Des livres de femmes de ménage pour des femmes de ménage
Les romans de la quadra américaine Freida McFadden se vendent comme des petits pains. Même les lectrices françaises se laissent tenter, déplore notre contributeur.
On apprend sur France Info que les romans d’une certaine Freida McFadden se vendent comme des petits pains : « avec ses thrillers domestiques, la romancière américaine est le nouveau phénomène mondial de la littérature populaire[1] ». Voyez plutôt : rien qu’en France, deux millions d’exemplaires pour La Femme de ménage (2022) ; ce roman, qui figure en tête des ventes dans huit pays, compte déjà trois suites : Les Secrets de la femme de ménage, La femme de ménage voit tout et La femme de ménage se marie. N’est-ce pas, ça fait rêver ?… au règne de la quantité, on ne regarde que le chiffre, guère la qualité — en littérature comme aux résultats du bac.
Malbouffe
Le Nouvel Obs, journal copieusement subventionné (il publiait le 22 juillet un article passionnant sur « la rencontre entre un lièvre et une écrivaine qui a émerveillé Angelina Jolie[2] »), a reconnu du bout des lèvres une certaine efficacité de l’ouvrage — du produit, plutôt, la nuance a son importance. Pour Libération, plus perfide, La Femme de ménage, « ça se dévore comme un fast-food » : du MacDo, donc.
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L’article de France Info — de grande tenue, décidément —, après avoir souligné pour la mettre en valeur la « flopée de rebondissements » de La Femme de ménage, en propose quelques analyses pertinentes, par des intervenants valant bien nos critiques littéraires du siècle dernier (G. Lanson). Virginie, par exemple, chroniqueuse TikTok : « On pense comprendre au début où elle nous emmène, mais sa spécialité, c’est de rajouter une information dans l’épilogue qui fait tout basculer. » Du MacDo, disais-je : des recettes qui feraient vomir si on ne les bourrait de sucre. Et les éditeurs de se jeter comme des chiens sur ces hamburgers dégueulasses pour les dévorer, avant de les digérer, ignoblement.
Girl power
Laissons parler la romancière : « J’ai voulu que ces deux livres soient des récits de girl power, où les femmes triomphent d’un homme qui a du pouvoir sur elles ». Une déclaration à la fois courageuse et profonde ; on croirait lire Baudelaire défendant les Fleurs du Mal. Freida McFadden écrit le point levé : espérons-lui un Maître Senard capable de citer du Bossuet dans le texte aux procureurs, lorsqu’elle passera au tribunal de la société facho-patriarcale — à moins que ce ne soit le tribunal de l’art et du bon goût, pour crime contre la littérature.
Le pire est à venir. La journaliste de France Info, toute contente, précise que Freida McFadden « parvient à convertir un nouveau public, d’ordinaire éloigné de la lecture. » Et de citer le témoignage de Sylvie : « Faute d’entraînement » et par « manque de concentration », elle lisait « très peu », avant de découvrir La Femme de ménage. La conclusion fera se dresser les cheveux sur la tête à plus d’un, et d’abord à ceux qui veulent encore croire à l’initiation dans l’art, à la valeur artisanale de l’œuvre, à ceux pour qui « c’est un métier que de faire un livre, comme de faire une pendule » (La Bruyère) : « « C’est si facile à lire qu’on se dit qu’on pourrait l’écrire nous-même », estime avec satisfaction la sexagénaire. »
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Mais c’est parce que c’est médiocre, Madame, que c’est si facile à lire : pourquoi s’en gargariser ?… Qu’est-ce qu’une littérature « facile à lire », d’ailleurs ? Une littérature qui ne fait plus réfléchir ? Une littérature qui ne mobilise aucune notion culturelle ?… Quand on a du goût, quand on a de l’exigence, on combat la facilité — au nom de l’intelligence.
Bonjour le niveau
Parcourant au hasard les commentaires de l’article de France Info, je tombe là-dessus : « Des livres de femmes de ménage pour des femmes de ménage. » Impitoyable ! Certes, la République a depuis longtemps abandonné l’espoir de relever le niveau des femmes de ménage : elle s’abaisse plutôt au rang de la bêtise et de la pauvreté : ce doit être l’égalité à la française en 2025, profondément injurieuse pour les déclassés du capital culturel, et qui participe de la grande adoration à la déesse Médiocrité — au nom de la haine de l’élitisme.
Et si, au lieu de la daube commerciale abrutissante et consumériste (polluante, de surcroît), on lisait les œuvres d’esthètes, les traités des maîtres ? Ce serait un peu aristocrate… anti-moderne… guère égalitaire… mais d’un bon goût qu’on nous envia pendant des siècles, et autrement plus subversif que toute cette littérature de fausses rebelles, qui ne fait que s’enrichir les vendeurs de papier.
[1] https://www.franceinfo.fr/culture/livres/la-femme-de-menage-la-prof-la-psy-pourquoi-les-romans-de-freida-mcfadden-que-vous-allez-peut-etre-devorer-pendant-vos-vacances-font-ils-un-carton-en-librairie_7392136.html
[2] https://www.nouvelobs.com/bibliobs/20250722.OBS106108/ce-que-ton-regard-promet-la-rencontre-entre-un-lievre-et-une-ecrivaine-qui-a-emerveille-angelina-jolie.html
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