Israël - Iran, vers l’acte II du conflit ? "Si nous ne combattons pas maintenant, nous mourrons plus tard"
La balafre cisaille le visage par ailleurs rayonnant de Tel-Aviv. En ce mois de juillet ensoleillé, les Israéliens se pressent sur la longue plage de leur capitale économique, entre joggeurs transpirants, footballeurs du dimanche et baigneurs détendus. A quelques mètres de cette carte postale, des immeubles sont coupés en deux, leurs toits effondrés, des appartements soufflés. Le résultat d’une frappe iranienne sur la zone résidentielle de Holon, le 19 juin dernier, pendant la "guerre des douze jours" qui a opposé Israël à l’Iran. "Vous pouvez voir les dégâts qu’un seul missile balistique iranien peut causer à Tel-Aviv, souffle un haut gradé israélien depuis son bureau à quelques centaines de mètres de l’impact. C’est simple : si l’Iran continue d’être une menace existentielle pour notre pays, nous l’en empêcherons. S’ils veulent nous tuer, nous les tuerons avant."
Un mois et demi après la fin d’un conflit ouvert inédit entre les deux grandes puissances militaires du Moyen-Orient, chacun active ses plans pour se préparer à l’acte 2 de la guerre. "La barrière psychologique d’une attaque directe entre l’Iran et Israël est tombée trois fois en moins de deux ans, souligne Dahlia Scheindlin, chercheuse au centre de réflexion américain Century International et spécialiste de l’opinion publique israélienne. Cela signifie que désormais toutes les options sont sur la table, y compris celle d’une reprise des hostilités. De plus, tout le monde sait que les réussites [israéliennes en Iran] ont été significatives, mais leur portée reste limitée." Une situation potentiellement explosive.
1 - Un climat toujours plus agressif
D’après le Pentagone, les frappes israéliennes et américaines du mois de juin n’auraient repoussé le programme nucléaire de la République islamique que de quelques mois, incitant les faucons de Tel-Aviv à réclamer de nouvelles frappes sur Téhéran pour "finir le travail" au plus vite. "Ce serait suicidaire pour Israël de ne pas frapper l’Iran de manière préventive, confie ainsi un conseiller du Premier ministre Benyamin Netanyahou. Les Iraniens répètent eux-mêmes qu’Israël est un pays de la taille d’Hiroshima, qu’une seule bombe atomique suffirait à rayer de la carte…" Le directeur de l’AIEA, l’agence internationale sur l’énergie atomique, Rafael Grossi, a alerté sur le fait que l’Iran pourrait reprendre l’enrichissement d’uranium d’ici trois à quatre mois. Le 11 juillet, Netanyahou a annoncé patienter soixante jours pour observer l’évolution de la menace nucléaire iranienne avant de "décider de la prochaine étape".
Autre motif d’inquiétude à Tel-Aviv : les capacités balistiques de l’Iran. Grâce à son dôme de fer, la défense israélienne a intercepté environ 90 % des frappes contre son territoire. Cela signifie, toutefois, que 10 % sont passés entre les mailles, ce qui reste en travers de la gorge des autorités… "Pendant cette guerre de douze jours, l’Iran a tiré plus de 500 missiles balistiques sur Israël et prévoyait d’aller jusqu’à 10 000, voire 20 000 missiles balistiques, assure un haut gradé israélien. Si nous n’agissons pas dès maintenant, que nous attendons deux ans pour voir s’ils nous attaquent ou non, nous serions alors incapables de nous défendre, aucun système de défense aérien au monde ne peut bloquer un si grand nombre de missiles. Si nous ne combattons pas maintenant, nous mourrons plus tard, alors battons-nous dès maintenant !"
Sur ce dossier, Israël n’a pas le monopole de la paranoïa. Depuis le cessez-le-feu imposé par les Etats-Unis le 24 juin, l’Iran connaît une flambée d’explosions inexpliquées. Une ou deux, chaque jour, souvent dans des endroits stratégiques comme des raffineries ou des entrepôts militaires. Pour l’instant, le régime iranien refuse d’accuser Israël directement, afin de ne pas accréditer la thèse d’une infiltration massive de l’ennemi dans ses rangs.
Mais ces multiples fuites de gaz, officiellement causées par des installations hors d’âge ou des équipements défectueux, ne seraient pas de simples coïncidences : des dignitaires iraniens interrogés par le New York Times ces derniers jours disent voir la main d’Israël derrière ces incidents. En juin, après le cessez-le-feu, le directeur du Mossad avait fait une rare déclaration publique, sans ambiguïté sur la présence de ses agents en Iran : "Nous continuerons d’être là-bas, comme nous l’avons été jusqu’à présent." A Tel-Aviv, un général israélien nous répond en toute désinvolture : "si c’est le Mossad, nous ne pouvons avoir aucune information sur ce sujet… Mais je ne pense pas que ce soit nous."
Le régime iranien ne reste pas immobile face à la menace. Humilié par les succès du renseignement israélien, capable d’éliminer avec précision ses dirigeants et ses scientifiques les plus renommés, la République islamique purge ses rangs, à la recherche de tout espion à la solde d’Israël. Résultat, des centaines d’arrestations, des procès expédiés et un nombre d’exécutions sans précédent dans ses prisons. "Le régime iranien se retrouve dans la même situation que Saddam Hussein dans l’Irak de 1991, après la guerre du Golfe : il contrôle le pays et met l’accent sur la répression, mais se retrouve incapable de contrôler son ciel et donc sa défense aérienne", analyse l’homme d’affaires irano-américain Siamak Namazi, interrogé lors d’une conférence du Middle East Institute.
A Téhéran, le chef des armées, Amir Hatami, a assuré, le 3 août, qu’Israël restait "une menace à 100 %" et que les missiles et drones de la République islamique "sont toujours là et prêts pour de nouvelles opérations". "Les Iraniens se trouvent dans une posture profondément offensive, résume Eran Etzion, ancien chef du Conseil de sécurité national israélien. Leur fierté nationale a pris un sacré coup et ils comprennent désormais que leur attitude sur la défensive de ces dernières années n’est plus viable."
2 - Un réarmement à toute vitesse
Après le cessez-le-feu, Benyamin Netanyahou s’est envolé au plus vite pour Washington. Le Premier ministre israélien en a profité pour remettre à Donald Trump sa nomination officielle pour le prix Nobel de la paix, mais surtout pour lui demander de nouveaux missiles de défense antiaérienne et des munitions sophistiquées. Des livraisons acceptées sans sourciller par le milliardaire de la Maison-Blanche. "Les Iraniens envoient de très mauvais signaux, des signaux très agressifs, ils ne devraient pas faire ça… Nous avons anéanti leurs capacités nucléaires, et s’ils recommencent, nous les détruirons plus vite que vous ne pouvez lever le doigt", a averti Donald Trump fin juillet.
L’Iran aussi s’active sur le marché des armes, mais plus discrètement. Selon plusieurs médias arabes, la Chine aurait livré des batteries de missiles sol-air à Téhéran dès la fin des combats. Le régime iranien aurait aussi repris les négociations avec Pékin pour acheter des avions de chasse J-10C, en échange de pétrole brut. "Malgré les succès opérationnels, un sentiment profond d’insécurité domine en Israël, explique Eran Etzion. L’Iran a réussi à faire des dégâts considérables sur notre sol et les Israéliens comprennent que l’Iran n’est ni le Hezbollah, ni le Hamas ni même la Syrie : c’est une puissance régionale importante, capable de reconstruire très vite ses capacités militaires et qui travaille déjà avec la Chine pour améliorer sa technologie et ses défenses aériennes."
3 - Chacun mobilise ses alliés
D’après Israel Hayom, le quotidien au plus fort tirage du pays, Benyamin Netanyahou serait revenu de son rendez-vous avec Donald Trump à Washington, début juillet, avec le feu vert pour frapper de nouveau l’Iran si besoin. Une assurance indispensable pour l’armée israélienne, qui avait opéré presque sans résistance en juin mais dont les stocks militaires ont été amputés par les guerres contre le Hezbollah au Liban et le Hamas à Gaza.
En Iran, les grandes manœuvres ont repris de plus belle sur le front régional. Après deux années catastrophiques pour ses alliés, Téhéran tente de réactiver son "Axe de la résistance" gravement affaibli : le Hezbollah et le Hamas ont été décapités par Tsahal, et Bachar el-Assad a dû fuir son régime en décembre dernier. Résultat, en juin, l’Iran s’est retrouvé bien seul dans sa guerre contre Israël.
Ces dernières semaines, plusieurs réunions ont eu lieu entre des lieutenants iraniens et des représentants de groupes proches de la République islamique. A Bagdad, début juillet, se sont notamment réunis le Hezbollah, les Houthis, le Hamas, le Jihad islamique, la coalition irakienne des Hach al-Chaabi ainsi que deux groupes d’islamistes radicaux basés en Arabie saoudite et au Bahreïn. Depuis cette réunion, les hostilités entre ces groupes terroristes et les Etats dans lesquels ils opèrent sont reparties. Au Liban par exemple, le Hezbollah a refusé de déposer les armes et tente de reprendre ses activités dans le sud du pays, entraînant des frappes israéliennes presque quotidiennes.
Mi-juillet, le Commandement central américain, responsable des opérations militaires américaines au Moyen-Orient, a annoncé que les autorités yéménites avaient saisi 750 tonnes d’équipement militaire venant d’Iran à destination des Houthis : missiles de croisière, missiles antinavires et antiaériens, ou encore moteurs de drones. "La menace des proxys de l’Iran est plus faible aujourd’hui grâce à nos excellents résultats contre eux ces deux dernières années, souligne une source militaire israélienne. Mais nous avons des informations très précises sur un plan pour faire renaître cette menace et refaire un 7-Octobre dans quelques années, mais cette fois depuis toutes les directions : avec le Hamas, le Hezbollah, des milices depuis la Syrie et la Jordanie… Nous savons aussi que l’Iran a encouragé des groupes terroristes à agir contre nous depuis l’Egypte." De nouveaux ennemis, une nouvelle instabilité : la spirale des guerres du Moyen-Orient ne fait peut-être que commencer.