Enfantisme : après la « lutte des classes », la « lutte pour les enfants »
Nouvelle lubie gauchiste : défendre les enfants contre la « domination » des adultes au nom de l’« égalité entre les générations ».
Décidément, nos sociétés capitalistes n’en finissent pas, semble-t-il, de causer des dégâts : après l’immonde exploitation des gentils ouvriers par les méchants patrons, après l’ignoble patriarcat pesant sur les bonnes femmes (zut : pesant sur le sexe faible ; re-zut : sur la gent féminine), après Gaïa polluée par les hommes blancs hétérosexuels, voici venu le tour des enfants, victimes expiatoires des adultes.
Comprendre l’« enfantisme »
On sait, au moins depuis Confucius, que lorsque les mots perdent leur sens, les hommes perdent leur liberté. Dans 1984, George Orwell avait renouvelé la mise en garde avec la « novlangue ». De manière contemporaine, on use de la création de nouveaux mots ou concepts qui se veulent exemplatifs, mais qui sont vides de sens.
A preuve, « l’enfantisme », un néologisme créé, semble-t-il, à la fin du siècle dernier, pour définir une lutte menée en faveur des enfants. Le vocabulaire est assez instable car certains auteurs parlent aussi d’« infantisme » par opposition à l’« adultisme », ou encore de « domination adulte » ou de « misopédie », ce dernier terme signifiant un mépris des enfants (tribune, L’Humanité, 12 février 2024).
Il s’agit pour les créateurs ou les adeptes, évidemment (très) « engagés », de ces termes, de dénoncer des « discriminations » contre les plus jeunes et ce, au nom d’une société égalitaire – en fait égalitariste – entre les générations. Nous nous étions d’ailleurs fait l’écho de la proposition de loi (n° 487, Sénat, 28 mars 2024) déposée par la sénatrice socialiste Laurence Rossignol « visant à reconnaître la minorité comme un facteur de discrimination pour promouvoir une société ouverte aux enfants »…
Pour être plus précis, la tribune de L’Humanité citée plus haut alléguait que les enfants demeureraient « de nos jours, en France et dans le monde, une catégorie de population opprimée », victime d’une « violence systémique » de la part des « dominants » que seraient les adultes.
L’« enfantisme »… enfante des infantilités
Des manifestations ont eu lieu à Paris et en province le 15 novembre contre la « domination » des adultes. On a retrouvé dans le maigre cortège de la capitale des parlementaire Insoumis, à la pointe sur le sujet. Il est vrai que LFI infantilise les débats depuis son entrée en force à l’Assemblée nationale… Ont été entre autres réclamés :
- la création d’un ministère de l’Enfance ;
- la protection des enfants de Gaza ;
- et la fin des « contrôles policiers pour les enfants racisés » !
A notre connaissance, la proposition d’un droit de vote accordé à la naissance des enfants, soutenue par un auteur (pardon : une autrice), n’a pas été faite.
Un utile retour à la philosophie de John Locke
Au-delà du caractère brumeux, qu’il soit ou non délibéré, de « l’enfantisme », il y a toujours ces idées :
- d’un Etat-nounou qui doit se substituer aux familles ;
- d’une opposition holistique (autrement dit anti-individualiste) qui voit tout à partir d’un groupe (classe, race, etc.) et qui entend opposer les groupes les uns aux autres avec l’intervention salvatrice de l’État ;
- et de ce que certains conservateurs appelleraient, en jetant le bébé avec l’eau de bain, le « droit-de-l’hommisme », les « droits des enfants » ayant été inventés, puis consacrés par l’ONU avec la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989.
En contrepoint, il nous apparaît utile de nous replonger dans la philosophie de John Locke, le grand penseur anglais de la fin du XVIIe siècle qui a joué un rôle si important dans la construction de la doctrine libérale.
Nous souhaiterions plus précisément nous attacher à son concept fondamental de trust. Ce mot polysémique ne peut guère être traduit en français, mais retenons en première approximation qu’il désigne la confiance accordée à une personne qui devient le propriétaire d’un pouvoir afin qu’elle en use au bénéfice de quelqu’un d’autre. Pour le dire autrement, c’est l’ensemble des facultés dont un individu jouit sans en retirer d’avantages (donc, pas question d’exploiter ou de « dominer » autrui, bien au contraire). Et justement, Locke s’intéresse dans son Second traité sur le gouvernement civil de 1690 à l’autorité des parents sur leurs enfants, qu’il qualifie de trust. En effet, la mission confiée (par Dieu, la pensée du philosophe anglais étant évidemment religieuse, mais elle sera laïcisée par ses lointains successeurs) aux parents est de protéger leur progéniture et de faire d’eux, au fil des années, des adultes. Devenus tels, à savoir des personnes libres et indépendantes, les hommes peuvent voler de leurs propres ailes et être responsables de tous leurs actes.
On voit combien cette philosophie est éloignée de l’État-nounou qui entend infantiliser les citoyens et les traiter comme des mineurs à jamais irresponsables en évinçant autant que possible les familles. L’« enfantisme » n’est jamais qu’un nouvel avatar de cette idéologie en apparence sirupeuse, mais en réalité profondément malsaine et dangereuse.
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