup : l’incroyable succès des doubles licences
Il y a trois ans, Clémence* intégrait la prestigieuse double licence histoire-science politique de Paris I Panthéon Sorbonne. "Bien qu’admise également à Sciences Po Paris, j’ai préféré me tourner vers cette formation qui correspondait davantage à mes envies et à ma passion pour l’histoire", raconte cette excellente élève, reçue au bac avec mention très bien. Aujourd’hui en L3, la jeune femme, qui a pour objectif de travailler dans le secteur du patrimoine culturel, se félicite de son choix. "Le rythme de travail est monté en puissance ces dernières années. Mais, contrairement à ce qui se passe en prépa, cela s’est fait progressivement. J’ai donc eu le temps de m’y habituer", explique celle qui n’a jamais envisagé de suivre un parcours autre qu’universitaire.
Les candidats qui, comme Clémence, rêvent d’intégrer une double licence, permettant d’étudier deux disciplines en même temps, sont chaque année plus nombreux. Au total, l’université Paris I Panthéon-Sorbonne propose une dizaine de combinaisons possibles. La plupart sont extrêmement prisées. En 2024, la doublette histoire-science politique, comptait 5 680 candidats pour 97 places. La filière science politique-économie a, quant à elle, suscité la convoitise de 3 353 postulants pour seulement 30 places. Lorsque les premiers résultats de Parcoursup commenceront à tomber, le 2 juin prochain, les très nombreux lycéens qui avaient mis l’un ou plusieurs d’entre elles en tête de leurs vœux pousseront un soupir de soulagement… ou, au contraire, verront leurs espoirs s’envoler.
Bruno Magliulo, spécialiste de l’orientation scolaire qui a l’habitude de se rendre dans les lycées à la rencontre des élèves, confirme cet engouement : "Au cours de mes interventions, on me pose énormément de questions sur ces cursus qui font un tabac. Ils permettent aux familles de changer leur regard sur l’université qui a longtemps eu mauvaise presse avec leurs amphis saturés d’étudiants, le côté très impersonnel ou le manque de débouchés". La quasi-gratuité de ces formations, le fait qu’elles soient à taille humaine, sélectives à l’entrée et qu’elles débouchent sur un vrai diplôme sont, aujourd’hui, autant de gages de sérieux.
"Le fait de pouvoir suivre en parallèle à la fois une licence d’économie et une autre de sociologie, par exemple, existe depuis plus 30 ans. Mais la réforme Licence-master-doctorat (LMD) en 2002, puis la loi Libertés et responsabilités des universités (LRU) adoptée en 2007 ont permis aux facultés d’aller plus loin et de créer des 'poches de sélection' comme ces doubles licences", explique Annabelle Allouch, maîtresse de conférences en sociologie à l’Université de Picardie Jules-Verne. Le passage à Parcoursup, en 2018, qui introduira le classement des candidats en fonctions de leurs dossiers scolaires va encore accélérer le mouvement.
"De très bons éléments avec une grande capacité de travail"
Si le niveau d’exigence varie selon les universités et les matières étudiées, la barre est globalement assez élevée. "En 2020, le taux d’accès moyen en licences sélectives (parmi lesquelles les doubles licences) était de 54 %. En 2024, il est tombé à 46 %, contre 59 % pour les classes préparatoires aux grandes écoles", confirme le chercheur Nagui Bechichi, fondateur de la plateforme SupTracker créée pour rendre accessibles aux étudiants et à leurs familles les multiples données chiffrées relatives aux formations. Le profil des lycéens de terminale les plus à même de décrocher le Graal ? Les très bons éléments qui ont une grande capacité de travail, en plus d’être évidemment performants dans les deux matières ciblées. La capacité d’organisation est aussi un plus. "La construction des emplois du temps n’est pas toujours efficiente. Même si nous avons la chance de pouvoir nous inscrire aux cours de notre choix avant nos camarades qui suivent des licences simples, il y a toujours des risques de chevauchements. Il faut donc être capable de s’adapter", prévient Victor, inscrit en 3e année de double licence histoire-philosophie à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne.
"La particularité de nos étudiants est qu’ils ne sont en général pas attirés par la dimension concours. Ils visent plus des masters très sélectifs que des grandes écoles", explique Stéphane Marchand, co-responsable de la double licence Histoire et Philosophie à Paris I Panthéon-Sorbonne. Pourtant leurs profils sont souvent très similaires à ceux des jeunes de classes prépas. "Il ne faut pas se leurrer, il y a une vraie concurrence entre les classes préparatoires, les instituts d’études politiques et les doubles licences. On a là un vrai marché à l’intérieur duquel chaque formation essaye de récupérer les meilleurs éléments", poursuit Annabel Allouch.
Joël Bianco, Président de l’Association des proviseurs de lycées à classes préparatoires aux grandes écoles réfute le terme de "concurrence". "On peut considérer que les doubles licences se sont inspirées du modèle des prépas en proposant un début d’enseignement supérieur plus généraliste avec de l’exigence, du rythme et un encadrement de qualité", avance le chef d’établissement du lycée Louis-Le-Grand à Paris. "Pour autant, il y a de la place pour tout le monde. Leur succès ne nous fait pas de tort. La preuve : le nombre d’élèves que nous accueillons ne cesse d’augmenter. Les effectifs sont passés de 82 000 à 86 000 étudiants en un an", ajoute-t-il.
Le fait que l’université mette en place des parcours aussi sélectifs ne choque pas Joël Bianco. "Le mot 'sélection' a tendance à faire peur. Mais quand on apprend que moins d’un élève sur deux réussit sa licence en trois ou quatre ans, on mesure l’ampleur du gâchis. Mieux vaut tenir un langage de vérité dès le début du parcours en expliquant que pour suivre une formation exigeante, il faut répondre à des attendus particuliers", poursuit-il. Régulièrement sous le feu des critiques pour leur manque d’ouverture sociale, les classes prépas sont obligées de rendre des comptes et de répondre à une politique de quotas. Quid de ces doubles licences finalement très discrètes sur le profil des élèves qu’elles recrutent ? "Qui dit sélection scolaire dit forcément sélection sociale. C’est inévitable", reconnaît Annabelle Allouch. Les responsables de doubles licences, eux, mettent en avant le nombre de boursiers. "17 % de boursiers du secondaire étaient reçus en 2024 en licence sélective. Soit légèrement plus qu’en CPGE (13 %), mais nettement moins que sur l’ensemble des admis", analyse Nagui Bechichi.
"Il ne faut pas se mentir, nous sommes majoritairement des enfants de CSP+", reconnaît Victor, originaire de Chartres. "Nous sommes aussi nombreux à venir de province car les filières sélectives ont la particularité de choisir leurs élèves sur l’ensemble du territoire", ajoute le jeune homme qui souhaite s’orienter vers la recherche. Il y a ceux qui comme lui savent, dès la terminale, ce qu’ils souhaitent faire plus tard. Et puis ceux qui se montrent plus indécis. Comme les classes préparatoires très pluridisciplinaires, les doubles licences permettent de garder ouvert le champ des possibles. "Par exemple, si je choisis de faire des mathématiques et de l’informatique à la faculté d’Orsay, je sais que le croisement de ces deux domaines m’offre une grande variété de filières de spécialisation en deuxième cycle", poursuit Bruno Magliulo. Un avantage considérable à l’heure où l’on demande aux élèves de s’orienter de plus en plus tôt.
*Le prénom a été changé